1. Altération des facultés personnelles et besoin de protection.
L’ouverture d’une mesure de protection judiciaire est donc subordonnée à la constatation médicale de l’altération des facultés mentales ou des facultés corporelles empêchant l’expression de la volonté [1].
Il existe plusieurs types de sauvegarde de justice, mais intéressons-nous à la sauvegarde de justice prononcée par le juge, saisi d’une demande de mise sous curatelle ou tutelle d’une personne majeure.
Cette mesure est plus communément appelée sauvegarde de justice pour la durée de l’instance, c’est-à-dire que le juge des tutelles l’ordonne en attendant de décider s’il est nécessaire d’ouvrir un régime d’une protection juridique de type curatelle (mesure d’assistance) ou de tutelle (mesure de représentation).
Il s’agit d’une phase d’instruction pendant laquelle le juge va prendre connaissance de la situation personnelle et patrimoniale de la personne à protéger, la rencontrer (si son état le permet) et questionner ses proches.
2. Un certificat médical circonstancié obligatoire.
Un certificat médical circonstancié rédigé par un médecin choisi sur la liste établie par le procureur de la République est donc nécessaire pour établir le besoin de protection.
Dans un rapport paru en septembre 2016, le Défenseur des droits a recommandé que les médecins rédigent avec davantage de précision les certificats médicaux qui doivent être circonstanciés et lisibles [2].
Une recommandation vise également à rendre obligatoire le suivi d’une formation adaptée par les médecins habilités à la protection juridique des majeurs et que soit créé, à cette fin, un diplôme universitaire d’expertise médicale en matière de protection des majeurs (un tel diplôme interuniversitaire est déjà mis en place en partenariat entre les universités de Paris Diderot et de Créteil).
3. Sur l’évaluation pluridisciplinaire du majeur à protéger.
Le Défenseur des droits a souhaité rappeler que si l’ouverture par le juge d’une mesure de protection juridique ne se fonde aujourd’hui que sur l’évaluation médicale du majeur à protéger, il n’en demeure pas moins qu’une évaluation pluridisciplinaire du majeur permettrait au juge, de bénéficier d’un recueil de renseignements sur la situation socio-économique ou médico-sociale de la personne lui permettant de prononcer une mesure de protection plus adaptée, graduée et individualisée.
En effet, le Défenseur des droits a constaté que le dispositif permettant au juge des tutelles de faire procéder à « une enquête sociale ou à des constatations par toute personne de son choix » [3] restait trop peu appliqué.
Pourtant, l’évaluation pluridisciplinaire de la situation de la personne dont la mise sous protection est envisagée permettrait ainsi au juge, mieux informé, de déterminer si la mesure est réellement indispensable et de l’ordonner uniquement dans les situations où cela se révèle réellement indispensable.
C’est pourquoi, la loi du 23 mars 2019 impose désormais au procureur de la République, de diligenter une enquête afin de déterminer si la situation personnelle de la personne concernée requiert effectivement une protection juridique, mais uniquement lorsqu’il est saisi par une personne autre que celle de l’entourage de la personne concernée :
« la requête transmise au juge des tutelles comporte en outre, à peine d’irrecevabilité, les informations dont cette personne dispose sur la situation sociale et pécuniaire de la personne qu’il y a lieu de protéger et l’évaluation de son autonomie ainsi que, le cas échéant, un bilan des actions personnalisées menées auprès d’elle » [4].
Cette obligation reste donc très limitée et ne s’applique que dans le cas où le procureur recevrait un signalement de personne en danger émanant d’un tiers (services sociaux, assistant de service social d’un hôpital, voisin, banquier en présence d’anomalies apparentes sur le compte d’une personne âgée…).
4. La sauvegarde de justice pour la durée de l’instance avec mandat spécial.
Le juge des contentieux de la protection peut être saisi d’une demande d’ouverture de mesure de protection par la famille ou l’entourage proche de la personne à protéger mais aussi par le procureur de la République.
