Témoignages anonymisés : recevabilité, devant le conseil de prud’hommes, s’ils sont corroborés par d’autres éléments.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Irene Gaston, Juriste.

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Explorer : # témoignages anonymes # sanction disciplinaire # preuve en justice # procès équitable

Il résulte de l’article 6, § 1 et § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.

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Doit en conséquence être censuré l’arrêt qui, pour annuler la sanction disciplinaire prononcée contre un salarié, retient que « l’attestation anonyme » d’un de ses collègues et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines produits par l’employeur, sont sans valeur probante aux motifs qu’il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes, alors que la cour d’appel avait constaté que ces deux pièces n’étaient pas les seules produites par l’employeur pour caractériser la faute du salarié et qu’il lui appartenait d’en apprécier la valeur et la portée.

C‘est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 19 avril 2023 (n°21-20.308).

1) Faits et procédure.

M. [N] a été engagé en qualité d’agent de fabrication, le 1er mars 2013, par la société Airbus opérations.

Le salarié a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire notifiée le 11 juillet 2017.

Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de cette sanction.

Dans un arrêt du 28 mai 2021, la Cour d’appel de Toulouse a annulé la sanction disciplinaire prononcée contre un salarié, puisque « l’attestation anonyme » d’un de ses collègues et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines produits par l’employeur, sont sans valeur probante aux motifs qu’il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes.

L’employeur s’est pourvu en cassation.

2) Moyen.

L’employeur fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 28 mai 2021, alors :

« 4°/ que si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes de salariés, rien ne lui interdit de prendre de tels témoignages en considération lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments et notamment par d’autres témoignages, non anonymes, dont le rapprochement permet d’établir la matérialité des faits qui y ont énoncés ;
Qu’en refusant d’examiner l’attestation d’un salarié qui avait accepté de témoigner sous anonymat, comme le compte rendu de l’entretien qu’une représentante de la société Airbus avait eu avec lui, la cour d’appel a derechef violé les articles 201 et 202 du Code de procédure civile ;
5°/ Qu’à défaut de prendre en considération l’attestation établie anonymement par un salarié craignant des représailles de la part des collègues dont il dénonçait le comportement, la cour d’appel pouvait, à titre d’élément dont la valeur et la portée étaient soumises à son appréciation, examiner le compte rendu de son entretien avec Mme [G], établi par celle-ci ;
Qu’en refusant également de le faire, la cour d’appel a violé l’article 1353 du Code civil
 ».

3) Solution.

Au visa de l’article 6, §1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale, la Cour de cassation affirme que :

« Il résulte de ce texte garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
Pour annuler la sanction de mise à pied disciplinaire infligée au salarié en déclarant sans valeur probante « l’attestation anonyme » d’un salarié produite par l’employeur et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines, l’arrêt retient qu’il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes.
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que ces deux pièces n’étaient pas les seules produites par l’employeur pour caractériser la faute du salarié dont il se prévalait et qu’il lui appartenait d’en apprécier la valeur et la portée, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés
 ».

4) Analyse.

C’est à la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation statue sur la recevabilité des témoignages anonymisés.

Dans un arrêt du 4 juillet 2018 (n° 17-18.241), la Cour de cassation avait affirmé que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ».

La Cour de cassation rend sa décision au visa de l’article 6-1 et 3 de la CEDH qui garantissent le droit à un procès équitable.

Si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.

En tout état de cause, l’utilisation de témoignages anonymes ou anonymisés, pour justifier une mesure disciplinaire ou un licenciement, doivent être utilisés avec parcimonie, par les employeurs.

C’est ce qui ressort de l’arrêt du 19 avril 2023 de la Cour de cassation.

- C. cass. 19 avril 2023, n° 21-20.308
- Un salarié ne peut pas être licencié pour avoir rédigé un témoignage en justice = licenciement nul !
- Licenciement suite à une enquête interne : le juge ne peut fonder sa décision uniquement sur des témoignages anonymes

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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