Le Directeur Juridique, d'un centre de coûts à un partenaire stratégique de l'entreprise.

Le Directeur Juridique, d’un centre de coûts à un partenaire stratégique de l’entreprise.

Alexandre Verrien, Directeur Juridique.

Le paradoxe est frappant, oserais-je dire « consternant » : d’un côté, les départements juridiques sont souvent perçus comme des centres de coûts, des freins potentiels à l’activité ou de simples fonctions support ; de l’autre, il leur est de plus en plus demandé d’être "stratégiques", sans que cette notion soit clairement définie ni que les moyens nécessaires soient mis à disposition.
Cette injonction paradoxale place le directeur juridique dans une position délicate, où il doit à la fois protéger l’entreprise des risques juridiques et contribuer activement à sa stratégie de développement.
Schizophrénique, isn’t it ?
Face à cette situation, la responsabilité de transformer le département juridique en véritable partenaire stratégique incombe au directeur juridique lui-même.
C’est à lui de construire son département et sa stratégie pour dépasser la perception de centre de coûts et devenir un créateur de valeur reconnu au sein de l’organisation.
Cette transformation n’est pas une simple évolution cosmétique, ni même une question de sémantique, mais une refonte profonde de l’état d’esprit, des équipes, des modes de fonctionnement et des outils du département juridique.

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I. Dépasser la perception de centre de coûts : un défi fondamental.

La réalité d’une perception tenace.

La perception du département juridique comme centre de coûts reste profondément ancrée dans de nombreuses organisations.

Je suis certain que beaucoup d’entre vous ont entendu cette phrase à de maintes reprises, et personnellement je l’ai entendue, et je dois vous avouer que je ne l’ai pas forcément comprise ni même acceptée !

Quoiqu’il en soit, cette vision réductrice s’explique par au moins trois facteurs.
Tout d’abord, l’action du département juridique est souvent invisible lorsqu’elle est efficace - les risques évités ne se matérialisent pas, les contentieux prévenus n’apparaissent pas dans les bilans. Par ailleurs, le département juridique est rarement générateur de revenus directs, contrairement aux départements commerciaux ou marketing. Enfin, il est parfois perçu comme un frein à l’activité, intervenant tardivement dans les projets pour soulever des objections ou imposer des contraintes.
Cette perception est d’autant plus problématique qu’elle entre en contradiction frontale avec l’injonction croissante faite aux départements juridiques d’être "stratégiques". Comment être considéré comme un partenaire stratégique lorsqu’on est avant tout perçu comme un centre de coûts ? Comment justifier des investissements dans la fonction juridique lorsque sa contribution à la valeur de l’entreprise n’est pas clairement établie ?

L’injonction paradoxale d’être stratégique sans définition ni moyens.

L’exigence de "stratégie" adressée aux départements juridiques reste souvent floue, et revenons-y sans définition précise ni moyens associés.

On demande au directeur juridique d’être plus qu’un expert technique, de contribuer aux décisions stratégiques, d’accompagner le développement de l’entreprise, mais sans forcément lui donner un siège au comité exécutif, sans adapter ses ressources, sans intégrer systématiquement les considérations juridiques en amont des projets.
Ce décalage entre les attentes et les moyens crée une tension permanente que le directeur juridique doit gérer.

Il ne peut cependant se contenter de déplorer cette situation.

J’ai un secret à vous dire : si on ne vous donne pas cette place stratégique, c’est à vous de la prendre !

En effet, il incombe au directeur juridique de prendre l’initiative et de transformer son département pour qu’il soit reconnu comme un véritable partenaire stratégique. Cette transformation ne sera pas initiée par la direction générale, qui n’y verra pas l’intérêt parfois, tout en vous demandant d’être stratégique.

II. La transformation de l’état d’esprit : fondement de toute évolution.

Changer sa propre vision du rôle juridique.

La première étape de cette transformation consiste, selon moi, à faire évoluer sa propre vision du rôle du département juridique. Le directeur juridique doit lui-même dépasser la conception traditionnelle de sa fonction comme simple gardien de la conformité ou gestionnaire de risques. Il doit se percevoir comme un véritable partenaire business, contribuant activement à la croissance et au développement de l’entreprise.

