Les arrêts Mercier , Gomez , Bianchi , du Conseil d’Etat à propos de l’Hôpital Joseph Imbert d’Arles , et l’arrêt Perruche ont marqué un tournant décisif dans l’histoire du Droit de la Santé en France. La responsabilité et des professionnels de santé et des établissements hospitaliers a évolué à la faveur d’une progressive jurisprudence, de la classique obligation de moyen vers une obligation de résultat. C’est dans ce contexte que la Loi Kouchner sera votée .Cette évolution jurisprudentielle et législative a permis d’améliorer tant soit peu la qualité de l’offre de soins en France.
De bon constat et d’une objective observation, la situation n’a guère évolué en Afrique, en particulier en République du Bénin. Le nombre de décès et de séquelles imputables à la faute ou à l’erreur médicale augmentent sous l’œil impuissant parfois complice des autorités sanitaires au niveau national.
Le Bénin dispose d’une structure de soins sous forme pyramidale à trois (3) niveaux calquée sur le découpage territorial. Le Bénin est divisé en douze (12) grands départements subdivisés en quatre-vingts-trois (83) communes. Chaque commune est divisée en plusieurs arrondissements eux-mêmes subdivisés en villages et hameaux :
Au niveau primaire, il y a le centre de santé d’arrondissement pour les arrondissements, le centre de santé communal et les hôpitaux de zones. A ces infrastructures s’ajoutent les dispensaires.
Au niveau secondaire, il y a les centres hospitaliers départementaux et les formations assimilées.
Au niveau tertiaire, le Centre National Hospitalier Universitaire (CNHU), la Centrale d’Achat des Médicaments essentiels (CAME) et d’autres spécialisées comme le Centre Pneumo-physiologie et le Centre Psychiatrique constituent la base de cette organisation pyramidale.
Il est important de noter que les Forces Armées Béninoises disposent d’un système sanitaire autonome chapeauté par l’Hôpital d’Instruction des Armées de Cotonou.
Le système de santé béninois paraît consistant mais manque énormément de moyens pour assurer des soins de qualité à une population en majorité analphabète et dont les droits dans ce secteur sont quasi inexistants. Les béninois subissent avec fatalisme une situation qui devient de plus en plus alarmante.
L’absence de statistiques concernant les conséquences de la défaillance du système de santé nous amène à nous interroger sur le rôle que doit jouer l’autorité nationale dans la mise en œuvre et la sauvegarde du droit du patient et du malade hospitalisé.
Le patient et le malade hospitalisé sont des usagers du système de santé. L’usager est celui qui a un droit réel d’usage et qui utilise un service public. D’un point de vue juridique, l’usager renvoie au secteur de soin public uniquement, le terme de client à celui du secteur de soin privé. En France, dans le domaine de la santé, le secteur public et le secteur privé ne sont pas aussi clairement séparés dans la mesure où les professionnels libéraux et les établissements privés conventionnés bénéficient d’un système de financement qui relève de la responsabilité collective.
Le terme ‟usager” a été retenu dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé pour les dispositions concernant la participation des associations au système de santé. Cette loi -que la personne soit prise en charge dans un établissement ou par un professionnel relevant du secteur public ou du secteur privé- fixe un cadre pour améliorer les droits et la qualité du système de santé dans son ensemble.
Le droit de la santé, quant à lui, est un ensemble de règles qui vise à protéger la santé de chaque individu tant dans son aspect préventif que curatif. C’est un droit encore mal vécu car longtemps déconsidéré par les acteurs du système de santé (médecins et personnels soignants…) qui redoutent une intervention emprisonnante de l’Etat notamment dans leur pratique professionnelle. Pour le médecin, l’intervention d’un tiers -dans ce cas la force publique- lui apparaît comme facteur de pesanteur ou de bonne charge insupportable.
Le droit de la santé est un droit transversal qui recouvre de véritables secteurs du droit tels que le droit sanitaire et social, le droit de l’environnement, le droit de l’urbanisme, le droit du travail, le droit civil et le droit pénal. Il est devenu aujourd’hui un droit incontournable.
Aussi nous pouvons alors nous poser la question de savoir en quoi les règles du droit de la santé peuvent permettre d’améliorer la qualité de l’offre de soins au Bénin ; quelles incidences ces règles peuvent-elles avoir sur le système de santé ? En quoi ces règles peuvent elles contribuer à améliorer les droits du patient et du malade hospitalisé ?
La conception de la santé en Afrique et précisément au Bénin est bien différente même si ce pays a une histoire commune avec la France. Serait-il alors prudent de calquer ce qui se fait en France quand on sait l’échec qu’a connu la plupart des pays colonisés au travers des institutions mises en place après les indépendances sur le modèle français. La différence de mentalité joue également beaucoup dans la mesure où en Afrique, les causes de décès ou d’accidents médicaux sont souvent d’ordre surnaturel. C’est souvent dû à la volonté de Dieu ou à des pratiques mystiques très courantes dans ce pays.
L’analphabétisme de la population et la méconnaissance des règles qui existent, constituent un frein non moins important à la mise en œuvre du droit de la santé en Afrique. Il faut noter le manque de moyens nécessaires à la pratique de la santé et le difficile accès aux soins qui obligent parfois les individus à se soigner selon leurs propres moyens ; de surcroit à recourir à bien des pratiques de la pharmacopée, désabusés par l’inaccessibilité aux soins.