Dans cette dernière hypothèse, il revient au procureur de mandater un médecin inscrit sur sa liste pour qu’il procède à l’examen de la personne concernée.
Dans certains cas, il est possible que la personne n’ait pas compris les raisons de cet examen et n’ait donc pas répondu de façon optimale aux question posées :
- Visite du médecin à l’improviste (effet de surprise) à un moment peu propice (début de matinée, heure du repas…)
- Visite en période d’hospitalisation temporaire consécutive à une chute à domicile, fragilité ou fatigue passagère consécutive à une intervention chirurgicale ou un évènement (décès d’un proche, par exemple…).
Une fois le certificat médical rédigé, le médecin l’envoie au procureur de la République qui l’adresse au juge des contentieux de la protection (juge des tutelles) accompagné d’une demande d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire.
À réception de cette requête accompagnée du certificat médical circonstancié, le juge des tutelles place la personne concernée sous sauvegarde de justice et, dans la majorité des cas, désigne un professionnel [5] auquel il confie un mandat spécial, bien que ce ne soit pas une obligation.
En pratique, la personne concernée va donc recevoir du tribunal ou du mandataire désigné un courrier lui notifiant l’ordonnance la plaçant sous sauvegarde de justice.
Cette décision de placement sous sauvegarde de justice n’est pas susceptible de recours.
Seul le contenu du mandat et le choix de la personne désignée pour l’exercer, peuvent être contestés dans le court délai de 15 jours.
En tout état de cause, ce recours est illusoire car le délai de fixation des affaires devant la Chambre de la Protection des Majeurs des Cours d’appel varie entre 6 mois à 12 mois, voire plus selon les juridictions… alors que la sauvegarde de justice est caduque au-delà d’un an.
Pour mieux comprendre ce que la sauvegarde de justice avec mandat spécial implique, nous avons ci-après reproduit le mandat judiciaire le plus courant :
« Nous, XX juge des tutelles, assistée de XX, faisant fonction de Greffière ;
Vu les dispositions des articles 415, 425 et suivants du Code civil, 437 alinéas 2 et 3 et 1217 et suivants du Code de procédure civile ;
Vu la requête de Monsieur le Procureur de la République présentée au juge des Tutelles en vue de l’ouverture d’une mesure de protection dans l’intérêt de Mme X. et le certificat médical en date du délivré par le Dr Z., médecin inscrit sur la liste établie par le procureur de la République ;
Attendu que la requête est conforme aux dispositions des articles 1218 et suivants du Code de procédure civile, il convient en conséquence de la déclarer régulièrement introduite.
Attendu qu’en vertu de l’article 433 alinéa 2 du Code civil, le juge peut pour la durée de l’instance, lorsqu’il est saisi d’une procédure de tutelle ou curatelle, placer sous sauvegarde de justice la personne à protéger ;
Qu’il y a lieu de la placer sous le régime de la sauvegarde de justice pour la durée de l’instance et en raison de l’urgence de statuer sans avoir entendu Mme X conformément aux dispositions de l’article 433 al 3 du Code Civil ;
Que l’intéressée n’ayant pas, à notre connaissance, constitué de mandataire, et n’étant pas en mesure d’administrer ses biens du fait de son état de santé ou de son incurie, il apparait nécessaire de lui désigner un mandataire spécial pendant la durée du placement sous sauvegarde de justice ;
Qu’en raison de l’urgence. il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente ordonnance, conformément à l’article 1232 du Code de procédure civile :
Par ces motifs :
Statuant non publiquement,
Déclarons régulièrement introduite la procédure d’ouverture d’un régime de protection de Mme X.
Que nous plaçons sous le régime de la sauvegarde de justice pour la durée de l’instance.