Personnellement, très tôt, j’ai adopté cette posture, et je l’ai traduite en mots simples, « no business no legal, no legal no business ».

L’un ne va pas sans l’autre, il existe une forme de partenariat intrinsèque entre ce que l’on désigne communément sous l’appellation « business » et le département juridique. Mais, au-delà des mots, il faut traduire cela en actions, ce que nous verrons par la suite.

Ce changement d’état d’esprit implique donc nécessairement de sortir de la posture défensive souvent adoptée par les juristes pour embrasser une approche plus proactive et constructive. Il ne s’agit plus simplement d’identifier les risques, mais de proposer des solutions, de faciliter les projets, de contribuer activement à l’atteinte des objectifs commerciaux tout en protégeant les intérêts de l’entreprise.

Pour ce faire, je vais évoquer deux éléments très précis.

En premier lieu, la méthode Coué. Oui vous la connaissez forcément ! Il s’agit de cette fameuse méthode d’autosuggestion. Parfois, lorsque vous vous levez le matin, vous vous dites : « aujourd’hui sera une belle journée », et la journée tient toutes ses promesses. Alors évidemment, cela n’est pas aussi simple que cela de décréter, « je suis un partenaire stratégique », mais en tant que directeur juridique, vous incarnez votre fonction ; vous êtes celui qui donne le la. Si vous ne vous pensez pas en contributeur stratégique, alors vous ne serez pas perçu en tant que tel, par l’entreprise, ni par vos équipes.

En second lieu, le « comment » à la place du « non ». Lorsque j’ai pris la direction juridique France de Dell Technologies, j’ai clairement indiqué à mes interlocuteurs business : je ne vais pas dire non, sauf si ce que vous demandez est totalement illégal, mais je vais vous dire comment. Les têtes se sont tournées vers moi, j’avais capté leur attention, et les yeux se sont écarquillés, ils m’écoutaient ! Un « non » sec n’a pas d’utilité, mais un « non » accompagné d’une alternative renforce votre crédibilité.

Faire évoluer les mentalités au sein de l’équipe juridique.

Cette nouvelle vision, que vous incarnez donc !, doit ensuite être insufflée à l’ensemble de l’équipe juridique. Les juristes que nous-sommes sont souvent formés à identifier les problèmes, à repérer les failles potentielles, à exercer un sens critique. Toutes ces compétences sont absolument essentielles mais, malheureusement, si elles sont exclusives, elles peuvent conduire à une posture négative. Le directeur juridique doit donc encourager son équipe à développer également un esprit de solution, une capacité à proposer des alternatives constructives plutôt qu’à simplement opposer des objections.

Passer du simple « non, cela n’est pas possible » au complexe « alors, dans ces conditions, non, mais je vais te proposer une (ou des !) alternative(s) » n’est pas quelque chose qui se décrète. Cela se travaille, comme toute compétence.

Cette évolution des mentalités peut passer par des formations, du coaching, mais surtout par l’exemple donné au quotidien. Et j’en reviens là au directeur juridique lui-même, qui doit incarner ce changement de paradigme.

N’oublions pas que le directeur juridique est un leader, et que l’un des principaux traits du leader est d’avoir une vision, et de l’incarner. Ainsi, en tant que directeur juridique, il faut incarner cette nouvelle approche dans chacune des interactions, valoriser les initiatives positives de l’équipe, célébrer les succès qui illustrent cette vision plus stratégique du rôle juridique.

Modifier la perception des autres départements.

Au-delà de son propre département, le directeur juridique doit également travailler à faire évoluer la perception des autres services. Cette transformation de l’image, encore une fois, ne se décrète pas - elle se construit par des actions concrètes et répétées qui démontrent la valeur ajoutée du département juridique.

Chaque interaction avec les autres départements doit se concevoir comme une opportunité de démontrer que le service juridique n’est pas là pour bloquer mais pour faciliter, pas pour créer des obstacles mais pour sécuriser le chemin.

