I. L’action en justice en cas de négligence commise par le gynécologue-obstétricien ou la sage-femme dans une maternité.
Le plus souvent les parents d’un enfant né handicapé en raison d’un manque d’oxygène subi pendant l’accouchement souhaitent prendre contact avec un avocat en vue d’engager une action en justice.
Cette démarche des parents est parfaitement légitime afin de comprendre le déroulement des faits et d’obtenir la réparation du préjudice subi.
Ainsi, pendant son étude précontentieuse, l’avocat de la victime d’une souffrance fœtale conduisant au handicap devrait aider les parents comprendre ce qui s’est passé lors du travail d’accouchement (notamment si les soins ont été conformes aux données acquises de la science médicale) mais aussi d’apprécier les chances de succès d’une action en justice.
D’autre part, l’avocat devrait déterminer s’il existe un lien de causalité direct et certain entre toute négligence et la paralysie cérébrale de l’enfant (appelée naguère infirmité motrice cérébrale). Pour se prononcer sur ce lien de causalité, les experts des juridictions françaises se fondent sur des critères d’imputabilité médico-légale qui font consensus aujourd’hui [1] (Voir l’article Le lien entre IMC et faute obstétricale).
Cet article permettra à l’avocat, au médecin conseil et à la famille de la victime de comprendre les évolutions des réponses à ces questions.
II. La conduite à tenir devant la suspicion de souffrance fœtale.
Pour répondre à la première question qui consiste à déterminer si les soins sont conformes aux données acquises de la science médicale, les méthodes de l’interprétation du rythme cardiaque fœtal continuent d’évoluer.
Par exemple, l’aire totale des ralentissements continue à montrer sa valeur prédictive robuste pour l’acidose fœtale qui pourrait même être supérieure à celle des classifications actuelles des sociétés savantes [2].
En tout état de cause, lors de leur étude précontentieuse, l’avocat spécialiste et son médecin conseil doivent analyser les antécédents médicaux et obstétricaux de la mère ainsi que le suivi de la grossesse pour déterminer si l’accouchement litigieux présente des facteurs de risque. Si besoin, ils peuvent consulter des ouvrages de référence [3]. En effet, ces facteurs peuvent réduire la tolérance fœtale aux contractions du travail voire être un facteur de risque indépendant de paralysie cérébrale. Il peut s’agir, par exemple, d’un retard de croissance du fœtus, d’une prématurité ou d’une post-maturité. Il faut également déterminer s’il existe des conditions maternelles qui créent un risque spécial pour le fœtus (et la mère) comme la prééclampsie, le diabète, l’infection, l’hémorragie du troisième trimestre ou l’utérus cicatriciel d’une césarienne antérieure [4].
Après l’examen des antécédents et du suivi de la grossesse, le déroulement des phases latente et active de la première étape du travail est analysé afin de déceler des signes éventuels d’une dystocie dynamique impliquant une dilatation trop lente du col ou d’une dystocie mécanique tels qu’un arrêt de la descente de la présentation. Une bosse sérosanguine importante peut être le témoin d’une dystocie mécanique. Naturellement, la fréquence et l’intensité des contractions utérines sont à analyser avec soin ainsi que la dose des utérotoniques tels que Syntocinon. A dilatation complète, la deuxième étape du travail sera étudiée notamment sa durée et la tolérance fœtale aux efforts expulsifs.
En effet, le risque d’anoxie varie selon l’étape du travail : en se servant d’une analogie parfois utilisée, pour le fœtus la phase latente de la première étape est l’équivalente à la marche à pied pour l’adulte, la phase active de la première étape correspond au jogging et la deuxième étape du travail est l’équivalente à une course de vitesse [5].
III. Le rythme cardiaque fœtal qui traduit une souffrance fœtale.
Malgré ses imperfections, l’acidose métabolique reste encore le meilleur marqueur de l’asphyxie périnatale survenue pendant le travail d’accouchement.
C’est pourquoi le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a classifié les tracés du rythme cardiaque fœtal pendant le travail selon leur risque d’acidose.
