Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé : la fin de l’obligation de reclassement.

Par Noémie Le Bouard, Avocat.

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Explorer : # insuffisance professionnelle # obligation d'adaptation # protection des salariés # revirement jurisprudentiel

Ce que vous allez lire ici :

Le Code du travail protège particulièrement les salariés représentatifs en matière de licenciement. Récemment, un revirement du Conseil d’État a supprimé l'obligation de reclassement pour insuffisance professionnelle, soulignant l'importance de l'adaptation plutôt que d'une recherche de poste, tout en renforçant les protections contre les discriminations.
Description rédigée par l'IA du Village

Le licenciement d’un salarié protégé, particulièrement lorsque celui-ci est justifié par une insuffisance professionnelle, a longtemps suscité un débat sur la portée des obligations pesant sur l’employeur. Jusqu’à une date récente, la jurisprudence avait conclu qu’un reclassement préalable devait être envisagé, même en l’absence de texte législatif le prévoyant pour ce motif. Or, par une décision rendue le 2 décembre 2024 (n°487954), le Conseil d’État a mis fin à cette exigence. Désormais, l’employeur doit avant tout respecter l’obligation d’adaptation prévue par l’article L6321-1 du Code du travail, sans qu’il lui incombe de rechercher un nouveau poste. Cette évolution appelle plusieurs observations, tant sur les conditions du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé que sur la nature du contrôle exercé par l’inspecteur du travail.

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Les fondements et objectifs.

Le Code du travail, à l’article L2411-1, consacre une protection particulière au salarié investi d’un mandat représentatif (membre du comité social et économique, délégué syndical, etc.). Cette protection revêt un caractère exceptionnel, car elle impose à l’employeur d’obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail avant tout licenciement.

L’objectif, explicitement reconnu par la jurisprudence (CE, 27 sept. 1989, n° 91613), consiste à prévenir les mesures de rétorsion pouvant découler de l’exercice de fonctions de représentation.

La procédure d’autorisation.

Lorsqu’un employeur sollicite l’autorisation de licenciement auprès de l’inspecteur du travail, celui-ci examine la validité du motif invoqué, l’absence d’intention discriminatoire liée au mandat, ainsi que la conformité de la procédure à l’ensemble des obligations légales. La règle retenue jusqu’à récemment imposait, en cas d’insuffisance professionnelle, que l’employeur ait recherché un reclassement interne pour le salarié protégé.

Cette pratique ne trouvait pourtant pas de fondement textuel, mais résultait d’un prolongement prétorien, consolidé par diverses décisions antérieures du Conseil d’État.

Définition et enjeux de l’insuffisance professionnelle.

Caractère non disciplinaire.

L’insuffisance professionnelle se distingue du licenciement disciplinaire. Elle ne sanctionne pas un comportement fautif, mais plutôt l’incapacité, persistante et significative, d’atteindre le niveau de performance normalement exigé pour le poste.

De simples erreurs sporadiques ne sauraient suffire ; la carence doit être récurrente et suffisamment grave pour justifier une rupture.

La Cour de cassation (dans l’arrêt Cass. Soc., 15 oct. 2014, n° 13-15657), rappelle que ce motif ne s’assimile pas à une transgression volontaire d’une règle de discipline, mais reflète un défaut de compétences ou d’adaptation.

Obligation d’adaptation.

Toutefois, l’employeur ne peut évoquer l’insuffisance professionnelle que s’il a préalablement satisfait à l’obligation générale d’adaptation inscrite à l’article L6321-1 du Code du travail. En vertu de ce texte, il lui appartient de maintenir la capacité du salarié à occuper son poste, notamment au regard de l’évolution des emplois et des outils.

Si l’entreprise n’a jamais offert de formation ou d’accompagnement au salarié, le motif d’insuffisance peut s’en trouver considérablement fragilisé. Dans le cas d’un salarié protégé, l’inspection du travail contrôle avec d’autant plus d’attention la bonne application de ce principe.

