Qui dit imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) dit un impôt qui s’applique aux entreprises intervenant dans les secteurs dits de réseaux. Ces dernières sont caractérisées par l’exploitation d’infrastructures lourdes et la fourniture de services d’intérêt général. Prévue à l’article 1635-0 quinquies du Code général des impôts, cette imposition s’applique aux équipements ou installations des entreprises intervenant dans les secteurs de l’énergie, des transports, des télécommunications.
Comme le relève Ghizlane Loukili, docteur en droit privé, la taxation des entreprises de réseaux est « basée sur la valeur des installations de ces entreprises et vise à compenser l’utilisation des biens publics pour leurs activités commerciales » [1]. En effet, l’IFER est instituée au profit des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération intercommunale par la loi de finances [2] pour 2010, qui a remplacé la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale.
Le Conseil d’Etat a eu l’opportunité de se prononcer dans sa décision [3], sur l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux s’appliquant aux stations radioélectriques (IFER-SR). En l’espèce, il s’agit de la société Bouygues Télécom qui a réclamé la décharge des cotisations de l’IFER auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2020 à 2022 à raison des stations radioélectriques dont elle dispose dans les départements de la Vienne, de la Charente, de la Charente-Maritime et des Deux-Sèvres. A la suite du rejet de ses réclamations, elle saisit le Tribunal administratif de Poitiers qui par des jugements du 23 avril 2024 donne une suite défavorable à ses demandes. Elle se pourvoit alors en cassation contre ses jugements.
La société Bouygues Télécom soutient en effet que l’IFER s’appliquant aux stations radioélectriques, avait été instituée en méconnaissance tant des dispositions de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques que de celles de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le Code des communications électroniques européen, qui leur ont succédé.
A la question de savoir s’il y a méconnaissance des dispositions européennes, le Conseil d’Etat soutient que le fait générateur de ces impositions n’est pas lié à la procédure d’autorisation générale et donc il n’y a aucune méconnaissance du principe de proportionnalité énoncé par les directives européennes.
Cette décision constitue une belle illustration de l’appréciation par le juge administratif de cette imposition « particulière » tant au regard des dispositions du droit de l’UE que des dispositions internes. Le caractère forfaitaire de cet impôt ne sous-entend pas une banalisation des règles du droit fiscal qui s’appliquent.
L’analyse de cette décision amène à revisiter la jurisprudence du juge européen sur le fait générateur de l’IFER ainsi que le rappel des dispositions du droit interne sur l’IFER (I) et l’affirmation par le juge de la non-méconnaissance du principe de proportionnalité énoncé par les directives (II).
I- Le rappel de la jurisprudence du juge européen sur le fait générateur de l’IFER et les dispositions du droit interne sur l’IFER.
Le juge administratif, dans cette décision [4], revient de manière intéressante sur le cadre juridique s’appliquant aux entreprises de réseaux avant de mettre en lumière son analyse.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte des arrêts [5] de la CJUE, que « (…) la directive « autorisation » et les dispositions de la directive 2018/1972 qui lui ont été substituées prévoient non seulement des règles relatives aux procédures d’octroi des autorisations générales ou des droits d’utilisation des radiofréquences ou des numéros et au contenu de celles-ci, mais également des règles relatives à la nature, voire à l’ampleur, des charges pécuniaires liées auxdites procédures que les Etats membres peuvent imposer aux entreprises dans le secteur des services de communications électroniques » [6].
Par ailleurs, les dispositions de ces directives « ne sont cependant applicables qu’aux prélèvements dont le fait générateur est lié à la procédure d’autorisation générale, qui garantit le droit de fournir des réseaux ou des services de communications électroniques, et ne font pas obstacle à l’institution par les Etats membres d’autres prélèvements qui ne relèvent pas de leur champ » [7].
Selon l’article 1635-0 quinquies du Code général des impôts, L’IFER est instituée au profit des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération intercommunale. Les montants et tarifs de l’IFER sont revalorisés chaque année comme le taux prévisionnel, associé au projet de loi de finances de l’année, d’évolution des prix à la consommation des ménages, hors tabac, pour la même année.
Qui plus est, il résulte des dispositions de l’article 1519 H du Code général des impôts que le fait générateur de l’IFER s’appliquant aux stations radioélectriques est soumis à des conditions. Il s’agit de la disposition par le redevable :
- une station radioélectrique d’une certaine puissance au 1ᵉʳ janvier de l’année d’imposition ;
- la puissance impose un avis, un accord ou une déclaration à l’Agence nationale des fréquences [8].
Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de ces éléments que « le fait générateur de l’IFER-SR n’est pas lié à la procédure d’autorisation générale permettant d’accéder aux marchés des services de communications électroniques » ; et qu’eu égard à son fait générateur, l’IFER s’appliquant aux stations radioélectriques « ne constitue pas une redevance liée aux droits d’utilisation des radiofréquences ou aux droits d’utilisation du spectre radioélectrique » [9]. Et donc, cette imposition « ne présente pas les caractéristiques d’une redevance qui serait imposée aux entreprises fournissant des réseaux et des services de communications électroniques en contrepartie du droit de mettre en place des ressources, au sens et pour l’application de l’article 13 de la directive "autorisation" et de l’article 42 de la directive 2018/1972 » [10].
Cette solution de la Haute juridiction administrative n’est pas nouvelle en soi. Dans un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes en 2023, le juge administratif précise que : « l’imposition forfaitaire pour une centrale de production d’énergie électrique d’origine photovoltaïque est assise sur sa puissance électrique définie comme la somme des puissances unitaires maximales des machines électrogènes susceptibles de fonctionner simultanément dans un même établissement, identifié par son numéro d’identité au répertoire national des entreprises et des établissements » [11]. En l’espèce, il s’agit de la SARL Le Saint Patrick qui a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations d’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015, 2016 et 2017 à raison des centrales photovoltaïques qu’elle exploite, ainsi que des pénalités correspondantes. La société estime que l’administration fiscale aurait confondu les règles applicables à l’IFER et celles applicables aux autorisations d’exploiter, qui font expressément référence au cumul des puissances actives produites dans un même établissement. La cour répond par la négative. Cet arrêt est illustratif d’un juge administratif qui n’hésite pas à rappeler les règles internes applicables à l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux notamment « le fait générateur » et la puissance des installations imposables. Par ailleurs, dans une décision de 2018, le Conseil d’Etat souligne que l’IFER « ne constitue pas une imposition analogue ou semblable à la contribution des patentes au sens de l’article 1er de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 » [12].
Ces jurisprudences montrent la détermination du juge administratif à rappeler la nature de l’IFER et les règles de son applicabilité. Cette démarche est intéressante au regard des critiques dont fait l’objet cette imposition notamment de la part des entreprises concernées.
II- La non-méconnaissance du principe de proportionnalité énoncé par les directives.
Le Conseil d’Etat relève que le tribunal administratif de Poitiers n’a pas commis d’erreur de droit ni insuffisamment motivé ses décisions en jugeant que, dès lors que l’IFER-SR, dont le fait générateur n’est pas lié à la procédure d’autorisation générale, n’entrait pas dans le champ de l’article 12 de la directive « autorisation » et de l’article 16 de la directive 2018/1972 et qu’elle n’entrait pas davantage dans le champ de l’article 13 de la directive « autorisation » et de l’article 42 de la directive 2018/1972, ce prélèvement ne relevait pas du cadre de ces directives. De ce fait, le juge estime que la requérante ne pouvait utilement se prévaloir de ce que cette imposition méconnaîtrait le principe de proportionnalité énoncé par les dispositions de ces directives ou les objectifs généraux fixés à l’article 8 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 puis à l’article 3 de la directive 2018/1972, auxquels ces dispositions renvoient.
Le juge administratif n’est pas en effet étranger au principe de proportionnalité. Le contrôle de proportionnalité [13] qu’il opère souvent en ce qui concerne les mesures de police constitue une belle illustration. Quoique, en l’espèce, il n’est pas question de mesures de police, le juge administratif a su apprécier la question de proportionnalité que relève la requérante.
La société Bouygues Télécom en estimant que les autorités nationales auraient méconnu la teneur des directives européennes ; n’a pas tenu compte de la jurisprudence du juge européen en la matière. En effet dans sa décision du 17 décembre 2015, Proximus SA, le juge européen a clarifié la portée des articles 12 et 13 de la directive « autorisation ». Il souligne : « qu’une taxe dont le montant est défini forfaitairement par an et par antenne, et indexé de 2% chaque année, soit imposée à toute personne physique ou morale qui est titulaire d’un droit d’exploitation sur une antenne de téléphonie mobile installée sur le territoire d’une commune, définie comme toute antenne émettrice ou relais d’ondes électromagnétiques permettant la téléphonie mobile, reliée ou non à une station séparée, fixée ou non à un mât ou à un pylône » [14], ne s’oppose pas aux articles 12 et 13 de la directive.
L’utilisation de l’adverbe « forfaitairement » par le juge européen rappelle tout le sens de cette imposition acquittée par les entreprises de réseaux ; et, en droit français, ce caractère forfaitaire est également utilisé par le législateur comme le juge pour qualifier cet impôt au regard de son montant a priori minime.
Cette décision rendue par le Conseil d’Etat, en dépit de son caractère technique constitue une belle illustration de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux et de sa coordination avec les dispositions européennes.