Cette classification apporte la rigueur nécessaire à l’interprétation du monitorage fœtal dont la spécificité est limitée en raison du taux de faux positifs [6].
La bradycardie sans récupération signale un risque majeur d’acidose alors que le risque d’acidose en présence de ralentissements dépend de leur type (précoce, tardif, variable ou prolongé), leur fréquence, la cadence de la ligne de base, la présence ou non d’accélérations et la conservation ou non de la variabilité (oscillations) entre les ralentissements [7] (Voir l’article Responsabilité du gynécologue obstétricien : les anomalies du rythme cardiaque fœtal pendant l’accouchement).
En outre, les ralentissements variables font l’objet d’une sous-classification entre typiques et atypiques. Le passage des ralentissements variables typiques à atypiques traduit la progression de l’acidose métabolique souvent lorsque le déficit de base a atteint un niveau de 8 mmol/L (pH 7,10 pour une pCO2 de 68 mm Hg) alors que le seuil critique est de 12 mmol/L (pH 7,0 pour une pCO2 de 75 mm Hg).
La signification de la réduction de la variabilité entre les ralentissements est devenue plus controversée aujourd’hui car une variabilité conservée est certes rassurante mais elle n’élimine nullement une acidose inférieure à 7,10 comme une grande étude prospective l’a montré nettement [8]. La valeur prédictive d’une variabilité réduite a été étudiée pour un pH inférieur à 7,0 mais il s’agit du seuil qui comporte un risque de handicap alors que le but de la surveillance du rythme cardiaque fœtal est d’identifier un pH anormal mais permettant une intervention obstétricale avant que ce seuil pathologique ne soit atteint. C’est pourquoi aujourd’hui la vaste majorité des études d’évaluation du monitorage électronique fœtal utilisent le critère de résultat d’un pH inférieur ou égal à 7,10 et à ce niveau une variabilité normale coexiste souvent [9].
IV. La biologie à la naissance qui confirme une souffrance fœtale.
Malgré cette classification des tracés du rythme cardiaque fœtal selon le risque d’acidose, le taux de l’acidose à la naissance est la seule façon de vérifier ce paramètre objectivement par l’examen d’un prélèvement sanguin de l’artère ombilical du nouveau-né ou sinon un prélèvement obtenu peu après la naissance (de préférence avant une heure de vie) [10].
Pour apprécier l’importance de l’acidose métabolique à la naissance, le taux de lactates peut être utilisé sont le seuil pathologique est souvent fixé à un niveau égal ou supérieur à 9 mmol/L.
Naturellement le pH et le déficit de base sont également utilisés en pratique clinique mais aussi dans les études sur la relation entre le rythme cardiaque fœtal et l’état acido-basique du nouveau-né.
Comme indiqué, le seuil pathologique du pH est un taux inférieur ou égal à 7. Celui du déficit de base est un niveau supérieur ou égal à 12 mmol/L étant ajouté qu’après ce seuil le risque d’infirmité motrice cérébrale augmente davantage lorsque le déficit de base atteint 20 mmol/L [11].
Une des difficultés de l’interprétation du pH est qu’il traduit l’importance d’une acidose mélangée : ainsi il ne permet pas de connaître directement le niveau de l’acidose métabolique (qui traduit l’hypoxie pathologique et un métabolisme cellulaire en anaérobie) en raison de la présence simultanée de l’acidose respiratoire (qui traduit une élévation du taux de gaz carbonique et donc un métabolisme cellulaire en aérobie).
Pour cette raison, il faut dégager la composante respiratoire du pH pour connaître l’acidose métabolique consécutive à un manque d’oxygène et un bas débit sanguin suffisamment prononcés pour conduire à une encéphalopathie anoxo-ischémique et, ultérieurement, une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale).
En revanche, le déficit de base n’a pas cet inconvénient car il permet d’apprécier directement la composante métabolique de l’acidose.