Revirement de jurisprudence du Conseil d’État.

Ancienne exigence de reclassement.

Auparavant, plusieurs arrêts (CE, 23 déc. 2010, n° 333169, CE, 25 nov. 2019, n° 418025) établissaient que, s’agissant d’un salarié protégé faisant l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, l’employeur devait démontrer avoir recherché un poste alternatif correspondant aux compétences de l’intéressé. L’inspecteur du travail vérifiait cette démarche avant de statuer sur l’autorisation de rupture.

Cette règle, d’origine purement jurisprudentielle, se superposait à l’obligation d’adaptation et à la démonstration de l’insuffisance réelle.

Nouvelle position de la haute juridiction.

Dans son arrêt du 2 décembre 2024 n°487954, le Conseil d’État opère un revirement clair. Le juge considère que l’article L1233-4 du Code du travail ne prévoit la recherche de reclassement qu’en matière économique, et l’article L1226-2 qu’en cas d’inaptitude d’origine médicale. Pour l’insuffisance professionnelle, aucune disposition législative ne justifie d’imposer cette exigence.

L’inspection du travail doit désormais se concentrer sur la gravité des manquements et sur la bonne mise en œuvre de l’obligation d’adaptation, sans imposer la recherche d’un autre poste.

Conséquences pour l’employeur et l’inspecteur du travail.

L’obligation d’adaptation : un critère clé.

Le Conseil d’État ne renonce pas à tout contrôle. S’il ne requiert plus de reclassement, il réaffirme l’importance de l’article L6321-1 du Code du travail, selon lequel l’employeur doit maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi.

Dans l’éventualité d’une insuffisance professionnelle, l’autorité administrative doit vérifier que l’entreprise a déployé des actions concrètes : formation, accompagnement sur une période significative, ou mise à disposition d’outils pédagogiques. L’employeur ne saurait invoquer l’inadaptation du salarié s’il n’a pas préalablement permis à ce dernier de combler ses lacunes.

Les vérifications de l’administration.

Le contrôle de l’inspection du travail s’articule dorénavant autour de trois axes :

  • La réalité et la constance des manquements : des échecs et des erreurs persistantes, constatées de manière objective.
  • L’absence de toute discrimination : l’employeur doit prouver que la rupture n’est pas dictée par le mandat représentatif du salarié.
  • Le respect de l’obligation d’adaptation : il doit être établi que le salarié a disposé de l’aide et de la formation nécessaires.

En validant ces points, l’inspecteur pourra autoriser le licenciement pour insuffisance professionnelle, même sans preuve d’un reclassement.

Regard sur la cohérence législative et la jurisprudence judiciaire.

Absence de base légale pour le reclassement.

L’une des justifications majeures de ce revirement tient à la lettre du Code du travail. Les textes relatifs au licenciement économique ou à l’inaptitude médicale organisent explicitement la recherche d’un reclassement. En l’absence de disposition similaire pour l’insuffisance professionnelle, exiger un reclassement équivalait à un ajout jurisprudentiel.

Le Conseil d’État corrige ainsi un décalage entre la règle législative et l’ancien courant jurisprudentiel, rappelant la nécessaire conformité du contrôle administratif avec les articles L2411-1 et suivants, ainsi que L6321-1.

Rapprochement avec la jurisprudence de la Cour de cassation.

La Cour de cassation, lorsqu’elle examine un licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié non protégé, ne requiert pas de reclassement préalable. Elle évalue plutôt la réalité des lacunes et la qualité de l’accompagnement fourni. On peut évoquer, par exemple, l’arrêt (Cass. Soc., 9 juil. 2008, n°07-41623) qui admet la rupture si le salarié a bénéficié d’une formation suffisante.

Le Conseil d’État, en alignant sa position sur cette approche, renforce la cohérence entre les juges administratif et judiciaire, dans le respect du principe de légalité.

Conclusion et perspectives.

Simplification pour l’employeur.

