Une crèche pour Pâques : retour sur l’arrêt du 3 avril 2017 rendu par la cour administrative d’appel de Marseille.

Par Franck Carpentier, Doctorant en droit.

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Explorer : # neutralité religieuse # crèche de noël # fêtes de fin d'année

Alors que la question de l’installation d’une crèche dans un bâtiment public a longtemps permis l’existence d’une incertitude quant à sa légalité [1], le Conseil d’État est venu, par deux arrêts rendus le 9 novembre 2016 [2], clarifier cette question. L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille le 3 avril 2017 [3] est une stricte application des règles dégagées par la juridiction suprême, l’occasion pour nous de revenir sur celles-ci.

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L’installation controversée d’une crèche par la commune de Béziers

En l’espèce, est en cause la décision du maire de la commune de Béziers d’installer une crèche de la nativité dans le hall de l’hôtel de ville au cours du mois de décembre 2014 dans le cadre des fêtes de fin d’année. Un recours pour excès de pouvoir a été formé aux fins d’annulation de cette décision par la Ligue des droits de l’Homme ainsi que par un justiciable de la commune.
L’affaire a d’abord été portée à la connaissance du tribunal administratif de Montpellier [4]. Par un jugement rendu le 16 juillet 2015 visant notamment le préambule et l’article premier de la Constitution ainsi que la loi du 9 décembre 1905, plus spécifiquement son article 28 relatif à la neutralité des personnes publiques à l’endroit des différentes religions [5], la juridiction a considéré que « l’installation de cette crèche ne pouvait être regardée comme ayant le caractère d’une présentation revendiquée de symboles de la religion chrétienne » [6]. Pour en arriver à une telle conclusion, le tribunal a tout d’abord relevé, classiquement, que la crèche « a une signification religieuse parmi la pluralité de significations qu’elle est susceptible de revêtir » [7]. Ensuite, il a procédé à une appréciation in concreto visant à déterminer l’existence d’une volonté prosélyte ou de traitement préférentiel à l’égard de la religion chrétienne. Le tribunal a alors constaté sur ce point que « l’installation de cette crèche dans l’hôtel de ville a constamment été présentée, que ce soit auprès du conseil municipal, du préfet ou du public, comme une exposition s’inscrivant dans le cadre d’animations culturelles organisées à l’occasion des fêtes de Noël dans le cœur de ville, sans qu’aucun élément du dossier ne vienne révéler une intention différente et/ou la manifestation d’une préférence pour les personnes de confession chrétienne, au détriment du reste de la population » [8].
La juridiction en a conclu que la décision du maire de la commune était légale.

La stricte application de la jurisprudence dégagée par le Conseil d’État le 9 novembre 2016

La question soulevée devant le tribunal administratif de Montpellier relative à l’installation d’une crèche dans le hall d’un hôtel de ville était loin d’être la première et les positions entre les juridictions du fond divergeaient parfois grandement [9]. Face à cette situation source d’insécurité juridique, le Conseil d’État est venu fixer les règles que les municipalités doivent respecter afin de se conformer aux exigences posées par le législateur en 1905 ainsi que par le constituant en 1958. En l’espèce, la cour administrative d’appel va donc faire une stricte application des arrêts Fédération de la libre pensée de Vendée et commune de Melun en distinguant entre bâtiment public et emplacement public afin de déterminer si la décision d’installation d’une crèche est ou non légale.

Ainsi, en principe, l’installation d’une crèche dans un emplacement public est possible lors de la période des fêtes de fin d’année à la condition que cette installation ne soit pas le fait d’une volonté prosélyte ou manifestant une préférence religieuse : « l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse » [10]. Ce principe se justifie par le fait que les célébrations de fin d’année sont largement devenues des célébrations à caractère convivial et/ou commercial plutôt que strictement religieuses. Ainsi, puisque l’on parle très volontiers des fêtes de fin d’année plutôt que des fêtes de Noël et que la crèche est « une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations » [11], la décision d’installation de celle-ci dans un emplacement public (on pense aux marchés de Noël qui se tiennent sur certaines rues par exemple) est présumée être légale (c’est une présomption simple).

Il en va autrement s’agissant de l’installation d’un tel symbole dans un bâtiment public (outre les mairies, on pense par exemple aux écoles publiques). La cour rappelle ainsi que « dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques » [12]. Par conséquent, et a contrario de la présomption établie pour les emplacements publics, l’installation d’une crèche dans un bâtiment public est présumée être illégale.

Appliquant alors strictement la jurisprudence du Conseil d’État, la cour va considérer qu’en l’absence de circonstances locales particulières, la décision d’installation de la crèche dans le hall de l’hôtel de ville par le maire de Béziers doit être annulée car méconnaissant « l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques » [13].

Franck Carpentier
Docteur en droit
Cabinet Atlantes Avocats

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Notes de l'article:

[1Voyez sur ce point notre commentaire des arrêts rendus par le Conseil d’État le 9 novembre 2016 à l’adresse suivante : https://lid2ms.files.wordpress.com/...

[2Voyez : CE, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 395223 et CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395122

[3CAA Marseille, 3 avril 2017, Commune de Béziers, n° 15MA03863

[4TA Montpellier, 16 Juillet 2015, n° 1405625

[5« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions »

[6TA Montpellier, 16 Juillet 2015, n° 1405625

[7TA Montpellier, 16 Juillet 2015, n° 1405625

[8TA Montpellier, 16 Juillet 2015, n° 1405625

[9Nous renvoyons ici à notre étude précitée

[10CAA Marseille, 3 avril 2017, Commune de Béziers, n° 15MA03863

[11CAA Marseille, 3 avril 2017, Commune de Béziers, n° 15MA03863

[12CAA Marseille, 3 avril 2017, Commune de Béziers, n° 15MA03863

[13CAA Marseille, 3 avril 2017, Commune de Béziers, n° 15MA03863.

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