Cette évolution de la perception passe également par une présence plus en amont dans les projets. En intervenant dès la phase de conception plutôt qu’en fin de parcours, le département juridique peut intégrer les considérations juridiques de manière plus fluide et moins contraignante, évitant ainsi le syndrome du "si seulement vous nous aviez consultés plus tôt...", ou toute autre variante.

III. L’orientation business : parler le langage de ses interlocuteurs.

Comprendre profondément le business de l’entreprise.

Pour devenir un véritable partenaire stratégique, le directeur juridique et son équipe doivent développer une compréhension approfondie du business de l’entreprise.

Rappelons une évidence : comment soutenir un business si vous ne le comprenez pas ?

Lorsque j’ai intégré Dell Technologies, en plein confinement certes, j’ai cherché à comprendre le métier de Dell, ses lignes de produits, ses plans produits, ses marchés, ses challenges … il ne me semblait pas possible d’apporter quoique ce soit au « business » sans le comprendre !

En quelque sorte, et selon moi, cette connaissance va bien au-delà des aspects purement juridiques ; elle englobe les produits ou services, les cycles de vente, les défis opérationnels, la dynamique concurrentielle, les attentes des clients et les objectifs stratégiques de l’organisation.

Cette immersion dans la réalité business peut prendre diverses formes : participation aux réunions commerciales, visites de sites opérationnels, formations sur les produits, stages d’observation dans d’autres départements... L’objectif est de comprendre concrètement comment l’entreprise crée de la valeur et quels sont ses enjeux prioritaires.

Je me souviens avoir organisé pour mes équipes une présentation de la « supply chain » par le directeur Europe, afin que mes équipes comprennent la question de la fabrication des matériels, leurs emballages, le cycle de transport, jusqu’aux sites indiqués par les clients.

Les départements juridiques les plus efficaces vont jusqu’à intégrer des juristes au plus près des unités commerciales ou opérationnelles. Cette proximité favorise une meilleure compréhension des réalités du terrain et permet aux juristes de devenir de véritables partenaires du quotidien, plutôt que des intervenants occasionnels et distants.

Au tout début chez Dell Technologies, j’ai appelé chacun des leaders des organisations commerciales pour leur demander ceci : « vous avez un comité directeur pour votre segment, merci d’y inclure votre juriste référent, il va ainsi vous aider ».

De la réticence sur le court terme ? Oui un peu.

De l’efficacité sur le long terme ? Oui certainement.

Réduire le jargon juridique : parler la langue du business.

L’un des obstacles majeurs à la reconnaissance du département juridique comme partenaire stratégique réside également dans les problèmes de communication. Le jargon juridique, souvent technique et abscons pour les non-initiés, crée une distance et renforce la perception d’une fonction détachée des réalités opérationnelles.

Disons les choses, nous sommes des professionnels des mots, mais nous utilisons nos mots. Ceux que nous avons appris à l’université, distillés soit dans de grands amphis, soit en petits groupes, par d’éminents professeurs. Ou bien ceux dont nous avons appris la signification au travers des lexiques juridiques, je me souviens d’un petit lexique jaune, dont j’ai usé les pages.

Mais, ces mots sont-ils à la portée de nos interlocuteurs internes ? La réponse est très vraisemblablement : non.

Alors, le directeur juridique doit encourager son équipe à traduire les concepts juridiques en termes business compréhensibles.

Un "risque d’indemnisation" devient ainsi une "exposition financière potentielle de X millions d’euros".

Une "clause de limitation de responsabilité" se transforme en "protection financière en cas de problème".

Cette traduction n’est pas une simplification excessive mais une adaptation du message à son destinataire, permettant une véritable compréhension des enjeux juridiques par les décideurs non-juristes.

Rappelons-nous que dans la communication, la forme compte tout autant, si ce n’est plus, que le fond !

Au-delà de la terminologie, c’est toute la communication du département juridique qui doit être repensée et simplifiée. Les notes juridiques interminables laissent place à des synthèses concises mettant en évidence les implications business. Les avis juridiques binaires (autorisé/interdit) évoluent vers des analyses nuancées présentant options et recommandations. Les explications théoriques cèdent le pas à des exemples concrets tirés de la réalité de l’entreprise.

