I. Les droits des majeurs sous curatelle : une application bancaire parfois imparfaite.
A. Curatelle simple : une autonomie juridique malmenée par les pratiques bancaires ?
Depuis la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, les articles 427, 467, 468 et 472 du Code civil encadrent la relation des majeurs protégés avec leurs comptes bancaires, visant à les prémunir contre d’éventuels abus.
Alors qu’en curatelle renforcée, le curateur gère les revenus du majeur : il paie les factures et les dépenses, et remet le surplus au majeur, en curatelle simple, le majeur gère seul et librement ses revenus au moyen d’une carte de paiement et d’un chéquier.
L’annexe du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 définit ces différentes catégories d’actes et qualifie notamment certaines opérations portant sur des sommes d’argent.
Ainsi sont qualifiés d’actes d’administration : la perception des revenus, la réception des capitaux, ou encore la demande de délivrance d’une carte bancaire de retrait.
Inversement, constituent des actes de disposition, nécessitant l’assistance du curateur : l’emploi et le remploi des capitaux et des excédents de revenus, ainsi que la demande de délivrance d’une carte bancaire de crédit.
En outre, la jurisprudence constante reconnaît au majeur en curatelle simple la liberté de percevoir et d’utiliser ses revenus pour des achats courants, à condition que les dépenses restent raisonnables.
Pourtant, la pratique révèle une persistance de certains établissements bancaires à appliquer, par excès de prudence ou par manque de distinction, les règles plus strictes de la curatelle renforcée.
Il est préoccupant de constater que des majeurs placés sous curatelle simple se voient refuser l’accès à des outils de paiement indispensables à leur vie autonome, tels que chéquiers et cartes bancaires de paiement.
Ces refus, tout comme les blocages de comptes sans justification ou les demandes systématiques d’aval du curateur pour des actes administratifs courants, apparaissent comme des atteintes injustifiées à leurs droits fondamentaux et remettent en cause la bonne interprétation et l’application du cadre légal.
B. Entrave aux droits fondamentaux en curatelle simple : des conséquences juridiques à ne pas négliger.
Sur le plan juridique, ces restrictions bancaires constituent une discrimination.
Cette pratique, si elle est avérée, peut engendrer des préjudices significatifs, limitant l’autonomie financière, la capacité à gérer le quotidien et, par conséquent, la dignité des personnes sous curatelle simple.
Il est impératif que les établissements bancaires se conforment strictement aux dispositions légales, mettent en place des procédures internes claires et forment adéquatement leur personnel afin de distinguer avec précision les régimes de curatelle simple et renforcée, évitant ainsi des atteintes aux droits des majeurs protégés.
C. Hétérogénéité des pratiques bancaires : une injustice pour les majeurs protégés.
La disparité des pratiques observée entre les établissements bancaires, et parfois même au sein d’un même réseau, face à la gestion des comptes des majeurs sous curatelle constitue un facteur d’inégalité potentiellement préjudiciable.
Cette hétérogénéité, qui peut conduire à des traitements différents selon l’agence ou la banque, est contraire à l’esprit de protection uniforme que doit garantir la loi et complexifie la situation des personnes protégées.
Elle met en lumière la nécessité urgente d’une harmonisation des procédures au sein des établissements bancaires, afin d’assurer une application cohérente et respectueuse des droits des majeurs sous curatelle sur l’ensemble du territoire.
II. La protection des clients vulnérables face au risque d’abus de faiblesse : un rôle crucial des banques.
A. Devoir de vigilance des banques face à l’abus de faiblesse : une obligation éthique et légale.
Au-delà des obligations générales de prudence et de vigilance qui incombent aux établissements bancaires en vertu de l’article L511-1 du Code Monétaire et Financier, ces institutions ont un rôle éthique et légal essentiel à jouer dans la protection de leurs clients les plus vulnérables contre le risque d’abus de faiblesse, un délit pénal sévèrement réprimé par les articles 223-15-2 et suivants du Code pénal.
La détection d’anomalies apparentes sur les comptes de clients âgés, isolés ou manifestement fragilisés par des problèmes de santé doit alerter les banques et les inciter à une vigilance accrue, dépassant une simple observation passive.
