Hypothermie thérapeutique néonatale : précisions médico-légales utiles aux parents.

Par Dimitri Philopoulos, Avocat.

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Explorer : # hypothermie thérapeutique néonatale # encéphalopathie anoxo-ischémique # neuroprotection # responsabilité médicale

Cet article fournit des éléments médico-légaux et conseils aux parents d’un enfant traité par hypothermie après un accouchement compliqué par un manque d’oxygène à la naissance.

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La naissance d’un enfant est habituellement un événement joyeux mais parfois l’accouchement est compliqué par des troubles comme ceux du cordon ombilical, du placenta ou de la santé de la mère avec pour conséquence un manque d’oxygène du fœtus.

Pendant de longues années, il n’y avait pas de véritable traitement pour un manque d’oxygène de l’enfant à naître.

Fort heureusement, aujourd’hui, l’hypothermie thérapeutique néonatale permet de minimiser voire éviter les séquelles.

I. Principe du traitement du nouveau-né par hypothermie.

Il s’agit du refroidissement modéré de la température du corps (une cryothérapie) de l’enfant né à terme ou près du terme pour protéger son cerveau contre les effets néfastes d’un manque d’oxygène.

Spécifiquement, un manque d’oxygène total ou partiel (une anoxie ou une hypoxie respectivement) et/ou un effondrement du débit sanguin (une ischémie) peut être à l’origine d’un état neurologique perturbé à la naissance, appelé encéphalopathie anoxo-ischémique, pouvant conduire à un handicap par infirmité motrice cérébrale (appelé aussi paralysie cérébrale).

L’hypothermie thérapeutique néonatale doit être mise en place avant 6 heures de vie.

Il en est ainsi car les dégâts d’un manque d’oxygène à la naissance sont modifiables uniquement dans les premières heures de vie du bébé.

Le traitement dure 72 heures ou 3 jours ce qui est naturellement une attente difficile pour les parents.

II. Hypothermie thérapeutique néonatale procure une neuro-protection importante.

Une revue systématique de 11 essais randomisés a conclu au bénéfice de l’hypothermie contrôlée chez le nouveau-né atteint d’une encéphalopathie par anoxo-ischémie [1].

Cette revue des essais randomisés a également montré que l’hypothermie thérapeutique a réduit le taux de mortalité sans augmenter celui de handicap.

Ce point est important car les avocats des médecins imaginent souvent que le taux de handicap serait augmenté par l’hypothermie thérapeutique.

Les journaux ont ainsi parlé d’une révolution dans le traitement de l’enfant né après un accouchement compliqué [2] : « Dans ces situations cliniques, l’hypothermie a apporté une réponse inédite. Permettant non seulement de sauver, mais de guérir complètement un enfant sur deux, en moyenne. »

III. D’où vient la protection cérébrale de l’hypothermie ?

Quand l’enfant subi un manque d’oxygène ou anoxie lors de sa naissance (plus exactement un manque d’oxygène et d’apport sanguin donc une anoxo-ischémie), par exemple en raison d’une erreur médicale pendant l’accouchement, il y a deux périodes pendant lesquelles peut se produire la destruction des cellules du cerveau.

Dans un premier temps, elle se produit peu après l’anoxie du fœtus. En effet, en cas d’anoxie, le métabolisme du fœtus se sert d’une voie qui n’utilise pas d’oxygène. Ce métabolisme sans oxygène produit des acides organiques (à l’origine d’une acidose métabolique) et ne fournit pas assez d’energie pour préserver l’intégrité des cellules du cerveau. Cette défaillance d’energie est à l’origine d’une perte immédiate des cellules du cerveau (avant la mise en place de l’hypothermie).

En revanche, dans un second temps, après l’oxygénation du bébé lors de la réanimation à la naissance, la voie de métabolisme habituelle (qui se sert de l’oxygène) est à nouveau utilisée d’où (ce qui est contraire à l’intuition) l’apparition d’une seconde vague de perte de cellules du cerveau. Cette seconde vague de mort cellulaire programmée est appelée « apoptose ».