Cette adaptation du langage n’est pas un simple exercice de style ; elle est fondamentale pour faire comprendre les enjeux juridiques aux décideurs et faciliter une prise de décision éclairée. En parlant la langue du business, le département juridique montre qu’il partage les mêmes préoccupations et les mêmes objectifs que le reste de l’organisation.

Adopter une approche orientée problem-solving.

Le directeur juridique stratégique ne se contente pas d’identifier les problèmes ; il propose des solutions. Cette approche orientée problem-solving transforme radicalement la perception du département juridique, qui passe du statut d’obstacle potentiel à celui de facilitateur.

Concrètement, cela signifie que face à un projet comportant des risques juridiques, le réflexe n’est plus de dire "c’est impossible" mais de se demander "comment le rendre possible en maîtrisant les risques ?".

Du « non » au « comment ».

Il s’agit de proposer des alternatives, des adaptations, des solutions de contournement qui permettent d’atteindre l’objectif business tout en protégeant les intérêts de l’entreprise.

Cette approche implique une certaine créativité juridique, une capacité à explorer différentes options plutôt qu’à s’enfermer dans une analyse binaire. Elle nécessite également une bonne compréhension de l’appétence au risque de l’organisation et de la valeur business des projets, pour pouvoir proposer des solutions proportionnées aux enjeux.

Le directeur juridique qui adopte cette posture devient naturellement un interlocuteur recherché, consulté en amont des projets non plus par obligation mais par intérêt. Il n’est plus perçu comme celui qui dira "non", mais comme celui qui aidera à trouver comment dire "oui" de façon sécurisée.

J’ai souvenir que quand je suis arrivé chez Dell Technologies, j’ai entendu les mots suivants : « moins on voit le Legal, mieux on se porte » … en recherchant la cause, j’ai découvert que le département juridique était une étape contrainte et subie, mais surtout qui n’apportait pas de solution. Il m’a fallu transformer cela, je m’y suis employé.

IV. Des métriques qui parlent : démontrer sa valeur en termes business.

Dépasser les métriques traditionnelles du département juridique.

Les métriques traditionnellement utilisées par les départements juridiques - nombre de contrats revus, délais de traitement, volume de contentieux, et le nerf de la guerre : le budget - présentent deux limites majeures : elles mesurent l’activité plutôt que l’impact, et elles ne "parlent" pas aux dirigeants non-juristes, hormis peut-être la consommation budgétaire qui parlera au directeur financier.

Pour démontrer sa valeur stratégique, le directeur juridique doit adopter des indicateurs qui résonnent avec les préoccupations de la direction générale.

Il s’agit de passer de métriques centrées sur l’activité juridique à des indicateurs orientés business impact.

Par exemple, plutôt que de suivre le "nombre de contrats revus", on mesurera la "vélocité des deals", c’est-à-dire le temps nécessaire pour passer de la négociation à la signature. Cela peut paraître compliqué, évidemment, mais en faisant preuve de créativité, cela est possible.

Au lieu de comptabiliser les "risques identifiés", on quantifiera les "pertes financières évitées" grâce à l’intervention juridique.

Un exemple : les contentieux prudhommaux. Une estimation du risque est faite par les avocats notamment, mettons 1 million d’euros pour un cas particulier. Dans le cadre d’une stratégie de négociation, vous arrivez finalement à un accord transactionnel à hauteur de 600.000 euros … vous avez fait économiser 400.000 euros à la société. Voilà un exemple concret d’une perte financière évitée, un « gain » pour l’entreprise.

Cette évolution des métriques n’est pas uniquement un exercice de communication ; elle influence profondément la façon dont le département juridique définit ses priorités et organise son travail.

En se concentrant sur des indicateurs d’impact business, le directeur juridique oriente ainsi naturellement son équipe vers les activités créatrices de valeur pour l’entreprise.

Communiquer efficacement sur ces métriques.

La mise en place de ces indicateurs innovants n’est qu’une première étape ; encore faut-il les communiquer efficacement auprès de la direction générale et des autres départements. Cette communication doit être régulière, visuelle et adaptée à son public.

Alors disons les choses, là aussi très clairement : nous sommes des juristes, nous ne sommes pas des pros du marketing !