On est souvent tenté de croire que c’est la particule H+ (qui est cédée en cas d’acidose du fœtus) qui est à l’origine des dégâts cellulaires du cerveau. Ce serait oublier que cette particule est également présente en cas d’acidose respiratoire, laquelle n’entraîne pas habituellement de tels dégâts. En réalité, selon les données acquises de la science médicale, le dommage cellulaire est la conséquence d’une privation de glucose et d’oxygène, la production de cytokines inflammatoires ainsi que, dans un second temps, la libération de radicaux libres et des molécules excitatoires telles que le glutamate [12].
Enfin, certains auteurs ont préconisé l’utilisation d’un pH eucapnique ce qui représente le pH corrigé pour la composante respiratoire. Ce pH corrigé n’est pas utilisé en pratique clinique mais il a l’avantage d’estimer directement l’acidose métabolique à l’instar du déficit de base. En tout état de cause, les différentes mesures de l’acidose métabolique sont hautement corrélées entre elles. Un simulateur d’appareil d’analyse des gaz du sang permet de faciliter le calcul de ces mesures pour la défense des victimes d’erreurs médicales lors de l’accouchement et une étude de validation a montré sa fiabilité [13]. Or, cette simulation est particulièrement utile lors la rédaction des dires critiques sur la perte de chance.
V. La perte de chance.
La perte de chance d’éviter la paralysie cérébrale est souvent utilisée par les experts pour le cas où la certitude du lien de causalité ferait défaut [14].
Cependant, la certitude exigée en droit positif n’est pas une certitude mathématique ou absolue mais une probabilité élevée ou suffisante.
Encore faut-il préciser le préjudice dont la chance est perdue. Autrement dit, la perte de chance de quoi ?
Dans le cas d’une action en justice pour souffrance fœtale d’un enfant né avec un handicap, la perte de chance est celle d’éviter une paralysie cérébrale donc une infirmité motrice cérébrale.
Donc, en cas survie de l’enfant, l’avocat spécialisé doit vérifier que l’expert n’a pas estimé une perte de chance globale, tous dommages confondus y compris le décès de la victime directe.
En effet, les préjudices dont il est demandé réparation ne sont pas les mêmes en cas de décès et de handicap si bien que la perte de chance doit distinguer entre ces deux hypothèses. L’avocat intervenant en droit médical ou en droit de la santé doit rester vigilant sur ce point.
L’avocat doit aussi analyser la méthode utilisée par l’expert pour estimer la perte de chance d’éviter l’infirmité motrice cérébrale car certaines démarches fréquentes fournissent des estimations erronées.
Par exemple, si le défaut d’oxygénation du fœtus a duré 40 minutes dont 20 minutes de ralentissements suivies de 20 minutes de bradycardie alors qu’en raison de la faute la naissance aurait dû intervenir entre les deux (après les premières 20 minutes), l’expert est souvent tenter de dire que l’on a perdu 20 minutes sur un total de 40 minutes donc la perte de chance serait de 50%. Mais ce serait oublier que le retentissement sur le fœtus est beaucoup plus important pendant les 20 minutes de bradycardie comparées aux 20 minutes de ralentissements. On voit que cette démarche simpliste amène à une conclusion erronée.
Surtout, cette méthode évite de répondre à la question centrale qui est celle de savoir si le déficit de base était supérieur ou inférieur à 12 mmol/L à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir en l’absence de faute. En effet, quel est l’intérêt de calculer le temps perdu par rapport au total dès lors qu’à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir le déficit de base était inférieur au seuil de 12 mmol/L car à ce seuil le risque de paralysie est quasiment nul ?
C’est pourquoi la seule démarche rigoureuse est celle d’estimer le déficit de base à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir en l’absence de faute afin de déterminer s’il est supérieur ou inférieur au seuil critique de 12 mmol/L [15].
Pour faire cette estimation, il faut naturellement se servir des données acquises de la science médicale. A cet égard, Ross et collègues ont calculé l’augmentation du déficit de base pour les différents types d’anomalies du rythme cardiaque fœtal [16]. Ayant fait l’objet d’une étude de validation, ce calcul est la seule méthode scientifique qui devrait être utilisée dans un cadre médicolégal notamment une expertise judiciaire [17].
