L’article 425 du Code civil dispose que lorsqu’une personne est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté, elle peut bénéficier d’une mesure de protection juridique.
On distingue traditionnellement les mesures de protection judiciaire (tutelle, curatelle et sauvegarde de justice [1] et les mesures de protection non-judiciaire habilitation familiale [2] et mandat de protection future [3].
Ces mesures permettent de désigner un tiers – familial ou professionnel – chargé d’assister ou de représenter le majeur protégé dans ses décisions personnelles, administratives, patrimoniales, etc.
Dans ce cadre, l’article 449 du Code civil prévoit le principe de la priorité familiale : le juge des tutelles est normalement tenu de désigner un membre de la famille ou un proche en tant que curateur ou tuteur.
La désignation d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (« MJPM ») n’est qu’une exception, comme le prévoit l’article 450 du Code civil.
Cependant, en pratique, il est très fréquent que les juges des tutelles considèrent que l’existence d’un conflit familial [4] entre les proches du majeur à protéger justifie la désignation d’un MJPM en qualité de curateur ou tuteur.
Dans cet article, il convient donc d’apporter un éclairage sur les modalités de désignation du curateur ou du tuteur en cas de conflit familial :
- D’abord, les principes applicables ;
- Ensuite, l’exception et la potentielle désignation d’un MJPM ; et
- Enfin, les techniques permettant d’essayer de privilégier le principe de priorité familiale.
NB : Cet article ne concerne que les mesures de protection judiciaire. En effet, par définition :
- Le mandat de protection future permet de désigner à l’avance le mandataire de son choix ;
- L’habilitation familiale ne permet de désigner qu’un membre de la famille.
I – Les principes : la primauté de la volonté du majeur à protéger et la priorité familiale.
L’article 449 du Code civil dispose que :
« À défaut de désignation faite en application de l’article 448, le juge nomme, comme curateur ou tuteur, le conjoint de la personne protégée, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu’une autre cause empêche de lui confier la mesure.
À défaut de nomination faite en application de l’alinéa précédent et sous la dernière réserve qui y est mentionnée, le juge désigne un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables.
Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l’intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage. »
A– La primauté de la volonté du majeur à protéger.
Le Code civil fait tout d’abord primer la désignation faite en application de l’article 448 du code civil, c’est-à-dire la désignation faite par le majeur à protéger dans un mandat de protection future.
Ce mécanisme permet aux personnes –encore en mesure d’exprimer leur consentement– d’anticiper l’organisation de leur vie et de leur patrimoine dans le cas où leurs facultés mentales ou physiques seraient altérées. Il permet notamment de désigner la personne que l’on souhaite voir désigner en tant que mandataire (et qui exercerait globalement les missions d’un tuteur).
L’article 449 du Code civil fait également référence aux « sentiments exprimés » par le majeur à protéger, c’est-à-dire à sa volonté et aux affinités qu’il entretient avec ses proches.
B– La priorité familiale pour la désignation du curateur ou du tuteur.
L’article 449 du Code civil affirme clairement le principe de la priorité familiale. Il prévoit que le juge des tutelles doit en principe désigner, comme curateur ou tuteur, les personnes suivantes :
- Le conjoint ou partenaire de PACS ;
- À défaut, un parent, un allié (par exemple, un frère, une sœur, un fils ou une fille) ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables.
Le principe de priorité familiale est aisément compréhensible.
- D’abord, il s’agit d’un « devoir des familles », comme l’indique l’article 415 du Code civil.
- Ensuite, en raison de leurs liens affectifs, les proches du majeur protégé sont généralement les mieux placés pour comprendre leurs besoins, leurs habitudes et leurs souhaits, pour les rassurer et partant, pour les assister ou les représenter de manière réactive et flexible.
- Enfin, l’accompagnement d’un proche est généralement mieux accepté par le majeur protégé et permet de maintenir des liens familiaux et un environnement rassurant, d’autant plus important si le majeur protégé est âgé ou souffre de troubles cognitifs.
II– L’exception : l’intérêt supérieur du majeur protégé exigeant la désignation d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
A– L’écartement du principe de priorité familiale.
Les juges des tutelles considèrent que l’application du principe de priorité familiale repose sur l’absence de conflit familial ou de situation de mésentente grave entre les proches du majeur à protéger.
En effet, lorsque les relations familiales sont marquées par des tensions (par exemple financières) ou des divergences de points de vue concernant la prise en charge de la personne ou la gestion du patrimoine, la désignation d’un membre de la famille au dépends d’autres peut être source de difficultés : remise en cause de la gestion du curateur ou tuteur, éloignement du majeur protégé d’une partie de la famille, aggravation du conflit, abus, saisine régulière du juge, etc.