Cependant, il nous faut communiquer, et si possible bien communiquer.
Dans un premier temps, la régularité est essentielle pour démontrer l’évolution dans le temps et l’amélioration continue. Pour ma part, j’ai toujours opté pour un suivi trimestriel de certains indicateurs, car cela permet notamment de suivre l’évolution de ces indicateurs et de maintenir l’attention sur la valeur créée par le département juridique.

Dans un second temps, la visualisation des données facilite considérablement leur compréhension et leur impact. Des graphiques simples, des tendances clairement identifiables, des codes couleurs intuitifs permettent aux non-spécialistes de saisir rapidement les messages clés. Les tableaux complexes et les données brutes sont à éviter au profit de visualisations synthétiques et parlantes.

L’adaptation au public est cruciale : la même information peut être présentée différemment selon qu’elle s’adresse au directeur financier, au directeur commercial ou au directeur général.

Gardez en mémoire : la forme et le fond !

V. Une organisation adaptée : structurer son département pour maximiser l’impact.

Repenser la structure organisationnelle.

Pour devenir un véritable partenaire stratégique, le département juridique doit adapter sa structure organisationnelle aux besoins de l’entreprise.

Personnellement, je ne crois plus au modèle traditionnel centralisé, où tous les juristes sont regroupés dans un même service et interviennent indifféremment sur tous les sujets ; pour moi, et cela n’engage que moi évidemment, cette structure n’est pas toujours la plus efficace pour créer un impact stratégique.

Encore une fois, je vais utiliser ma propre expérience.

Lorsque j’ai intégré Dell Technologies, la direction juridique France avait une structure … toute particulière, que je n’ai d’ailleurs pas saisi tout de suite. J’ai pris le temps de faire un « audit » des rôles de chacune et chacun, de comprendre leur périmètre d’intervention, leur connaissance métier (i.e. : informatique) ainsi que leur connaissance juridique. J’ai ensuite implémenté le concept de « legal business partner » : chacun.e avait en charge un segment commercial et une ou deux expertises Legal. Il s’agissait donc d’un rôle plutôt dual : un support métier et un support juridique.

Ainsi, les membres de mes équipes étaient intégrés aux équipes opérationnelles ou commerciales, ce qui leur permettaient de développer une connaissance approfondie des enjeux spécifiques de leur périmètre et d’intervenir en amont des projets.

En même temps, les membres de l’équipe continuaient de capitaliser sur des expertises juridiques, l’une était spécialiste en protection des données, l’autre était passionnée de droit social, une autre encore était l’experte en droit de la concurrence, ou bien un jeune juriste spécialisé en droit de la consommation.

Ce système a prouvé son efficience, avec un rattachement au directeur juridique, garantissant cohérence et alignement global.

Cette proximité organisationnelle favorise naturellement une meilleure compréhension mutuelle, une intervention plus précoce et plus fluide du juridique, et une perception plus positive de la fonction. Les juristes ne sont plus perçus comme des intervenants extérieurs mais comme des membres à part entière de l’équipe business.

La gestion différenciée des demandes juridiques.

Toutes les demandes adressées au département juridique ne nécessitent pas le même niveau d’expertise ni la même implication. Le triage, inspiré des principes du triage médical, permet d’optimiser l’allocation des ressources et de maximiser l’impact stratégique.

Les demandes routinières et à faible valeur ajoutée peuvent être traitées via des systèmes de self-service (templates de contrats, FAQ juridiques, chatbots) ou déléguées à des paralegals.

Cette approche différenciée permet d’éviter que les ressources du département juridique ne soient absorbées par des tâches routinières ou à faible valeur ajoutée, au détriment des dossiers stratégiques.

Je me rappelle avoir été absolument « horrifié » d’apprendre que certaines de mes juristes senior passaient du temps à indiquer à leurs interlocuteurs où trouver les attestations d’assurance ou bien un KBIS.

Cette approche contribuera également significativement à améliorer les délais de traitement et la satisfaction des clients internes, renforçant ainsi la perception positive du département juridique.

Tout cela doit faire l’objet d’une réflexion profonde, mais heureusement il existe sur le marché des solutions de « legal ops » avec notamment du « ticketing ». La seule limite ? La créativité.

