Protection judiciaire ou mise sous tutelle : explications !

Par Claudia Canini, Avocat.

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La protection des majeurs vulnérables est un devoir des familles. Toute restriction des droits et libertés d’une personne doit rester exceptionnelle et motivée. L'ouverture d'une mesure de protection juridique doit être demandée par le juge des tutelles sur la base d'un certificat médical détaillé.
Description rédigée par l'IA du Village

La population vieillit, c’est un fait et nous sommes tous concernés par la protection des personnes vulnérables. Pourtant, depuis peu les médias s’intéressent au sujet. D’aucuns s’insurgent du fait que des enfants puissent interférer dans la gestion des biens de leur parent. D’autres s’étonnent que le patrimoine de leur parent puisse être géré par un tiers, inconnu de la famille.

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Les questions foisonnent : peut-on mettre sous tutelle une personne âgée capable d’exprimer ses sentiments ? Qui en fait la demande ? Quelles sont les conditions de la mise sous protection ? Quelle différence entre mise sous tutelle et protection judiciaire ?

1. Rappel des dispositions légales encadrant la protection judiciaire des majeurs.

La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet âge, chacun est capable d’exercer les droits dont il a la jouissance [1].

Toute restriction des droits et libertés d’une personne doit rester exceptionnelle et motivée.

La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1er janvier 2009 a modifié en profondeur les règles édictées en 1968, jugées trop attentatoires aux libertés individuelles.

En effet, dans bien des cas, le principe de gradation des mesures en fonction de l’état psychique des intéressés n’était plus retenu.

Une tutelle était très souvent ouverte, alors que la situation de la personne justifiait simplement le prononcé d’une curatelle, mesure incapacitante moins lourde.

En réformant la protection juridique des majeurs, le législateur a souhaité garantir à tout citoyen le droit d’être protégé pour le cas où il ne pourrait plus s’occuper seul de ses intérêts.

2. Qui peut demander l’ouverture d’une mesure de protection ?

La réforme a supprimé la possibilité pour le juge des tutelles de se saisir d’office.

En contrepartie le nouvel article 430 du Code civil a élargi la liste des personnes autorisées à demander l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire :

  • la personne qu’il y a lieu de protéger,
  • le conjoint,
  • le partenaire avec qui il a conclu un PACS ou le concubin, sauf si la communauté de vie a cessé entre eux,
  • un parent ou allié,
  • une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables,
  • la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique (mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde justice, curateur, tuteur),
  • le procureur de la République, soit d’office, soit à la demande d’un tiers.

À défaut de famille ou de proche habilité à saisir le juge des tutelles, un signalement doit donc être adressé au procureur de la République.

Deux conditions s’imposent à tout requérant, y compris au procureur de la République à peine d’irrecevabilité :

  • La demande est accompagnée d’un certificat médical circonstancié rédigé par un médecin agréé choisi sur une liste établie par le procureur de la République [2] ;
  • Elle précise également l’énoncé des faits qui motivent la demande de protection.

3. Les apports de la réforme : prise en compte des intérêts personnels du majeur protégé.

L’individu est placé au cœur des dispositifs de protection.

Le nouvel article 415 du Code civil édicte expressément que les majeurs reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire.

Ce texte proclame aussi que la protection est instaurée et assurée :

  • Dans le respect des libertés individuelles,
  • Des droits fondamentaux et de la dignité de la personne,
  • Elle a pour finalité l’intérêt de la personne, en favorisant, dans la mesure du possible, son autonomie.

En outre, la loi pose des règles concrètes, afin que l’intéressé soit entendu sur l’opportunité de la mesure et sur le choix de la personne chargée d’en assurer l’exécution [3].

Ces règles s’efforcent aussi de mieux prendre en compte les besoins individuels des majeurs vulnérables ; chaque mesure doit être personnalisée et prononcée pour une durée limitée [4].

4. La nécessité et la proportionnalité des mesures de protection contrôlées par les juges.

Les régimes de protection judiciaire ayant cette double particularité d’être des régimes de protection et d’incapacité pour le majeur vulnérable, le législateur a voulu restaurer leur caractère exceptionnel.