B. Signalement au Parquet : une action bancaire préventive pour protéger les clients en danger.
Face à des signaux d’alerte sérieux et concordants laissant présumer un possible abus de faiblesse, les établissements bancaires ont une responsabilité significative.
Se retrancher derrière une interprétation restrictive du "devoir de non-ingérence" pourrait s’avérer non seulement contraire à leur rôle de conservation des actifs financiers de leurs clients, mais également potentiellement engager leur responsabilité civile.
Une démarche préventive et responsable consisterait à effectuer un signalement circonstancié au Parquet civil.
Ce signalement permettrait aux autorités judiciaires compétentes d’ouvrir une enquête afin de vérifier la réalité de la situation et, le cas échéant, d’évaluer la nécessité d’une mesure de protection juridique pour la personne vulnérable, conformément aux dispositions du Code civil relatives à l’ouverture des mesures de protection (Pour plus de détails, voir l’article Responsabilité du banquier face à un abus de faiblesse sur un client âgé).
Face à la multiplication alarmante de cas où des personnes âgées et isolées sont rapidement ruinées, l’inaction de certaines banques, malgré des anomalies apparentes sur leurs comptes (retraits DAB et opérations bancaires atypiques ou inhabituelles en raison de leur nature, de leur montant et/ou de leur fréquence, rachats successifs d’assurance-vie), reste préoccupante.
C. Recommandations de l’ACPR et de l’AMF : un cadre pour une responsabilité accrue des banques.
L’ACPR et l’AMF, pleinement conscientes des enjeux liés à la protection des clients vulnérables, encouragent vivement les établissements bancaires à adopter une vigilance particulière à leur égard.
Le Pôle commun de l’ACPR et de l’AMF a d’ailleurs publié une synthèse d’entretiens réalisés auprès de professionnels sur l’avancée de leurs travaux concernant la prise en compte de la vulnérabilité des clients âgés.
Leurs recommandations, qui portent notamment sur la formation spécifique du personnel à la détection des signaux d’alerte d’abus de faiblesse, sur la mise en place de procédures d’analyse des opérations suspectes et sur la nécessité d’une coopération active avec les autorités compétentes, vont clairement dans le sens d’une protection accrue de cette clientèle fragile.
Les récents travaux de suivi menés par l’ACPR et l’AMF mettent en lumière des avancées, mais aussi des disparités significatives :
- La moitié des établissements rencontrés a mis en place un Référent "Vulnérabilité" ou "Senior" ;
- La moitié a institué la possibilité pour les conseillers de solliciter le second regard d’un supérieur hiérarchique ou d’une direction juridique, de conformité ou des risques, afin de mettre en œuvre une vigilance renforcée et la mise en place d’actions de formation spécifiques destinées aux conseillers ;
- La moitié prévoit des rendez-vous à des âges clés, notamment le passage à la retraite, afin d’aborder d’éventuels nouveaux besoins ;
- La quasi-totalité des établissements rencontrés recourt à l’usage d’un âge "seuil" à partir duquel des mesures de vigilance sont mises en œuvre dans la relation avec le client.
Face à la gravité et à la convergence de signaux d’alerte signalant un possible abus de faiblesse, le rôle préventif des établissements bancaires devient fondamental.
Conclusion : un impératif de vigilance pour la protection des majeurs.
La protection effective des majeurs, qu’ils soient placés sous curatelle et bénéficient d’une protection juridique formalisée, ou qu’ils soient simplement des clients fragilisés exposés au risque d’abus, nécessite une implication coordonnée et une prise de responsabilité de la part de tous les acteurs concernés, au premier rang desquels figurent les établissements bancaires.
L’ACPR et l’AMF ont un rôle crucial de sensibilisation, d’incitation et de surveillance pour encourager l’adoption de pratiques respectueuses du droit et protectrices des plus vulnérables.
Leurs travaux récents soulignent à la fois les progrès accomplis et les efforts qui restent à fournir en matière de prise en compte de la vulnérabilité, notamment des clients âgés, par les établissements financiers.
Il est impératif de continuer à œuvrer pour une meilleure articulation entre le monde bancaire et le droit des majeurs protégés, afin de garantir une protection juridique et financière optimale pour les personnes qui en ont le plus besoin et de prévenir les conséquences souvent dramatiques de l’abus de faiblesse.