Une des difficultés pour l’utilisation de l’algorithme de Ross et collègues est la nécessite de choisir les paramètres. Par exemple, en cas de ralentissements le déficit de base augmente de 1 mmol/L pour chaque 5 à 15 minutes. Donc, l’avocat intervenant en droit de la santé peut se poser la question qui est celle de savoir s’il faut utiliser le chiffre 5 ou 15 pour l’estimation. La réponse à cette question dépend du degré de sévérité des ralentissements : on se servira du chiffre 5 pour les tracés de ralentissements les plus péjoratifs, 15 pour ceux les moins inquiétants et des chiffres entre ces extrêmes pour les tracés intermédiaires. On peut aussi effectuer une analyse de sensibilité pour apprécier comment le déficit de base varie en fonction du choix [18].
En se fondant sur le déficit de base moyen à l’entrée du travail et en ajoutant le déficit de base supplémentaire lié aux anomalies du rythme cardiaque fœtal, l’on peut calculer le déficit de base à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir en l’absence de faute et vérifier si celui-ci est supérieur ou non au seuil critique de 12 mmol/L.
En dessous de ce seuil, le risque de paralysie cérébrale est statistiquement faible alors que s’il est au-dessus, le risque est présent et il augmente en fonction de l’importance de l’acidose métabolique.
Etant en possession du risque de paralysie cérébrale (en termes d’un pourcentage), la perte de chance est calculé par 100% moins ce risque. Il faut utiliser naturellement 100% car si, par exemple, à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir le risque d’être atteint de paralysie cérébrale est de 10%, le risque de ne pas être atteint de paralysie cérébrale doit être 100% - 10% = 90% ce qui est la perte de chance.
VI. L’hypothermie thérapeutique.
Selon les données acquises de la science médicale, l’hypothermie thérapeutique est devenue aujourd’hui le traitement de choix pour l’enfant ayant subi un manque d’oxygène pendant le travail d’accouchement (intrapartum) [19].
Etant relativement récent, ce traitement est peu traité par la jurisprudence.
Et pourtant, en cas d’absence de traitement par hypothermie thérapeutique en raison d’une faute ou d’une négligence du gynécologue-obstétricien, de la sage-femme de la maternité, ou du pédiatre la perte de chance supplémentaire doit être ajoutée à celle calculée ci-dessus avec l’algorithme du déficit de base.
Or, le traitement néonatal par hypothermie thérapeutique diminue le risque de paralysie cérébrale par un facteur d’un tiers (33%) (Voir l’article Hypothermie thérapeutique néonatale).
Pour cette raison, si en raison d’une erreur médicale l’hypothermie n’a pas été administrée il convient d’augmenter la perte de chance par ce même facteur.
Quels types de négligences ou d’erreurs médicales peuvent conduire à l’absence de traitement par hypothermie thérapeutique ?
Le plus souvent, il s’agit d’un délai dans le transfert du nouveau-né vers un établissement de soins qui possède l’appareil pour le traitement par hypothermie. En effet, l’hypothermie thérapeutique doit être donnée avant 6 heures de vie de l’enfant victime d’une souffrance fœtale.
D’autre part, il peut être la conséquence d’une mauvaise interprétation de l’état du nouveau-né faisant croire à tort que l’enfant ne remplit pas les critères d’inclusion des protocoles.
Enfin, il peut s’agir d’une contre-indication de l’hypothermie en lien de causalité avec la faute. Par exemple, la souffrance fœtale conduit à un manque d’oxygène du cerveau mais aussi d’autres organes dont le cœur conduisant à une défaillance de cet organe avec instabilité hémodynamique. Cette dernière constitue une contre-indication à l’hypothermie thérapeutique. Or, en l’absence de faute, la souffrance fœtale aurait été évitée, totalement ou partiellement, évitant ainsi cette instabilité hémodynamique et permettant à l’enfant de bénéficier du traitement par hypothermie.
VII. L’indemnisation du préjudice.
Les postes de préjudice pouvant être indemnisés dans le cadre d’une action en justice pour souffrance fœtale d’un enfant atteint d’un handicap par infirmité motrice cérébrale sont bien connus et ont été décrits ailleurs (Voir l’article Responsabilité du gynécologue-obstétricien pendant l’accouchement).