Alors justement, penchons-nous sur ces outils.

L’adoption d’outils adaptés à une fonction stratégique.

La transformation du département juridique en partenaire stratégique s’appuie nécessairement sur des outils adaptés. En effet, le changement de paradigme dans l’approche peut, et doit, s’accompagner d’outils technologiques.

Evoquons certains outils.

Les systèmes de gestion des contrats (CLM) automatisent le cycle de vie des contrats, de la rédaction à l’archivage en passant par la validation et la signature électronique. Ils réduisent considérablement les délais, standardisent les processus et limitent les risques d’erreur ou d’omission. Ils génèrent également des données précieuses sur les cycles de vente, les points de blocage récurrents ou les clauses les plus négociées.

Les plateformes de « legal ops » permettent de gérer efficacement le workflow du département juridique, d’allouer les ressources, de suivre les délais et de mesurer la performance. Elles offrent une visibilité précieuse sur l’activité du département et facilitent la production des métriques évoquées précédemment.

Les bases de connaissances et les systèmes de self-service démocratisent l’accès à l’expertise juridique au sein de l’entreprise. Ils permettent aux collaborateurs non-juristes de trouver rapidement des réponses à leurs questions simples ou d’accéder à des modèles de documents pré-validés, sans solliciter directement l’équipe juridique.
L’intelligence artificielle et l’analyse prédictive ouvrent de nouvelles perspectives pour le département juridique stratégique. Bien qu’encore émergente, l’IA va révolutionner nos métiers.

Mais sans aller nécessairement dans un chamboulement profond, nous avons mis en place au sein de Dell Technologies France un « law-bot », crée par nous-mêmes, sur une technologie disponible - Microsoft Teams. Cela nous a pris du temps, cela a nécessité un groupe de travail, mais le « law-bot » est devenu rapidement un membre virtuel de l’équipe, qui répondait aux questions simples, redirigeant vers du contenu crée, soit par nos équipes locales/régionales, soit par les équipes groupe.

L’adoption de ces outils ne doit cependant pas être une fin en soi, mais un moyen au service de la transformation stratégique. Chaque investissement technologique doit être évalué à l’aune de sa contribution aux objectifs stratégiques du département et de l’entreprise.

Il est plus que nécessaire d’avoir un vrai cas d’usage. Identifier le « souci » et identifier la solution.

VI. La cascade stratégique : aligner le département juridique sur la stratégie d’entreprise.

Le principe de la cascade stratégique.

Pour être reconnu comme un partenaire stratégique, le département juridique doit démontrer un alignement quasi-parfait, si ce n’est parfait !, avec la stratégie globale de l’entreprise.

La cascade stratégique est, selon moi, une méthodologie particulièrement efficace pour établir cet alignement de manière structurée et visible.

Le principe est simple : chaque entreprise met en place une stratégie corporate, parfois pluriannuelle, et celle-ci étant parfois cadencée par année. Le directeur juridique élabore dans ce cadre une stratégie spécifique pour son département, déclinant les objectifs généraux de l’organisation en objectifs concrets pour la fonction juridique. En fonction ensuite de la taille du département juridique, cette stratégie peut être cascadée à tous les niveaux du département, jusqu’aux objectifs individuels des membres de l’équipe.

Cette démarche présente de multiples avantages.

Elle garantit tout d’abord que chaque action du département juridique contribue effectivement aux objectifs stratégiques de l’entreprise.

Elle permet également à chaque membre de l’équipe de comprendre comment son travail quotidien s’inscrit dans la stratégie globale, renforçant ainsi l’engagement et le sens du travail.

Enfin, elle offre un cadre structuré pour communiquer sur la contribution stratégique du département juridique auprès de la direction générale.

La mise en œuvre de la cascade stratégique.

La mise en place d’une cascade stratégique efficace suit plusieurs étapes clés.

La première consiste à analyser en profondeur la stratégie corporate de l’entreprise, pour en extraire les implications directes et indirectes pour la fonction juridique. Cette analyse permet d’identifier les domaines où le département juridique peut apporter une contribution significative aux objectifs stratégiques de l’organisation.

