Le nouveau régime légal de l’instruction en famille : peut-on saisir le médiateur académique en cas de refus ?

Par Salomé Mabilon, Avocate.

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Explorer : # instruction en famille # scolarisation obligatoire # droits des familles

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En France, l'instruction en famille a changé avec la loi de 2021, rendant l'autorisation préalable obligatoire. Depuis 2023, les recours ont explosé, suite à des refus administratifs. Les familles ressentent une inégalité territoriale et des inquiétudes face aux critères d'autorisation, rendant leur situation complexe et incertaine.
Description rédigée par l'IA du Village

Tous les ans, la médiatrice de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement supérieur publie un rapport annuel concernant le bilan des saisines de cette institution. Le dernier rapport, publié en 2024 fait la synthèse de toutes les saisines des médiateurs académiques et propose des recommandations. Il consacre une annexe entière aux saisines liées aux réclamations concernant l’instruction en famille. Que dire de l’évolution de ces saisines ?

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I. Un nouveau régime juridique pour l’instruction en famille en France.

L’instruction est obligatoire en France depuis la loi Ferry du 28 mars 1882. Le principe de l’obligation scolaire exige que tous les enfants âgés de trois ans à seize ans, présents sur le territoire français, bénéficient d’une instruction qui peut être suivie, au choix des personnes responsables de l’enfant soit dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé ; soit dans la famille.

La loi confortant le respect des principes de la République (loi n° 2021 – 1109 du 24 août 2021) a considérablement modifié le paysage existant en matière d’instruction en famille en substituant au principe de l’instruction obligatoire celui de la scolarisation obligatoire. Le Conseil d’État avait émis un avis 3 décembre 2020 précisant et justifiant la réforme en concluant que la restriction projetée alors est compatible avec la Constitution, dans la mesure où elle répond à des exigences de l’ordre public.

Si jusqu’à la rentrée 2022, l’instruction dans la famille était soumise à un simple régime de déclaration, la logique a été désormais inversée : au régime de la déclaration s’est substitué le régime de l’autorisation préalable d’instruction en famille [1]. Avec le passage de la déclaration préalable à l’autorisation, de nombreuses familles se sont vues alors refuser l’autorisation d’instruire leur enfant en famille.

Précisons à titre liminaire pour quels motifs peut-on solliciter l’instruction dans la famille ? L’instruction obligatoire pour tous les enfants de 3 ans à 16 ans est généralement dispensée dans un établissement scolaire (Public ou Privé). Un enfant peut aussi, sous conditions, recevoir cette instruction dans la famille.

Depuis la rentrée scolaire 2022 et conformément au Décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille, la possibilité de recevoir une instruction à domicile est soumise à l’obtention d’une autorisation si les parents veulent que leur enfant suive son instruction dans sa famille.
Cette autorisation est accordée selon les motifs suivants :

  • État de santé de l’enfant (motif 1a) ;
  • Situation de handicap de l’enfant (motif 1b) ;
  • Pratique d’activités sportives ou artistiques intensives de l’enfant (motif 2) ;
  • Itinérance de la famille en France (motif 3a) ;
  • Éloignement géographique de tout établissement scolaire public (motif 3b) ;
  • Existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif (motif 4).

En cas de refus, la famille peut contester la décision (voir à ce sujet l’article "Instruction en famille : quels recours contre un refus d’autorisation ?")

II. L’évolution des saisines « instruction en famille » : une flambée des réclamations en 2023.

Selon le rapport de la Médiatrice en 2023, le nombre de saisines relatives à l’instruction en famille (IEF) a été multiplié par 10 par rapport à l’année précédente. Plus de la moitié de ces demandes concernent les situations de refus d’IEF par l’administration.
Dès 2020, la médiation avait été saisie par des associations et des collectifs de parents d’enfants, en instruction en famille après l’allocution du président de la République sur le thème de la lutte contre les séparatismes indiquant la limitation potentielle de l’instruction en famille aux impératifs de santé. L’appui de la médiation était alors souhaité pour que le droit à l’IEF ne se réduisent pas à cet impératif.

Une fois la loi promulguée, la médiation a reçu de nombreuses saisines, notamment de parents annonçant leur volonté de la désobéissance civile. En 2022, une trentaine de saisines relatives à l’IEF pouvaient être dénombrées, notamment concernant le 4e motif de dérogation introduit par la loi « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».
En 2023, plus de 300 saisines ont pu être dénombrées.