La mesure de protection ne peut être ordonnée qu’en cas de nécessité [5].

Seule l’altération des facultés mentales ou corporelles médicalement constatée peut justifier une mesure de protection juridique [6].

La mesure prononcée est proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés personnelles de l’intéressé [7].

Elle favorise, dans la mesure du possible, son autonomie, c’est-à-dire l’autonomie de son consentement.

C’est à la lumière du certificat médical circonstancié que le choix de la mesure doit être décidé afin de ne pas priver abusivement un personne majeure de la capacité d’exercer ses droits [8].

Exemples concrets :

  • S’agissant d’une personne, qui, selon la cour d’appel, minimisait sa perte d’autonomie physique, était particulièrement vulnérable et influençable et ne disposait pas « d’un étayage social et familial stable ».
  • La cour d’appel a considéré que la vulnérabilité, l’influençabilité et l’isolement accompagnant une altération des facultés physiques pouvaient limiter les capacités d’expression et caractériser ainsi que M. X. était empêché d’exprimer sa volonté.
  • La Cour de cassation indique très clairement que le contexte de vie de la personne présentant exclusivement une altération de ses facultés physiques ne suffit pas à rendre possible le prononcé d’une mesure de protection et que l’empêchement doit résulter directement de l’altération des facultés physiques de la personne, et non de ses conditions de vie [9].
  • Attendu que lors de son audition M. X a indiqué pouvoir gérer seul ses affaires, avec l’aide de personnes désignées par ses soins, et ne pas avoir besoin de mesure de protection. Qu’en outre il produit diverses pièces à l’appui de ses déclarations qui ne mettent pas en lumière une incurie administrative comme évoquée par le médecin expert. Attendu qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments que la mise en place d’une mesure de protection n’est pas justifiée au regard de la situation réelle de M. X. ; Qu’un non-lieu sera prononcé en conséquence [10].
  • En définitive, si Mme X se trouve dans une situation de totale dépendance physique nécessitant l’intervention de tiers pour tous les actes de la vie courante, il n’en demeure pas moins qu’elle ne présente aucune altération de ses facultés mentales et que les atteintes de ses facultés corporelles, ne sont pas de nature à l’empêcher d’exprimer sa volonté, comme la cour a pu le constater à l’occasion des deux audiences auxquelles elle a comparu et a clairement exposé son positionnement, ses souhaits, ses refus, son attitude à l’égard du curateur désigné, dans des termes clairs et adaptés aux questions posées. (...) Les conditions légales permettant de prononcer une mesure de protection ne sont donc pas remplies. D’où il s’ensuit que le jugement contesté sera infirmé et qu’il sera dit n’y avoir lieu à protection à l’égard de Mme X. [11].
  • Encourt la cassation le jugement qui maintient une personne sous curatelle renforcée en se contentant d’énoncer qu’il ressort du rapport d’expertise médicale que des problèmes physiques liés à l’âge et un état dépressif démontrent un besoin d’être conseillé et contrôlé dans les actes de la vie civile [12].

5. L’ouverture d’un régime de protection judiciaire est toujours subsidiaire.

Ce doit être le dernier recours, lorsqu’aucun autre mécanisme n’est possible.

Ainsi, le juge doit se poser la question de savoir si le majeur ne peut pas être suffisamment protégé par d’autres techniques juridiques moins lourdes : assistance apportée par des membres de la famille, règles de représentation des régimes matrimoniaux, procuration….

  • Attendu qu’aucune des règles du droit commun, ni aucun régime moins contraignant ne suffit à pourvoir aux intérêts de la personne à protéger ; qu’il convient dès lors de prononcer une mesure de curatelle (…).

6. La préférence familiale est affirmée quant au choix du tuteur ou du curateur.

Pour le choix de la personne qui sera chargée d’exercer la mesure de protection, la réforme prône également la recherche de la volonté exprimée par le majeur, son intérêt ainsi que la priorité aux liens familiaux, d’affection ou de confiance [13].