Fort heureusement, il y a un délai de six heures entre les deux vagues de mort cellulaire ce qui permet à l’hypothermie thérapeutique de sauver des cellules devront disparaître par apoptose.

C’est pourquoi le traitement par hypothermie doit commencer avant le délai de six heures. Après ce délai, les convulsions post-anoxiques peuvent apparaître ce qui signent l’apparition de la défaillance d’energie de la seconde vague et l’apoptose.

Il convient de noter qu’une étude française sur la cohorte LyTONEPAL a montré qu’un délai supérieur à 6 heures est relativement fréquent [3].

En effet, cette étude a montré qu’en France la mise sous hypothermie après un délai supérieur à 6 heures se voit dans presque 30 % des cas. Pour ce qui concerne les établissements de santé qui ne pratiquent pas l’hypothermie thérapeutique, ce pourcentage est encore plus élevé soit 36 %.

Le risque d’un délai supérieur à 6 heures était augmenté pour les cas de petite maternité, de délai supérieur à 3 heures entre différents moments importants du transfert et de la survenance d’un événement indésirable pendant le transfert.

Ainsi en cas d’un traitement par hypothermie, l’avocat en droit de la santé doit rester attentif et vérifier le respect du délai maximum de 6 heures.

Sur le plan moléculaire, l’hypothermie bloque différentes voies de l’apoptose. Par exemple, le refroidissement réduit des demandes métaboliques et l’œdème, diminue la libération de substances excitotoxiques nocives comme le glutamate, réduit la production de radicaux libres qui sont des oxydants dangereux et empêcherait l’activation des cytokines qui produisent l’inflammation.

IV. Point de vue de l’avocat de victimes.

L’hypothermie thérapeutique néonatale fait partie aujourd’hui des données acquises de la science médicale.

En conséquence, dès lors qu’elle est indiquée, l’absence de mise en route du traitement par hypothermie constitue une faute médicale à l’origine d’une perte de chance importante d’éviter le handicap d’infirmité motrice cérébrale.

La Cour administrative d’appel de Lyon a été saisie d’une espèce sur ce point. Bien qu’elle ait ordonné une autre expertise médicale, elle a constaté dans ses motifs une faute consécutive à l’absence de transfert de l’enfant pour l’hypothermie thérapeutique [4] :

« Les experts ont retenu dans leur rapport l’existence de deux fautes imputables au centre hospitalier, consistant d’une part, en un défaut d’analyse et de transmission par la sage-femme au gynécologue obstétricien de garde du caractère très pathologique du rythme cardiaque fœtal qui a empêché une décision de naissance rapide de l’enfant, au besoin par césarienne, et, d’autre part, en une absence de transfert immédiat du nouveau-né vers une unité spécialisée qui l’a privé d’une meilleure évaluation de la gravité de l’encéphalopathie anoxo-ischémique et qui aurait conduit à la mise en place d’un protocole d’hypothermie. »

Comme cette décision de justice le précise, le traitement par hypothermie est indiqué pour les enfants ayant subi un manque d’oxygène important. En outre, celui-ci est souvent prolongé ce qui laisse le temps à la sage-femme d’appeler le gynécologue-obstétricien qui peut extraire l’enfant en temps utile tantôt par césarienne, tantôt par forceps ou ventouse selon les conditions obstétricales.

En ce sens, une récente étude française a montré que l’hypoxie fœtale la plus fréquente est celle qui s’installe progressivement par des ralentissements répétés du rythme cardiaque fœtal [5].

Cette évolution progressive de l’asphyxie fœtale fournit à l’équipe obstétricale le temps d’analyser l’aggravation des anomalies du rythme cardiaque fœtal et les conditions obstétricales afin d’organiser une intervention éventuelle (césarienne ou forceps selon l’avancement du travail).