Les principaux motifs de saisine des médiateurs par les familles sur l’année 2023 concerne les trois points suivants :

  • Le refus des premières demandes d’instruction en famille pour les enfants en maternelle est le principal motif de saisine de la médiation. En effet, les saisines concernent majoritairement l’école primaire et plus particulièrement la première scolarisation en maternelle. L’incompréhension des familles est particulièrement forte face au refus, quand les aînés ont déjà fait le choix de l’instruction en famille.
  • Les saisines des familles qui manifestent une incompréhension concernant la nature du motif 4. Le rapport précise : « Dorénavant le principe est bien celui d’une scolarisation pour tous les enfants et l’IEF requièrent une démarche marche étayée, soumise à l’instruction préalable des services académiques et à la validation du recteur. Les familles ressentent cette évolution comme un recul de leurs droits et peinent à comprendre que leur projet de vie - qui motive leur choix de mode d’instruction - ne constituent pas en lui-même une « situation propre de l’enfant » [2]
  • Une autorisation accordée pour une seule année leur semble complexe : l’autorisation est donnée pour la durée de l’année scolaire sauf si la demande est motivée par l’état de santé de l’enfant ou par son handicap où elle peut être accordée pour 3 années scolaires. Le rapport indique que : « pour un grand nombre de familles notamment celles qui formulent des demandes pour le motif 4, un fort sentiment d’insécurité quant à la continuité du parcours d’apprentissage de leur enfant, sans compter la charge administrative liée à la répétition des procédures annuelles ».

III. Les stratégies des familles selon le rapport de la Médiatrice.

Le rapport précise ces stratégies.

  • Les familles interpellent l’institution sur ce qu’elle perçoive comme des inégalités selon les territoires ; les autorisations d’IEF leur paraissant plus difficile à obtenir dans certaines académies que dans d’autres. Certaines familles s’imposent des mobilités pour éviter des territoires réputés particulièrement strict dans l’analyse des demandes d’IEF.
  • Les familles s’inquiètent aussi des contrôles dans leur saisine de la médiation. Le rapport indique que certaines familles demandent des conseils aux inspecteurs pour la mise en œuvre de la meilleure stratégie pour que leur dossier de demande soit accepté l’année suivante. Les inspecteurs consultés témoignent alors des difficultés déontologiques dans lesquelles ils se trouvent.
    Le rapport de la médiation conclut de l’analyse des données qu’il n’y a pas nécessairement de corrélation entre le taux de refus d’une académie et le nombre de saisies adressées au médiateur.

IV. Les pistes d’amélioration selon le rapport.

Le rapport propose quelques pistes de réflexion face à ces difficultés.

  • Dans un souci de cohérence, il pourrait être envisagé un traitement commun des fratries dans une analyse partagée entre les inspecteurs des premier et second degré afin d’éviter le sentiment d’injustice éprouvé par les familles.
  • Pour réduire l’écart entre les territoires dans l’analyse et le traitement des données de demandes d’IEF, une formation commune des personnels administratifs et pédagogiques en charge de ces dossiers ainsi que le partage de grilles précises d’évaluation des demandes pourrait être utile.
  • Afin d’harmoniser sur le plan national les calendriers de suivi des décisions et de sécuriser ainsi les réponses adressées aux familles, il conviendrait de s’assurer que le pilotage académique chargé du dispositif de contrôle de l’IEF soit effectivement nommé et identifié comme tel dans chaque académie.

Nul doute que le prochain rapport 2024 fera état de demandes de saisine accrues concernant l’instruction en famille dont les modalités d’acceptation demeurent hétérogènes. La période dérogatoire -qui permettait aux parents pratiquant déjà régulièrement l’IEF de continuer pendant 2 ans- est en effet terminée. Les familles qui mettaient déjà en place l’IEF avant la promulgation de la loi bénéficiaient d’un régime dérogatoire permettant si les contrôles s’étaient avérés positifs de continuer sans avoir à demander l’autorisation annuelle pendant 2 ans.

Le rapport de la médiatrice se conclu par les observations du défenseur des droits.

Dans un rappel à la loi du 12 avril 2024 relatif aux modalités de mise en œuvre du régime d’autorisation de l’élève, le défenseur des droits a adressé des observations au ministère de l’Éducation nationale sur 3 points :

  • Sur l’examen au fond des demandes d’IEF : le défenseur des droits a invité le Directeur général de l’enseignement scolaire à préciser les consignes destinées aux services chargés de l’étude des demandes pour assurer la cohérence de leur décision et les rendre plus lisibles pour les familles notamment s’agissant des demandes formulées sur le motif 4 (la situation propre de l’enfant). Cela permettrait une plus grande équité des décisions sur l’ensemble du territoire national.
  • Sur les justificatifs nécessaires à une demande d’instruction en famille : le défenseur des droits a invité le Directeur général de l’enseignement scolaire à s’assurer que le caractère alternatif des documents à fournir pour justifier de l’identité de l’enfant soit bien respectée par le service académique (copie lisible de la carte nationale d’identité ou copie lisible du passeport en cours de validité ou copie lisible du livret de famille ou copie lisible de l’extrait d’acte de naissance.)
  • Sur les modalités de réalisation des contrôles pédagogiques : le défenseur des droits a invité le Directeur général de l’enseignement scolaire à préciser les motifs pour lesquels l’enfant pourrait à titre exceptionnel être convoqué à un contrôle pédagogique en dehors de son domicile et à garantir le respect par les services académiques des consignes inscrites dans le vademecum de l’IEF de novembre 2020. En pratique, un très grand nombre de contrôles a lieu en dehors du domicile de la famille.

Salomé Mabilon, Avocate
Barreau de Carpentras
www.mabilonavocat.com

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[1Nouvel article L131-2 du Code de l’éducation.

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