Désignons M. Y., mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de mandataire spécial avec pour mission de :
1° Percevoir seul les pensions et revenus de toute nature dont l’intéressée peut se trouver titulaire,
2° Les appliquer à son entretien et à son traitement, ainsi qu’à l’acquittement de ses dettes courantes et des obligations alimentaires dont l’intéressée pourrait être tenue,
3° Recevoir tout le courrier de l’intéressée même en la forme recommandée et notamment les relevés des chèques postaux et des banques ainsi que les mandats,
4° Faire seul fonctionner pendant la durée du mandat les comptes de dépôts bancaires ou postaux ouverts au nom de l’intéressée,
5° Bloquer tous les comptes de placement étant précisé que tous les mouvements de compte devront être autorisés par le juge des tutelles,
6° Ouvrir en tant que de besoin un compte argent de vie au nom du majeur à protéger, compte auquel peut être associé une carte de retrait ou une carte de paiement à interrogation systématique du solde, et ce dans l’un des établissement dont le majeur à protéger est client au jour du dépôt de la requête en ouverture d’une mesure de protection ;
Disons que les établissements détenteurs de comptes. devront accuser réception au mandataire spécial de la présente ordonnance ;
Révoquons en tant que de besoin toutes procurations antérieures qui auraient été données para personne à protéger ;
Disons que M. Y. nous rendra compte de l’exécution de son mandat dans un délai de deux mois ;
Ordonnons l’exécution provisoire de la présente ordonnance,
Ordonnons la notification de la présente décision à la majeure protégée via le mandataire désigné,
Disons qu’un avis sera transmis au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX conformément aux dispositions de l’article 1249 du Code de procédure civile ».
5. Sur les effets de la sauvegarde de justice avec mandat spécial.
La personne concernée n’a donc pas encore été auditionnée par le juge et bien souvent n’a pas été informée de la procédure initiée à son insu.
En effet, certaines personnes découvrent l’existence de la sauvegarde de justice à réception de la lettre de notification.
Parfois l’information émane directement de la banque. Il arrive en effet, que le compte courant et les moyens de paiement soient bloqués avant même que le mandataire judiciaire n’ait rencontré la personne protégée pour l’informer de la mesure et lui expliquer en quoi elle consiste.
L’effet produit sur la personne vulnérable à protéger est dévastateur et compromet l’établissement d’une indispensable relation de confiance avec le mandataire.
Il en découle ce paradoxal constat : la plus souple des mesures de protection s’avère en réalité la plus violente.
En effet la personne dite « protégée » ou « à protéger » se voit obligée de remettre son chéquier à un mandataire judiciaire professionnel « étranger » à la famille. Sa carte bancaire est bloquée et elle ne reçoit plus son courrier. Les codes d’accès à ses comptes sont changés et la banque refuse de lui communiquer les informations concernant ses comptes. Les retraits d’espèces ne sont plus possibles.
Désormais, la gestion des ressources incombe exclusivement au mandataire judiciaire alors que la personne concernée ne le connait pas et n’a jamais rencontré un juge.
Bien que placé sous sauvegarde de justice, le majeur protégé conserve la capacité d’exercer tous les actes juridiques (sauf ceux confiés au MJPM), en pratique il se trouve démuni.
D’aucuns y voient une atteinte incommensurable à leur droits et libertés, d’autres hélas plus fragiles auront préféré le suicide.
C’est pourquoi, le rôle du MJPM est essentiel.
Il exerce sa mission dans le respect des droits et libertés de la personne protégée en vertu des treize principes énoncés dans la charte des droits et libertés de la personne protégée laquelle lui garantit :
Respect des libertés individuelles et des droits civiques, non-discrimination, respect de la dignité de la personne et de son intégrité, liberté des relations personnelles, droit au respect des liens familiaux, droit à l’information, droit à l’autonomie, droit à la protection du logement et des objets personnels, consentement éclairé et participation de la personne, droit à une intervention personnalisée, droit à l’accès aux soins, protection des biens dans l’intérêt exclusif de la personne et confidentialité des informations [6].