Le juge des tutelles ne peut écarter le choix du conjoint ou d’un enfant sans expliquer en quoi la désignation d’un tiers professionnel (Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs- MJPM) est « commandée par l’intérêt de la personne protégée » [14].

Application de la priorité familiale.

  • Le conflit qui oppose les enfants entre eux tient à des raisons qui n’appartiennent qu’à eux.
    Si leur mère en est l’enjeu, la gestion de ses intérêts n’est en cause qu’autant que chaque enfant prend une position personnelle qui, en tout état de cause, sera toujours opposée à la position des partisans de l’autre « camp ».
    Outre que, quel que soit le curateur désigné, le conflit continuera manifestement de s’exprimer, les décisions qui poseront difficulté dans le cadre de la gestion de la mesure sont celles relatives aux liens entre chaque enfant et sa mère que le juge des tutelles a déjà été appelé à trancher et qu’il pourra continuer à arbitrer, étant en outre rappelé que la gestion financière par le tuteur se fait avec l’accord de la personne protégée et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
    Le conflit n’est donc pas en l’espèce de nature à paralyser l’action du curateur familial dont la désignation, conforme au souhait de Mme Y n’est pas contraire aux intérêts de la personne protégée [15].

Dans le sens contraire.

  • Comme cela avait également été souligné, il existe un important conflit familial ancien entre M. X. et les autres membres de la famille, chacun ayant en outre des intérêts financiers dans les sociétés familiales au patrimoine important. (...).
    Concernant la tutelle aux biens, l’étude des pièces produites démontre que le majeur protégé est toujours le gérant de plusieurs SCI alors qu’il n’est plus en état d’exercer ses fonctions et que rien n’a été fait juridiquement pour que ces sociétés soient valablement représentées pour fonctionner en respectant les règles légales (...).
    En conséquence, sans qu’il soit nécessaire de détailler plus avant les griefs des uns à l’encontre des autres, les particularités et la consistance du patrimoine du majeur protégé, les actions à mener pour régulariser notamment la gérance et le fonctionnement des sociétés et la prégnance du conflit familial justifient pour l’instant la nomination d’un mandataire judiciaire professionnel pour exercer les fonctions de tuteur aux biens afin de s’assurer que les décisions prises le seront à l’aune de ses seuls intérêts [16].

L’essentiel à retenir.

La protection des majeurs vulnérables est un devoir des familles.

Toute restriction des droits et libertés d’une personne doit rester exceptionnelle et motivée.

L’ouverture d’une mesure de protection juridique du type sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, suppose qu’elle soit expressément demandée au juge des tutelles sur le fondement d’un certificat médical circonstancié.

L’obligation de la famille vis-à-vis d’un majeur atteint d’une altération de ses facultés se traduit par le renforcement du principe de priorité familiale dans le choix du tuteur.

La protection a pour finalité l’intérêt de la personne protégée.

Les juges ont l’obligation de motiver leur jugement au regard de ces principes.

Claudia Canini
Avocat au Barreau de Toulouse
Droit des majeurs protégés
www.canini-avocat.com

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[1C. civ. art. 414

[2C. civ. art. 431.

[3C. civ. art. 430 et 432.

[4C. civ. art. 441.

[5C. civ. art. 428.

[6C. civ. art. 425.

[7C. civ. art. 428 al. 2.

[8Cass. 1ère civ. 11 mai 2023, n° 21-19.173.

[9Cass. 1ère civ. 21 nov. 2018 n° 17-22.777.

[10Tribunal judiciaire Toulouse, 13 nov. 2018.

[11Cour d’appel Toulouse, décision du 23 nov. 2021.

[12Cass. 1ère civ. 29 févr. 2012, n° 10-28.822.

[13C. civ. art. 449.

[14Cass. 1ère civ. 9 juil. 2014 n°13-20.077.

[15Cour d’appel Toulouse, décision du 15 sept. 2015.

[16Tribunal Judiciaire Toulouse, décision du 22 nov. 2022.

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