L’Etat ne remplit pas cette fonction régalienne qui lui est assignée dans ses prérogatives. L’exemple du Bénin est révélateur. A la fin des années 80, l’Etat béninois sous le coup des Programmes d’Ajustement Structurel, a gelé les recrutements dans la fonction publique. Les jeunes médecins diplômés ont alors décidé de se mettre à leur propre compte pour ouvrir des centres de santé privés.
Cependant, sans contrôle de l’autorité nationale, des dérives n’ont pu être maîtrisées et endiguées. On assiste alors non seulement une prolifération des centres de santé privés mais aussi à une anarchie qui témoigne d’une course à l’enrichissement. Ce qui fait que les promoteurs, à la suite des autorités publiques, accordent peu d’importance à la déontologie et aux règles qui définissent la pratique de la médecine légale. C’est la grande ‟catchacratie” , pour ne pas faire allusion à la cour du Roi Petaud : n’importe qui ouvrant une clinique ou un cabinet.
Ces structures de santé privées jouent néanmoins un rôle compensatoire dans le système de santé béninois. Ce sont des structures de proximité qui permettent aux individus de se soigner.
On en distingue deux types :
les structures de santé qui répondent à des normes (normes parfois mal définies, mail établies).Dans ces structures, ceux qui y exercent ont reçu une formation que l’on pourrait qualifier d’adéquate et s’évertuent à dispenser des soins de qualité dans un certain respect de la déontologie médicale. Cependant, fréquenter ce type de centre de santé a un coût et le béninois moyen ne peut se le permettre.
Il y a ensuite les centres de santé qui ont surgi à tous les coins de rue au cours de cette dernière décennie. On ne s’embarrasse pas des règles élémentaires pour l’installation de ces structures privées. Des cliniques ou des cabinets sont ouverts en plein marché, à côté des écoles et même près des bars et des ‟maisons closes”. L’Etat a laissé libre court a un nouveau type de commerce et aujourd’hui n’importe quel individu sans qualification se permet d’ouvrir un centre de santé et d’y dispenser des soins. Un état de fait émanant d’un certain laxisme.
Les organismes de contrôle ne jouent pas leur rôle dans la mesure où ils manquent de moyens d’action pour endiguer ce phénomène qui constitue un danger pour la population béninoise.
Il est difficile de parler de droit de la santé quand on sait que le système de santé est défaillant et seuls les plus nantis peuvent se permettre d’accéder à des soins de qualité.
Il importe, aujourd’hui, se référer à des exemples de pays -loin d’être riches- qu’il serait possible d’adapter en République du Bénin.
Le système de santé cubain est souvent cité en exemple. Pendant des années, la santé, au centre du projet révolutionnaire, avait bénéficié du soutien de l’ex-bloc soviétique.
Le système de santé cubain est avant tout basé sur la prévention. Il part du principe que « chaque personne et chaque peuple a le droit à une vie saine et doit profiter du privilège d’une existence prolongée et utile. »
Dès 1961, Cuba a entrepris une modification profonde des structures. Les services de santé ont été nationalisés, et placés sous l’autorité du ministère de la Santé publique (MINSAP). La population cubaine a gratuitement accès aux services médicaux, dont le réseau couvre tout le territoire national.
Chaque année, l’Etat consacre environ 5% du PIB à la santé publique. Dans le système de santé cubain, la médecine préventive a une priorité certaine. Les soins de santé primaires sont apportés par le médecin de la famille ; le pays en compte plus de 29 900. Les indicateurs de base de santé maternelle et infantile sont supérieurs à ceux des autres pays dits « en voix de développement », et comparables à ceux des pays hautement développés. Les principales causes d’hospitalisation sont les complications de la grossesse, les maladies respiratoires (la pneumonie, la bronchite asthmatiforme,...).
La médecine cubaine moderne a développé des techniques modernes de transplantations de reins, cœur, poumon, moelle osseuse, foie, pancréas, cornée et de transplantations nerveuses. Malgré la réduction des importations et l’embargo que les Etats Unis imposent, Cuba a réussi à maintenir les soins de santé primaires et hospitaliers, bien que la disponibilité en médicaments et matériel médical de base ait diminué. Les études des médecins sont organisées en 3 cycles de deux années ; à l’issue du 1er cycle est délivré le diplôme de « travailleur sanitaire », à l’issue du 2ème cycle le diplôme « d’infirmier », et celui de « médecin » après le 3eme cycle. Ce médecin diplômé commence obligatoirement sa carrière à la campagne (2 ans), et ce n’est qu’après ce travail en zone rurale qu’il peut entreprendre des études de spécialisation. Par ailleurs, tous les médecins bénéficient d’une formation permanente. En 1998, le secteur de la santé comptait 63 483 médecins (1 pour 175 habitants), et 9873 stomatologues (un pour 1126 habitants).
La république du Bénin devrait s’appuyer sur l’exemple de Cuba compte tenu de l’histoire commune qui date de l’époque où la république du Bénin était encore sous le joug communiste.
Il serait approprié de mettre en place des stratégies adéquates qui permettrait de prendre en considération la médecine traditionnelle qui constitue une des richesses de notre pays en espérant que les autorités nationales en charge de la mise en place de ce système s’investissent de manière audacieuse pour le bien être des populations. Il apparaît, clairement, urgent de prendre des décisions et de mener des actions hardies pour arrêter les dégâts qui s’observent tous les jours et de redorer le blason du système de santé béninois en matière d’accès aux soins et de qualités de ceux-ci. Cela constituerait un premier pas dans la mise en œuvre de la responsabilité médicale et la responsabilisation des différents acteurs de santé.
Fabrice M-Y AYIKOUE
Doctorant en Droit Médical
Université de Saint-Denis Vincennes
France