Dans ce cadre, conformément à l’article 450 du Code civil, le juge des tutelles peut considérer que le conflit familial est tel que la désignation d’un proche nuira aux intérêts du majeur à protéger et qu’ainsi, il est préférable d’écarter le principe de priorité familiale et de désigner un tiers professionnel : un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM).
Loin des tensions familiales, le MJPM sera alors chargé d’assister ou de représenter le majeur protégé dans ses décisions personnelles et/ou patrimoniales, de manière impartiale.
Il convient de préciser que le conflit familial n’empêche la désignation d’un proche que s’il en va de l’intérêt du majeur protégé, ce qui n’est pas tout le temps le cas ! L’existence d’un conflit familial ne doit donc pas automatiquement conduire à la désignation d’un MJPM en qualité de curateur ou de tuteur.
B– Les possibles inconvénients associés à la désignation d’un MJPM en tant que curateur ou tuteur.
D’abord, l’intervention d’un MJPM représente un coût financier pour le majeur protégé [5], calculé en fonction de nombreux critères relatifs (i) à son lieu de vie, (ii) à ses ressources et (iii) à la nature des missions confiées (article 419 du Code civil).
Pour les personnes ayant de faibles ressources, l’intervention du MJPM peut parfois être prise en charge (partiellement ou totalement) par l’État.
Ensuite, la gestion par un MJPM peut être mal acceptée par le majeur protégé, a fortiori lorsque des proches souhaitent être désignés en tant que curateur ou tuteur. La gestion par un MJPM peut en outre paraître plus impersonnelle et moins réactive que la gestion par un proche, qui possède un lien affectif avec le majeur protégé, qui connait généralement bien ses besoins et qui a généralement plus de temps disponible qu’un MJPM (qui doit gérer plusieurs dizaines de mesures de protection).
Enfin, la gestion par un MJPM peut induire une perte de proximité entre le majeur protégé et ses proches ainsi qu’une perte de contrôle familial sur les décisions relatives au majeur protégé. En effet, selon le contexte (et notamment ce que prévoit le jugement), le MJPM peut être amené à prendre des décisions graves : déménagement, placement en structure adapté (par exemple, en EHPAD), vente d’un bien immobilier, réalisation de soins, etc. Dans ces hypothèses, le code civil prévoit parfois que la saisine du juge des tutelles est obligatoire. En revanche, les membres de la famille n’ont pas forcément à être consultés.
III– Les manières permettant de privilégier le principe de la priorité familiale.
A– La médiation.
Lorsqu’il existe un conflit entre les proches du majeur à protéger, il peut être envisagé de recourir à la médiation afin que les protagonistes du conflit familial trouvent un terrain d’entente.
La médiation peut être conventionnelle ou judiciaire :
- Elle est conventionnelle lorsque les parties s’accordent seules pour recourir à la médiation et décident ensemble de la nomination du médiateur ;
- Elle est judiciaire lorsque le juge désigne lui-même le médiateur.
Au prix de dialogues apaisés et éventuellement de concessions réciproques, une médiation peut se révéler utile et permettre d’éviter la désignation d’un tiers professionnel et l’enlisement du conflit.
B– Les stratégies judiciaires.
Devant le juge des tutelles, plusieurs stratégies peuvent être mises en place.
D’abord, il peut être envisagé de démontrer que :
- L’intérêt du majeur à protéger commande de désigner un certain proche, qui l’a toujours accompagné et qui a toujours œuvré dans son intérêt et avec bienveillance ;
- Le conflit familial ne repose que sur des considérations erronées, des accusations infondées, des mensonges, etc.
Ensuite, il est possible de proposer au juge des tutelles de mettre en œuvre des mécanismes qui permettront de contrôler la gestion réalisée par le proche qui demande à être désigné.
Par exemple :
- La désignation d’un subrogé curateur ou tuteur, familial ou professionnel (article 454 du Code civil) ;
- La désignation d’un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l’approbation des comptes de gestion (article 512 du Code civil).
Enfin, conformément à l’article 447 du Code civil, il est possible de demander au juge des tutelles de moduler la mesure de protection :
- En la scindant, entre curatelle ou tutelle à la personne et curatelle ou tutelle aux biens [6] ;
- En désignant plusieurs proches en tant que curateur ou tuteur : on parle alors de co-curateurs ou de co-tuteurs.
Par ailleurs, une fois que le jugement d’ouverture de la mesure de protection est rendu, le majeur protégé et les proches ont 15 jours pour interjeter appel [7].