Cependant, certains postes de préjudice de l’enfant né handicapé posent encore des difficultés donc on reviendra sur ces postes.
A. La tierce personne.
Il existe encore des experts qui pratiquent l’estimation des besoins en tierce personne d’un enfant handicapé à la suite d’une souffrance fœtale en opérant, de manière éminemment contestable, une déduction du temps consacré à un enfant « ordinaire » sans handicap.
Or, aujourd’hui, cette pratique simpliste se heurte à une résistance des deux ordres de juridiction dès lors que le handicap de l’enfant est important avec un état de dépendance qui requiert une aide pour l’ensemble des actes de la vie quotidienne et une disponibilité et une réactivité d’un tiers à ses côtés [20].
Dans ce cas, les besoins de l’enfant atteint de paralysie cérébrale ne peuvent être calculés au seul regard des besoins supplémentaires par comparaison à un enfant sans handicap.
La dépendance d’un tel enfant doit être intégralement prise en charge, sans déduction du temps consacré à un enfant « ordinaire », donc vingt-quatre heures par jour depuis sa naissance, sans distinction, non plus, des heures « passives » ou « actives ».
Il en est ainsi car cette dépendance est en lien de causalité avec la paralysie cérébrale et non pas simplement avec l’âge si bien qu’il n’y a pas lieu à soustraction des besoins d’un enfant sans handicap.
En outre, une étude a montré l’absence de validation de la pratique médicolégale de l’évaluation des besoins en tierce personne chez l’enfant lorsque l’on tient compte des exigences conventionnelles des associations de service à la personne [21].
Voilà pourquoi, la jurisprudence récente n’opère plus cette soustraction des besoins et les décisions sont de plus en plus nombreuses en ce sens. On citera un exemple de notre cabinet d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qui a décidé dans le cadre d’une action en justice pour souffrance fœtale d’un enfant né avec un handicap par infirmité motrice cérébrale [22] : « Même en tenant compte du fait qu’un nourrisson ou un très jeune enfant en bonne santé ou exempt de handicap a besoin de la présence d’une personne à ses côtés ou à proximité, l’évaluation faite par les premiers experts paraît insuffisante eu égard à la gravité des séquelles neurologiques de X... justifiant de façon plus permanente un surcroît d’attention, de disponibilité et de vigilance, alors en outre que l’intéressé a été privé de l’assistance de sa mère, décédée à sa naissance ».
B. La perte de gains futurs.
En cas d’action judiciaire à la suite d’une souffrance fœtale, le préjudice économique futur est demandé parfois au titre de la perte de chance professionnelle, parfois celui de la perte de gains futurs.
Dans un arrêt récent la Cour de cassation a tranché sur la qualification de ce poste [23] : « Il résulte de ce texte et de ce principe que la perte de gains professionnels futurs, liée un accident survenu lors de la naissance de la victime ou dans son jeune âge, la privant de toute possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle, doit être regardée comme présentant un caractère certain ».
Aux termes de cet arrêt de la Haute juridiction, dès lors que l’enfant atteint de paralysie cérébrale est privée de toute possibilité d’exercer une activité professionnelle, la perte de gains professionnels futurs présente un caractère certain. Dans l’hypothèse contraire, il s’agit d’une perte de chance professionnelle.
Quant à l’appréciation de cette perte de gains de l’enfant né handicapé, il convient d’opérer une analyse in concreto donc personnalisée pour divers paramètres pertinents tels que l’âge de la victime à la date de l’accident, son parcours scolaire ou universitaire et ses orientations professionnelles [24].
C. Le véhicule adapté.
Le type de véhicule dépend de l’âge de l’enfant en situation de handicap.
Par exemple, dans les premières années de vie, le jeune enfant atteint d’infirmité motrice cérébrale se servira d’un corset siège avec poussette évolutive. Par suite, après l’âge de 5 ans, le fauteuil roulant manuel est utilisé alors qu’après l’âge de 10 ans, le fauteuil roulant électrique sera souvent indiqué.