Sur la base de cette analyse, le directeur juridique définit la vision et la mission de son département, en alignement avec celles de l’entreprise. Cette vision donne le cap à long terme, tandis que la mission précise la raison d’être du département juridique au sein de l’organisation.

L’étape suivante consiste à traduire cette vision en objectifs concrets pour le département juridique. Ils établissent un lien direct entre l’action juridique et les priorités stratégiques de l’entreprise.

Selon la taille du département juridique, ces objectifs sont ensuite déclinés par domaine d’expertise ou par équipe au sein du département juridique. Chaque sous-équipe élabore ensuite son propre plan d’action, identifiant les initiatives concrètes qui contribueront à l’atteinte des objectifs du département. Enfin, ces plans d’équipe peuvent/doivent servir de base pour les objectifs individuels pour chaque membre du département, créant ainsi une ligne de vue directe entre la stratégie de l’entreprise et les actions quotidiennes des juristes.

La cascade stratégique n’est pas un exercice ponctuel mais un processus continu. Elle doit être régulièrement revue et ajustée en fonction de l’évolution de la stratégie corporate et des retours d’expérience. En effet, selon moi, il ne faut pas créer une stratégie pour juste la laisser dans un powerpoint sur le PC ! Il faut nécessairement travailler dessus au cours de l’année, y revenir régulièrement, vérifier l’avancement des projets, et faire des mises à jour avec les équipes.

Pour ma part, j’ai conduit des « kick-offs » de début de semestre avec mes équipes pour que tout le monde soit bien aligné.

Communiquer sur l’alignement stratégique.

La mise en place d’une cascade stratégique constitue une opportunité précieuse pour communiquer sur l’alignement du département juridique avec les priorités de l’entreprise. Cette communication doit cibler à la fois la direction générale, les autres départements.

(encore un peu de marketing !)

Auprès de la direction générale, le directeur juridique peut présenter régulièrement l’avancement des initiatives juridiques stratégiques et leur contribution aux objectifs corporate. Cette communication formelle, si en plus elle est appuyée par des métriques concrètes, démontre le rôle du département juridique comme levier de réalisation de la stratégie.

Vis-à-vis des autres départements, la communication doit mettre en évidence les synergies entre les objectifs juridiques et leurs propres priorités. Il est tout à fait envisageable de mettre en place des sessions de présentation croisée des plans stratégiques, qui ainsi favoriseraient une meilleure compréhension mutuelle et identifieraient des opportunités de collaboration.

Cette communication multi-niveaux sur l’alignement stratégique transforme progressivement la perception du département juridique, qui passe de simple fonction support à véritable partenaire de la réalisation de la stratégie corporate.

Conclusion.

La transformation du directeur juridique et de son département en véritables partenaires stratégiques ne sera pas octroyée par la direction générale - elle doit être construite et démontrée par l’action.

Face au paradoxe d’être considéré comme un centre de coûts tout en étant enjoint à être stratégique, le directeur juridique, et implicitement la direction juridique, doit prendre l’initiative de cette transformation.

Cette évolution repose sur plusieurs piliers fondamentaux, comme nous l’avons vu précédemment.

Cette transformation n’est pas un parcours facile ni rapide. Elle exige une vision claire, une détermination sans faille et une capacité à emmener son équipe dans cette évolution. Elle implique également de sortir de sa zone de confort, d’acquérir de nouvelles compétences et de repenser fondamentalement son rôle au sein de l’organisation.

Les bénéfices sont cependant considérables, tant pour l’entreprise que pour le département juridique lui-même. L’organisation gagne un partenaire stratégique précieux, capable de sécuriser son développement tout en contribuant activement à sa croissance. Le département juridique voit son influence et sa reconnaissance s’accroître, attirant et fidélisant des talents motivés par cette vision plus stratégique de leur métier.

Le directeur juridique moderne n’est plus un simple expert technique confiné dans sa spécialité, mais un leader d’entreprise à part entière, qui comprend le business, parle le langage de ses interlocuteurs, résout des problèmes complexes et contribue directement à la création de valeur. En un mot, un véritable partenaire stratégique.

Alexandre Verrien, Directeur Juridique.

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