1) Rappels sur le procès-verbal de conciliation.
En cas de litige, lors de la conciliation prévue à l’article L. 1411-1, l’employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation et d’orientation proposer d’y mettre un terme par accord [1].
Cet accord prévoit le versement par l’employeur au salarié d’une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé par décret en fonction de l’ancienneté du salarié.
Le barème visé par le texte est le suivant [2] :
2 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté inférieure à 1 an ;
3 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté au moins égale à 1 an, auxquels s’ajoute 1 mois de salaire par année supplémentaire jusqu’à 8 ans d’ancienneté ;
10 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 8 ans et moins de 12 ans ;
12 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 12 ans et moins de 15 ans ;
14 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 15 ans et moins de 19 ans ;
16 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 19 ans et moins de 23 ans ;
18 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 23 ans et moins de 26 ans ;
20 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 26 ans et moins de 30 ans ;
24 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté au moins égale à 30 ans.
L’article L. 1235-1 du Code du travail précise que le procès-verbal constatant l’accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail « prévues au présent chapitre ».
Or, le chapitre en question est le suivant : « Chapitre V : Contestations et sanctions des irrégularités du licenciement (Articles L. 1235-1 à L. 1235-17) ».
Dès lors, les parties peuvent-elles étendre la conciliation à des sujets distincts du licenciement ?
La question est importante car l’employeur acceptant cette solution amiable souhaite légitimement sécuriser, non seulement la rupture du contrat du travail, mais aussi son exécution.
Or, si le procès-verbal de conciliation ne réglait que les conséquences liées à la rupture du contrat, le salarié pourrait maintenir des demandes diverses telles que : heures supplémentaires, dommages-intérêts pour souffrance au travail ou harcèlement moral, etc.
2) L’arrêt du 24 avril 2024.
Dans son arrêt du 24 avril 2024 [3], la Cour de cassation juge que le bureau de conciliation et d’orientation conserve une compétence d’ordre général pour régler « tout différend né à l’occasion du contrat de travail ».
Elle approuve la Cour d’appel de Paris [4] d’avoir décidé que les parties qui comparaissent volontairement devant ce bureau peuvent librement étendre l’objet de leur conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture.
Il s’agissait, en l’espèce, d’une salariée ayant saisi le Conseil de prud’hommes, le 29 mars 2019, pour solliciter le paiement d’une indemnité de non-concurrence, après avoir signé un procès-verbal de conciliation, le 28 novembre 2018.
Ce procès-verbal prévoyait le paiement, par l’employeur, d’une indemnité forfaitaire déterminée dans la limite du barème prévu par les articles L. 1235-1 et D. 1235-21 du Code du travail, à titre d’indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive.
La Cour de cassation a donc rejeté le pourvoi de la salariée, aux motifs suivants :
« Ayant ensuite constaté que les parties avaient convenu du versement à la salariée d’une indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive, et que l’accord valait renonciation à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d’instance et d’action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail et du mandat de la salariée, la cour d’appel en a exactement déduit, sans avoir à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence étaient comprises dans l’objet de l’accord. »
Cette solution rejoint celle retenue par la Cour de cassation au sujet de la transaction.
En effet, dans un arrêt du 17 février 2021 [5], la chambre sociale a clairement confirmé sa jurisprudence selon laquelle la transaction, rédigée dans des termes généraux, fait obstacle à toute réclamation relative tant à l’exécution qu’à la rupture du contrat de travail.
Avant cette date, la Cour de cassation considérait (par exemple) qu’une clause de non-concurrence n’entre pas dans le champ d’application de la transaction, dès lors que cette dernière, destinée à mettre fin à un différend opposant les parties sur la rupture du contrat de travail et à en régler les conséquences pécuniaires, ne comporte aucune disposition faisant référence à cette clause [6].
3) Les problématiques en suspens.
La signature d’un procès-verbal de conciliation, au lieu d’une transaction, présente un double intérêt.
D’une part, l’indemnité forfaitaire de conciliation est intégralement exonérée d’impôt sur le revenu dans la limite du barème règlementaire [7] :
« 1. Toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes.
Ne constituent pas une rémunération imposable : « 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-1 (…). »
Le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts (BOFiP-Impôts) rappelle cette solution de manière particulièrement claire :
« L’indemnité forfaitaire versée lors de la conciliation prévue à l’article L. 1411-1 du code du travail (C. trav., L. 1235-1), dont le barème est fixé à l’article D. 1235-21 du code du travail en fonction de l’ancienneté du salarié, est ainsi intégralement exonérée d’impôt sur le revenu dans la limite de ce barème. » [8].
D’autre part, l’indemnité forfaitaire de conciliation est exclue de l’assiette de calcul du différé spécifique d’indemnisation.
Comme l’UNEDIC le rappelle dans sa circulaire n° 2023-08 du 26 juillet 2023 :
« Lorsque l’indemnité forfaitaire de conciliation correspond à un montant inférieur ou égal aux montants prévus par ce barème en fonction de l’ancienneté du salarié, elle est exclue de l’assiette de calcul du différé spécifique. »
À l’inverse, le versement d’une indemnité transactionnelle peut générer un différé d’indemnisation spécifique allant jusqu’à 150 jours.
Or, si l’employeur et le salarié peuvent désormais régler les conséquences de l’exécution et de la rupture du contrat de travail au moyen d’un procès-verbal de conciliation, deux problématiques (au moins) se poseront.
Tout d’abord, le plafond du barème de l’indemnité forfaitaire de conciliation risque d’être dépassé.
En effet, si le salarié abandonne également toutes demandes liées à l’exécution, il est logique que le montant négocié tienne compte de cette concession.
Cependant, le barème de l’article D. 1235-21 du Code du travail est uniquement fixé pour indemniser les conséquences du licenciement.
Il est possible de négocier un montant supérieur au plafond, mais le régime de faveur de l’indemnité ne peut alors s’appliquer à la partie qui le dépasse.
Par ailleurs, une insécurité juridique pèse sur le régime social et fiscal de l’indemnité forfaitaire de conciliation si celle-ci « mélange » des chefs de préjudice distincts.
En effet, c’est toujours la nature de l’élément réparé par l’indemnité qui détermine son régime social et fiscal…
Les autorités et organismes (France Travail, Urssaf, DGFIP…) pourraient donc être tentés de décortiquer l’indemnité forfaitaire de conciliation afin de remettre en cause son régime, en fonction des situations.
En définitive, il reste recommandé de doubler le procès-verbal de conciliation d’une transaction sur l’exécution du contrat de travail.