Il faut tenir compte des types d’aides techniques utilisés et naturellement les capacités de transfert de la victime mais le plus souvent un véhicule de transport de personnes à mobilité réduite est nécessaire.
D. Le logement aménagé.
Après une expertise en architecture, les frais d’aménagement du logement peuvent être chiffrés avec plus de précision.
Ces frais comprennent ceux de l’aménagement du domicile actuel ou, en cas d’impossibilité, le surcoût découlant de l’acquisition d’un domicile mieux adapté au handicap en raison, entre autre, du surcroît de superficie nécessaire pour permettre la circulation d’un fauteuil roulant et de l’aménagement d’une chambre destinée à la tierce personne assurant la surveillance de nuit.
A cet égard, la victime a le droit, comme tout propriétaire, d’accéder à l’ensemble de son domicile et ainsi les aménagements doivent permettre cet accès. En outre, il y a lieu d’indemniser ce poste de préjudice en fonction des besoins de la victime même en l’absence de factures mais uniquement des devis. Encore faut-il ajouter qu’en prinicipe les frais d’aménagement du domicile ne font l’objet d’aucune prestation sociale donc il n’y a pas de déduction à opérer à ce titre.
Dans la plupart des cas, lorsque le domicile de la victime fait l’objet d’une location, les travaux d’aménagement ne sont pas compatibles avec le statut de locataire qui n’est pas non plus à l’abri d’une résiliation du bail par le propriétaire.
C’est pourquoi la Cour de cassation a décidé que dans cette hypothèse d’une location les frais d’achat de terrain, de construction, et d’aménagement sont en relation directe avec l’accident et devraient être pris en charge en totalité par le tiers responsable, indépendamment de l’économie réalisée par le non-paiement d’un loyer et de la réalisation d’un placement immobilier [25].
Dans une autre espèce concernant une victime qui n’était pas propriétaire de son logement avant l’accident et qui avait d’abord été hébergée chez ses parents, dont le logement avait dû être adapté pour le recevoir, puis ultérieurement avait acheté une maison adaptée à son handicap, la Haute juridiction a approuvé le second juge qui a décidé que l’assureur devait indemniser l’intégralité des dépenses occasionnées par l’aménagement mais aussi de l’achat [26].
Ces arrêts sur l’indemnisation intégrale des frais de logement aménagé montrent que pour ce poste de préjudice la Cour de cassation exerce pleinement son contrôle normatif de motivation sur le manque de base légale [27].
Dans certains cas, les frais d’aménagement peuvent concernés plusieurs logements voire des frais d’installation et de maintenance d’une piscine dès lors qu’ils sont en lien de causalité avec le fait dommageable. Par exemple, une affaire de notre cabinet concernant une action judiciaire pour souffrance fœtale d’un enfant né avec un handicap a obtenu des provisions à valoir sur l’indemnisation de l’aménagement de quatre logements différents [28].
E. Préjudice exceptionnel des troubles dans les conditions d’existence des proches.
En cas de paralysie cérébrale chez l’enfant après un accident d’accouchement, le préjudice moral d’affection des proches est naturellement indemnisé en leur qualité de victimes indirectes (victimes par ricochet).
Cependant, ce poste ne tient pas compte des troubles dans les conditions d’existence des victimes indirectes consécutives au handicap de l’enfant.
Selon la nomenclature Dintilhac, ces troubles sont rangés dans le poste du préjudice exceptionnel des victimes par ricochet.
Ces troubles, souvent nombreux, entraînent un bouleversement particulier et soudain dans les conditions de vie de la famille. Par exemple, les parents peuvent subir quotidiennement une fatigue ou un épuisement physique outre un sentiment d’impuissance devant la souffrance de leur enfant handicapé à la suite d’un accident d’accouchement.
Pour le juge du fond, il s’agit d’une appréciation in concreto sur les troubles dans les conditions d’existence des proches, la perte de qualité de vie avant ou après consolidation, la privation des activités familiales ou sociales et l’isolement social voire la réduction de l’espace de vie.