Le fait que le Conseil d’État mette fin à l’obligation de reclassement constitue une simplification notable. L’employeur, souhaitant licencier un salarié protégé pour insuffisance professionnelle, n’a plus à justifier une démarche de repositionnement interne. Il doit cependant préparer un dossier solide, rendant compte des efforts d’adaptation et prouvant la persistance des manquements.

Maintien d’une protection renforcée pour le salarié.

Le salarié protégé conserve des garanties substantielles. L’administration vérifie scrupuleusement l’origine des insuffisances et la sincérité de l’employeur, écartant toute discrimination. Le mandat représentatif n’est donc pas menacé, dès lors que l’entreprise ne peut abuser d’un motif professionnel purement fictif.

La disparition du reclassement ne signifie pas un amoindrissement complet de la protection légale : elle reflète une volonté d’accorder au salarié un soutien adapté, sans imposer la reconfiguration de l’organigramme pour autant.

En conclusion, ce revirement jurisprudentiel illustre la démarche d’harmonisation des règles. Les dispositions législatives ne prévoyant pas le reclassement pour insuffisance professionnelle, il était logique que la jurisprudence administrative s’y aligne. Il appartient désormais aux employeurs de respecter, avec la plus grande rigueur, l’obligation d’adaptation, laquelle demeure l’élément clé permettant de justifier une insuffisance professionnelle si, malgré des actions correctrices sincères, les carences constatées perdurent.

L’autorité administrative, quant à elle, se contente désormais de vérifier la gravité des manquements, l’absence de mobile discriminatoire et le soin apporté à la formation du salarié, avant de se prononcer sur l’autorisation de licenciement.

Noémie Le Bouard, Avocat
Barreau de Versailles
Le Bouard Avocats
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Discussions en cours :

  • Bonjour Maître,

    Si l’obligation de reclassement a certes disparu et que par ailleurs le juge insiste désormais sur l’obligation d’adaptation du salarié à son poste, il me semble que vous faites l’impasse sur un point fondamental :

    " il appartient à l’administration [...] de s’assurer que l’employeur a [...] envisagé, le cas échéant, de lui confier d’autres tâches susceptibles d’être mieux adaptées à ses capacités professionnelles.
    [...]
    a cour, qui n’a pas recherché si l’employeur avait [...] envisagé, le cas échéant, de lui confier d’autres tâches susceptibles d’être mieux adaptées à ses capacités professionnelles, a commis une erreur de droit."

    Ainsi, l’obligation de reclassement a disparu, mais au profit d’une autre obligation, plus faibles certes, mais sur le même domaine.

    • par Le Bouard Avocats , Le 19 février à 17:54

      Bonjour,

      Je vous remercie pour votre commentaire, mais permettez-moi de préciser un point essentiel. L’obligation de reclassement a effectivement été supprimée  : on ne saurait donc parler d’un simple «  renommage  » ou d’une reconduction à peine modifiée. Certes, la jurisprudence exige que l’employeur vérifie s’il peut adapter le poste ou proposer d’autres tâches compatibles avec les capacités du salarié. Cependant, cette exigence ne saurait être assimilée à l’ancienne obligation de reclassement, beaucoup plus stricte.

      En pratique, on passe d’un cadre légal qui imposait à l’employeur de rechercher systématiquement et de manière approfondie un nouveau poste, à une démarche d’«  adaptation  » centrée sur la capacité du salarié à remplir ses missions, éventuellement modifiées. C’est moins contraignant et cela n’implique pas toujours la création ou la transformation d’un poste spécifique.

      Il est donc inexact de dire que l’obligation de reclassement reviendrait sous une forme «  équivalente  ». On est plutôt face à une obligation d’adaptation, évidemment réelle, mais sensiblement moins lourde que le mécanisme de reclassement qui préexistait.

    • par BenoitL , Le 24 février à 17:22

      Bonjour

      je vous remercie pour votre retour et vos remarques.

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