Licenciement et droit à la preuve : admissibilité, à certaines conditions, des témoignages anonymisés.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

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Explorer : # licenciement # preuve # témoignages anonymisés # droit du travail

Ce que vous allez lire ici :

Un salarié licencié par son employeur pour faute grave a contesté cette décision, affirmant que des témoignages anonymisés portaient atteinte à ses droits. La Cour de cassation a jugé que ces témoignages peuvent être admis s'ils sont accompagnés d’éléments concordants permettant d’en apprécier la crédibilité.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans un arrêt du 19 mars 2025 (n° 23-19.154), la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité de témoignages anonymisés dans le cadre d’un contentieux prud’homal.

Elle rappelle que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur de tels témoignages, leur prise en compte reste possible dès lors qu’ils sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.

En l’absence de tels éléments, la Haute juridiction censure la décision de la cour d’appel qui avait refusé d’attribuer une valeur probante à des témoignages anonymisés recueillis par huissier, sans examiner leur nécessité à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte au procès équitable était strictement proportionnée au but poursuivi.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence récente qui cherche à concilier le droit à la preuve avec les principes fondamentaux du procès civil.

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I. Les faits.

Un salarié était employé en tant que rectifieur par la société Savoie Rectification depuis 2013. Son comportement au sein de l’entreprise était contesté par plusieurs collègues, qui l’accusaient d’attitudes irrespectueuses, voire agressives, tant verbalement que physiquement, se traduisant par des menaces, des propos intimidants et un climat de peur au sein de l’entreprise.

Face à cette situation, l’employeur a engagé une procédure disciplinaire aboutissant à son licenciement pour faute grave en novembre 2017. Contestant la validité de cette rupture, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour en demander l’annulation et obtenir des indemnisations.

Devant la Cour d’appel de Chambéry, l’employeur a défendu la légitimité du licenciement en s’appuyant sur des témoignages recueillis par un huissier de justice. Cependant, ces témoignages étaient anonymisés a posteriori afin de protéger les auteurs de représailles.

De ce fait, le salarié arguait que l’impossibilité d’identifier les témoins et de les interroger portait atteinte à ses droits de la défense.

Ainsi, la cour d’appel a considéré que ces éléments étaient dépourvus de valeur probante en raison du non-respect du principe du contradictoire et a considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur s’est pourvu en cassation.

II. Les moyens.

Devant la Cour de cassation, l’employeur a invoqué l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail. Il a soutenu que l’utilisation de témoignages anonymisés était justifiée par la nécessité d’assurer la protection des salariés et de garantir leur sécurité. En outre, l’employeur a argué que la cour d’appel avait commis une erreur de droit en refusant d’examiner ces témoignages alors qu’ils étaient essentiels à l’établissement de la faute du salarié.

III. La solution de la cour.

La chambre sociale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel de Chambéry en appliquant un contrôle de proportionnalité inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Elle a rappelé que l’employeur, tenu à une obligation de sécurité, pouvait produire des témoignages anonymisés sous certaines conditions.

D’une part, ces témoignages devaient être corroborés par d’autres éléments de preuve.

D’autre part, lorsque ces éléments manquent, le juge devait apprécier si leur anonymisation portait une atteinte disproportionnée au caractère équitable de la procédure.

En l’espèce, la cour a considéré que la cour d’appel avait adopté un raisonnement erroné en refusant d’examiner les témoignages anonymisés sans évaluer leur nécessité pour l’exercice du droit à la preuve.

Elle a donc renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon pour qu’elle procède à cet examen.

IV. Analyse.

L’arrêt prolonge une tendance jurisprudentielle amorcée par la Cour de cassation et inspirée du droit européen illustrant la volonté de concilier le droit à la preuve et les garanties procédurales du procès équitable. En effet, l’arrêt fondateur du 4 juillet 2018 (n° 17-18.241) pose le principe selon lequel un juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, en s’inspirant de la jurisprudence de la CEDH [1].

Cependant, face aux critiques doctrinales et à l’évolution de la jurisprudence, la Cour de cassation a assoupli cette position avec les arrêts du 19 avril 2023 (n° 21-20.308 et n° 21-20.310), qui admettent l’utilisation de témoignages anonymisés, sous réserve qu’ils soient corroborés par d’autres éléments de preuve.

Dans cette affaire, la cour rappelle ainsi que si le principe de la liberté de la preuve prévaut en matière prud’homale, il n’exonère pas pour autant du respect des règles légales et jurisprudentielles relatives à l’admissibilité des éléments de preuve. L’article 9 du Code de procédure civile impose en effet que la preuve soit rapportée « conformément à la loi », et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille à ce que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, inclut la possibilité pour les parties de présenter leurs preuves.

La question posée par l’arrêt du 19 mars 2025 porte sur la recevabilité des témoignages anonymisés, c’est-à-dire des témoignages dont l’identité des auteurs a été masquée par l’huissier pour des raisons de protection, mais dont l’employeur connaît l’identité et tient l’original à disposition des juges. Il convient de distinguer les témoignages anonymisés des témoignages véritablement anonymes, qui sont en principe exclus en raison de leur moindre crédibilité et de leur impact sur les droits de la défense.

Cet arrêt consacre ainsi l’admissibilité des témoignages anonymisés dès lors qu’ils sont accompagnés d’éléments concordants permettant d’en apprécier la crédibilité. Il réaffirme ainsi la nécessité de concilier droit à la preuve et respect des garanties procédurales fondamentales, cette approche visant à garantir un juste équilibre entre le droit à la preuve et les droits de la défense, tout en protégeant les témoins contre d’éventuelles représailles. Cet équilibre est essentiel dans un contexte où les témoignages peuvent être cruciaux pour établir certains faits, notamment en matière de harcèlement ou de discriminations au travail. De ce fait, le contrôle opéré par les juges du fond revêt une importance particulière car ils conservent leur pouvoir souverain d’appréciation quant à la valeur probante des éléments de preuve produits.

En définitive, la Cour de cassation confirme ici une solution pragmatique, à la croisée des impératifs de protection des salariés et des exigences du procès équitable.

L’impact de cette décision sur les contentieux en droit du travail sera donc à surveiller, notamment en ce qui concerne l’appréciation par les juges du fond de la nécessité et de la proportionnalité de l’anonymisation des témoignages.

Une tendance vers une flexibilité accrue pourrait se dessiner, à condition que les juges du fond adoptent une approche rigoureuse dans l’examen des éléments de preuve.

Sources.

Cass. soc. 19 mars 2025, 23-19.154
Témoignages anonymisés : recevabilité, devant le conseil de prud’hommes, s’ils sont corroborés par d’autres éléments.

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Elise de Langlard, Juriste
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Arrêts Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, et Van Mechelen c. Pays-Bas, 23 avril 1997.

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