Une intéressante étude du cabinet Cost Legalis, menée par Denis Sauret et intitulée "Gestion des dépenses juridiques : Le fossé de maturité entre la France et les pays anglo-saxons" [1], analyse sur quatre domaines ce qui est qualifié de "niveau de maturité" des directions juridiques, avec une comparaison entre Français et Anglo-saxons, le tout essentiellement sur les sujets d’externalisation et de recours aux prestations d’avocats.
Au-delà de l’idée de dresser des bons ou mauvais points, l’étude a retenu notre attention par son caractère pédagogique, abordant de bonnes pratiques dont on peut s’inspirer. Exemple sur deux de ces points.
1er exemple : le sujet de la sélection des cabinets d’avocats et de la mise en place des panels.
L’étude présente ainsi l’approche : "L’objectif est de constituer un réseau de cabinets d’avocats aligné sur les besoins stratégiques et opérationnels de l’entreprise. Cela suppose en amont d’avoir une vision exhaustive, fiable et analytique des dépenses juridiques afin de caractériser précisément les besoins. Ensuite, une analyse des besoins juridiques et des critères de sélection est menée, suivie d’une stratégie de mise en concurrence avec un cahier des charges et des appels d’offres. Les cabinets sont ensuite segmentés en panels (Premium, Spécialistes, Volume) en veillant à l’alignement avec les besoins internes. Enfin, la formalisation contractuelle est réalisée avec la négociation des conditions tarifaires, la définition des KPIs et des modalités de renouvellement."
Chez les anglo-saxons, l’étude relève que "la direction juridique dispose ici d’une vision analytique des dépenses grâce à un reporting avancé, qui lui assure une compréhension fine des besoins. L’exploitation des données sécurise le processus de consultation et garantit une mise en concurrence régulière des cabinets. (...) La maturité croissante du dispositif rationalise les relations avec les cabinets et renforce la cohérence des interventions. Un premier niveau d’outillage technologique permet un suivi structuré du panel et une analyse des historiques de collaboration, ce qui offre plus de visibilité et de contrôle sur les engagements contractuels."
... Alors que chez les français, il est noté que "les panels constitués affichent le plus souvent des taux de couverture faibles, laissant de nombreuses prestations hors périmètre. Par ailleurs, l’absence de mise en concurrence effective et régulière limite les opportunités d’optimisation.
L’absence de gouvernance centralisée conduit à une gestion opportuniste et faiblement structurée de la sélection des cabinets d’avocats. Les choix se font au souvent sur la base de relations historiques ou de recommandations internes, sans critères objectifs suffisants ni cadre méthodologique défini. (...) a technologie n’est pas utilisée pour structurer, fiabiliser ou automatiser le processus de sélection."
Différences de culture ? D’investissement dans les données mesurées et les outils technologiques ? Sans doute... En tous cas, l’étude estime que le virage vers la performance économique des DJ françaises est encore inachevé.
"L’évolution vers une posture de véritable partenaire stratégique au service du business demeure partielle dans les directions juridiques françaises. Le pilotage par des indicateurs financiers précis, clé de voûte d’une véritable performance économique, reste encore timide."
2ème exemple : A l’autre bout du spectre, la mesure de la performance et le pilotage des dépenses.
Cette ultime phase de la relation DJ <-> Cabinets d’avocats permet d’évaluer l’impact des prestations externalisées et d’optimiser les coûts. Elle passe par " l’évaluation qualitative des cabinets via des KPIs et retours des opérationnels ; le suivi budgétaire et l’analyse des écarts de facturation ; la mise en place d’un reporting basé sur des outils dynamiques et la réévaluation annuelle des performances et un ajustement des panels en fonction des résultats obtenus."
Chez les anglo-saxons, des indicateurs clés sont créés "qui permettent d’évaluer la performance des cabinets et l’efficacité des prestations fournies. Ces KPIs offrent une base d’analyse pour mieux comprendre la répartition des coûts et identifier les écarts entre attentes et services rendus. (...) Des benchmarks internes et externes sont mis en place afin de comparer les pratiques et détecter des axes d’optimisation. (...) L’intégration progressive de solutions d’analyse des coûts, de suivi des performances et de visualisation des données permet un premier niveau de pilotage data-driven."
Alors que dans les directions juridiques françaises, les KPI’s et indicateurs de suivi de l’activité et des résultats des cabinets d’avocats sont rares. "Sans référentiels clairs, il est très difficile d’évaluer la qualité des prestations, de comparer les performances entre cabinets ou d’identifier des tendances pertinentes et fiables sur les coûts et services rendus. Faute de données exploitables, la gestion des dépenses reste réactive. Les décisions d’engagement sont prises avec trop peu de vision consolidée ni possibilité d’optimisation."
L’étude [2] aborde plus en profondeur ces sujets, et formule des recommandations sur l’évaluation, les données à recueillir et globalement la structuration des DJ qui permettra de rationaliser cette catégorie de dépenses - mais aussi fera entrer la direction juridique dans une démarche rationnelle généralisable.