(Découvrir / Exposition) : « Le Dernier Sacre » à la Galerie des Gobelins à Paris.
Frère cadet de Louis XVI, Louis XVIII incarne une monarchie de compromis, soucieuse d’apaiser une France fracturée par la Révolution et l’Empire. Pendant dix années de règne, il tente de concilier tradition et modernité, légitimité et pragmatisme. Plusieurs fois, il exprime le désir d’être sacré, mais renonce à cette ambition faute de conditions politiques favorables. Seul souverain français du XIXe siècle mort en exercice, ses obsèques, en 1824, ravivent pour la dernière fois le cérémonial des funérailles royales — une pompe solennelle et codifiée que l’exposition « Le Dernier Sacre », présentée à la Galerie des Gobelins, choisit pour entrée en matière.
- La scénographie du sacre de Charles X © Mobilier National « Le Dernier sacre » – photo JLRF
Huit mois à peine après la disparition de Louis XVIII, son frère Charles-Philippe, comte d’Artois, s’apprête à renouer avec la tradition millénaire du sacre à Reims. Devenu Charles X le 29 mai 1825, il sera le 68ᵉ, et l’ultime roi de France couronné dans la cathédrale des sacres, perpétuant un rite ancestral dans un siècle qui commence déjà à tourner la page de la dynastie des Bourbons.
L’enjeu est de taille : offrir à la France un couronnement digne de celui de George IV d’Angleterre, tout en composant avec des moyens financiers plus limités. Ce dernier sacre, fastueux et délibérément réactionnaire, apparaît rétrospectivement comme le baroud d’honneur d’un pouvoir en sursis. L’exposition, conçue sous la direction de Stéphane Bern, Hélène Cavalié et Renaud Serrette, scénographiée avec éclat par Jacques Garcia, déploie sur près de 800 m² un récit immersif en huit tableaux, entre évocation historique et célébration des savoir-faire français.
Costumes, reconstitutions 3D, ambiance sonore : tout est mis en œuvre pour recréer l’atmosphère solennelle et grandiose du sacre royal. Le Mobilier National, héritier du Garde-Meuble de la Couronne fondé par Louis XIV, expose ses trésors — tentures, mobilier, orfèvrerie — en dialogue avec des prêts prestigieux issus de collections publiques et privées. La splendeur artisanale du début du XIXe siècle est ainsi ressuscitée dans une célébration à la fois historique et sensorielle.
Au fil du parcours, le visiteur découvre les coulisses de l’organisation du sacre, du déploiement logistique impressionnant — dont un cortège de six carrosses et 179 chevaux — jusqu’au banquet royal donné au palais du Tau, à Reims. Actuellement fermé pour rénovation, ce haut lieu du rituel monarchique fut réaménagé à l’époque par l’architecte François Mazois, en prévision du couronnement.
Grâce à une reconstitution et un dispositif 3D, le banquet et le festin retrouvent leur faste d’antan : verres en cristal de Montcenis, argenterie et porcelaine de Sèvres spécialement créées pour l’occasion, comme le détaille Ghislain Mondon, expert en porcelaine de Sèvres et prêteur de l’exposition.
Point d’orgue de la visite : la cérémonie elle-même, minutieusement reconstituée. Depuis la salle du trésor, où l’on peut contempler la Sainte Ampoule et la couronne dite de Charlemagne, jusqu’à la nef de la cathédrale, le parcours suit heure par heure les grandes étapes du rite : serment, onctions sacrées, remise des insignes dont la couronne, intronisation. Des mannequins en costumes d’époque, prêtés par des collectionneurs, incarnent les protagonistes de ce moment solennel et sont disposés autour du trône.
- La scénographie des obsèques de Louis XVIII © Mobilier National « Le Dernier sacre » – photo JLRF
À l’instar de Pierre Luc Charles Cicéri, décorateur en chef de l’Opéra de Paris à l’époque, c’est aujourd’hui Pasquale Mascoli, spécialiste des décors historiques, qui redonne vie au faste du couronnement. Deux arcades de la cathédrale ont été reconstituées à l’identique à l’aide de toiles peintes, tandis que jeux de lumière et ornements donnent à l’ensemble un réalisme saisissant. « On me demande parfois si le sacre de Louis XIV fut plus fastueux. Je réponds non, car tous les sacres suivaient les mêmes codifications », souligne Jacques Garcia.
Si Charles X tient à restaurer l’essence du sacre royal en conservant ses étapes fondamentales, il cherche un équilibre entre la tradition monarchique et une certaine adaptation à son époque. Ainsi, la cérémonie est raccourcie, les prières abrégées, marquant une volonté de modernisation. « Ce roi n’est pas ma tasse de thé », avoue Stéphane Bern, sourire en coin, avant d’ajouter : « Mais ce sont les savoir-faire des artisans d’art qui sont ici fêtés ! C’est une époque de transition, où la mécanisation et l’industrialisation bouleversent les modes de production. On brode, on tisse, on façonne la porcelaine à un niveau d’excellence jamais atteint. »
Un autre signe de cette évolution est la diversité du public présent lors du couronnement. Aux côtés de l’aristocratie et du clergé apparaissent désormais des figures issues de la France post-révolutionnaire - : maréchaux d’Empire, députés, maires, présidents de conseils généraux et magistrats. Un symbole fort d’une monarchie qui, tout en s’inspirant de l’Ancien Régime, intègre les nouvelles réalités du pays.
Deux siècles après, le sacre de Charles X fascine toujours. Non comme modèle politique, mais comme sommet d’un art de vivre, d’un art de savoir-faire, et d’un art de régner désormais révolu.
- Le trône de Charles X au Palais du Tau © Mobilier National « Le Dernier sacre » – photo JLRF
« Le Dernier sacre », Jusqu’au 20 juillet 2025
Manufacture des Gobelins 42, avenue des Gobelins, Paris 13, métro Les Gobelins
Informations : https://www.mobiliernational.cultur...
Photo en logo : Couronne dite de Charlemagne, Martin Guillaume Biennais et Charles Percier, 1804, © Musée du Louvre – photo JLRF