Cependant, des défaillances dans la communication entre la sage-femme et le gynécologue-obstétricien ne permettent pas d’intervenir en temps utile pour prévenir l’encéphalopathie anoxo-ischémique (et plus tard l’infirmité motrice d’origine cérébrale donc la paralysie cérébrale).

Sans surprise des assureurs ont commencé à utiliser les données tirées de l’hypothermie thérapeutique néonatale pour étudier la responsabilité médicale du gynécologue-obstétricien pour le cas de l’accouchement [6].

Il en est ainsi car le traitement du nouveau-né par hypothermie permet l’étude de cas d’encéphalopathie anoxo-ischémique [7] [8].

Conclusion.

Un professionnel du droit peut dire à la famille de la jeune victime d’une infirmité motrice cérébrale si une action en justice est opportune.

Dans le cas où votre enfant aurait reçu un traitement par hypothermie, une consultation chez un avocat spécialiste permet de répondre à la question de la conformité des soins qui doivent respecter les données acquises de la science obstétricale.

Cette prise de contact avec un avocat spécialisé est indiquée lorsque l’IRM cérébrale de contrôle (pratiquée juste après la levée des 72 heures de l’hypothermie) n’est pas normale donc en cas d’anomalies, par exemple, des noyaux gris centraux (noyau lenticulaire, noyau caudé, putamen), du thalamus, des régions cortico-sous-corticales ou du cortex périrolandique.

Cette assistance juridique permettra à la famille de comprendre les circonstances d’un accouchement et de faire valoir ses droits les plus légitimes.

Dimitri Philopoulos
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine
https://dimitriphilopoulos.com

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Notes de l'article:

[1Jacobs SE, Berg M, Hunt R, Tarnow-Mordi WO, Inder TE, Davis PG. Cooling for newborns with hypoxic ischaemic encephalopathy. Cochrane Database Syst Rev. 2013 Jan 31 ;2013(1):CD003311.

[2Favereau E., Réanimation néonatal : le froid qui sauve. Libération. 24 mars 2014.

[3Beck J, Debillon T, Guellec I, Vilotitch A, Loron G, Bednarek N, Ancel PY, Pierrat V, Ego A. Healthcare organizational factors associated with delayed therapeutic hypothermia in neonatal hypoxic-ischemic encephalopathy : the LyTONEPAL cohort. Eur J Pediatr. 2023 Jan ;182(1):181-190. doi : 10.1007/s00431-022-04666-7. Epub 2022 Oct 21. PMID : 36269426.

[4Cour administrative d’appel de Lyon (6ème ch.), 3 octobre 2019, nº 18LY04613.

[5Descourvieres L, Ghesquiere L, Drumez E, et al. Types of intrapartum hypoxia in the newborn at term with metabolic acidemia : A retrospective study. Acta Obstet Gynecol Scand. 2022 ;00:1-6.

[6El-Dib M, El-Shibiny H, Walsh B, Cherkerzian S, Boulanger J, Bates SV, Culic I, Gupta M, Hansen A, Herzberg E, Joung K, Keohane C, Patrizi S, Soul JS, Inder T ; CRICO Neonatal Encephalopathy Registry. Establishing a regional registry for neonatal encephalopathy : impact on identification of gaps in practice. Pediatr Res. 2023 Aug 8. doi : 10.1038/s41390-023-02763-3.

[7Donn SM, Fanaroff JM. Medico-legal implications of hypothermic neuroprotection in the newborn. J Neonatal Perinatal Med. 2018 ;11(2):109-114.

[8Fanaroff JM, Ross MG, Donn SM ; Newborn Brain Society Guidelines and Publications Committee. Medico-legal considerations in the context of neonatal encephalopathy and therapeutic hypothermia. Semin Fetal Neonatal Med. 2021 Oct ;26(5):101266.

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