En l’espèce, un employeur motivait le licenciement pour faute grave de son salarié par un comportement agressif et violent de ce dernier envers d’autres salariés, caractérisé par des violences physiques et verbales ainsi que des intimidations. Cette preuve résultait de témoignages recueillis par un commissaire de justice et anonymisés a posteriori, en raison d’un risque de représailles redouté par les témoins, collègues du salarié licencié par ailleurs.
Le salarié licencié pour faute grave ayant saisi la juridiction prud’homale pour contester la rupture de son contrat de travail, les juges du fond avaient considéré que l’employeur ne rapportait pas la preuve d’une faute grave, les deux témoignages anonymisés produits par celui-ci étant "dépourvus de valeur probante" [2].
Statuant sur le pourvoi formé par l’employeur, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel en s’appuyant sur le principe fondamental du droit à la preuve et les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail relatifs à l’obligation de sécurité de l’employeur envers ses salariés. Elle admet que si « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par la partie qui les produit, lorsque sont versés aux débats d’autres éléments aux fins de corroborer ces témoignages et de permettre au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».
La cour rappelle ici une nouvelle fois la distinction devant être faite entre le témoignage anonyme d’une part et le témoignage anonymisé ultérieurement par l’employeur d’autre part. Le problème soulevé par le témoignage anonyme est que l’identité de son auteur est inconnue de tous, faisant traditionnellement craindre une dénonciation fantaisiste. C’est pour cette raison que le juge « ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » [3]. A l’inverse, le témoignage anonymisé a posteriori afin de protéger son auteur contre un risque de représailles est désormais plus largement admis en jurisprudence dès lors que l’identité est connue de la partie qui le produit, rendant plus aisé un contrôle de la crédibilité des propos rapportés, notamment pour la personne qui reçoit le témoignage. La Haute juridiction avait ainsi déjà admis que des attestations anonymisées puissent être prises en considération dès lors qu’elles étaient corroborées par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence [4]. La difficulté liée à l’anonymisation des témoignages réside toutefois dans l’impossibilité pour la partie adverse d’interroger directement le témoin ou de confronter ses déclarations, ce qui heurte le principe du contradictoire et peut entraîner un déséquilibre entre les parties au procès. La production par l’employeur de pièces complémentaires permettait alors au juge de ne pas se fonder uniquement sur les témoignages anonymisés et donc de procéder à un rééquilibrage des droits processuels des parties. Jusqu’à présent, le témoignage anonymisé ne pouvait donc justifier une sanction disciplinaire que s’il était étayé par d’autres pièces (mêmes arrêts).
Dans cet arrêt, la Chambre sociale assouplit sa position en faveur de l’employeur, en considérant que des témoignages anonymisés peuvent, à l’exclusion de toute autre pièce, rapporter la preuve des faits reprochés dès lors que des éléments contextuels justifient leur recours et que des garanties sont mises en œuvre pour assurer un juste équilibre entre les droits procéduraux des parties.
Dans cette affaire, l’anonymisation des témoignages était motivée par un risque de représailles avéré, le salarié licencié ayant déjà été sanctionné au titre de comportements virulents et les faits reprochés à l’appui du licenciement, de nature violente, pouvant faire craindre des représailles. L’employeur, tenu à une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses salariés, justifiait donc de la nécessité d’anonymiser les témoignages reçus afin d’assurer la protection de ses salariés.
L’obligation de sécurité de l’employeur, explicitement visée par la Cour de cassation, justifie donc l’anonymisation des témoignages, si tant est que l’employeur démontre effectivement que la sécurité de ses salariés pourrait être compromise si leur identité était connue.
En outre, l’employeur avait mis en place des garanties de nature à assurer la fiabilité des témoignages reçus, ceux-ci ayant été recueillis par un commissaire de justice. La qualité de la personne ayant reçu le témoignage, ici un officier public ministériel, constitue un élément déterminant pour en assurer la crédibilité et la pertinence, comme cela avait pu être le cas s’agissant du témoignage reçu par un inspecteur du travail [5]. Par analogie, l’on peut avancer que le témoignage reçu par un avocat-enquêteur, soumis en tant que tel à une déontologie garantissant la fiabilité et la crédibilité de ses investigations, serait également pris en considération.
La Cour de cassation délivre donc ici un vade-mecum pour apprécier l’admissibilité des témoignages anonymisés comme éléments de preuve, au regard de la nécessité de protéger les témoins contre les risques de représailles mais aussi des garanties mises en place pour assurer la fiabilité des témoignages, que l’employeur aura tout intérêt à prendre en considération avant de fonder un licenciement sur de seuls témoignages anonymisés.
Dans le même sens, dans l’hypothèse où des témoignages seraient anonymisés dans le cadre d’une enquête interne, une justification particulière devra être apportée quant à la nécessité de procéder à une telle anonymisation. Un pourvoi est sur ce point précis en cours d’examen devant la Cour de cassation [6].