Permis de conduire du salarié : comment gérer son retrait ou sa suspension ?

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Le salarié dont le permis de conduire est suspendu ou retiré peut, dans certains cas, faire l’objet d’un licenciement. Les motifs de cette mesure varient selon que l’infraction est commise pendant ou en dehors du temps de travail. Il peut être justifié si les fonctions du salarié nécessitent l’usage régulier d’un véhicule. Le licenciement peut aussi être motivé par un avis d’inaptitude à la conduite.

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1/ La perte du permis de conduire liée à une infraction commise pendant le temps de travail.

Les infractions au Code de la route commises par un salarié au volant d’un véhicule de l’entreprise pendant son temps de travail peuvent constituer une faute disciplinaire.

Cette faute peut justifier une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

Toutefois, il est important de noter que la simple infraction au Code de la route ne suffit pas à justifier une telle sanction.

Il est impératif que l’employeur motive sa décision et fonde sa sanction sur le comportement fautif du salarié, tel que l’excès de vitesse, la répétition d’infractions ayant conduit à la perte des points, la responsabilité d’un accident de la route ayant endommagé un véhicule de l’entreprise, ou toute autre infraction grave.

Le fait de conduire un véhicule de l’entreprise sans avoir informé l’employeur de la suspension de son permis peut également justifier le prononcé d’une sanction [1].

Si le retrait du permis de conduire résulte d’un comportement dangereux du salarié, pour lui-même ou pour des tiers, le licenciement peut être motivé par une faute grave privative des indemnités de rupture, comme en cas d’excès de vitesse ou de conduite en état d’ébriété [2].

A titre d’illustrations, justifient le licenciement pour faute grave du salarié les situations suivantes :

  • Excès de vitesse commis par un chauffeur de car qui a occasionné un accident dans une agglomération, ce manquement faisant suite à plusieurs mises en garde quant aux risques qu’il prenait à rouler à trop grande vitesse pour rattraper son retard lors de sa prise de service [3].
  • Inspecteur commercial ayant commis, au volant d’un véhicule de service mis à sa disposition pour l’exercice de ses missions, 5 excès de vitesse dans un laps de temps très rapproché en dépit de l’obligation contractuelle mise à sa charge et de la nature de ses fonctions, supposant une grande mobilité [4].
  • Conducteur receveur responsable de 2 accidents de la circulation au cours du même mois et n’ayant pas assisté à une formation en matière de sécurité routière organisée par son employeur sans justification [5].

A l’inverse, le licenciement du salarié a pu être jugé comme ne reposant sur aucune cause réelle et sérieuse dans les situations suivantes :

  • Chauffeur poids lourds jamais sanctionné pour un dépassement de vitesse, ne commettant d’excès de vitesse que très rarement et de manière extrêmement brève [6].
  • Accident de la circulation causé par un chauffeur de bus en excès de vitesse, dû aux conditions de circulation difficiles [7].

Enfin, les circonstances peuvent justifier le licenciement du salarié pour cause réelle et sérieuse (faute simple) mais non pour faute grave.

Tel est le cas de l’accident d’un chauffeur routier perdant le contrôle de son véhicule faute d’avoir désactivé son régulateur de vitesse par temps de neige, contrairement aux consignes de l’employeur [8].

2/ La perte du permis de conduire liée à une infraction commise hors temps de travail.

Aucune sanction disciplinaire ne peut être justifiée pour une infraction au Code de la route commise en dehors du travail et qui entraînerait le retrait ou la suspension du permis de conduire.

En effet, pour la Cour de cassation, un fait commis dans le cadre de la vie privée du salarié ne peut pas justifier une sanction disciplinaire et le licenciement prononcé sur ce fondement est abusif [9].

Solutions alternatives ou licenciement.

En cas de perte du permis de conduire, empêchant tout ou partie de l’exécution du travail par le salarié, des solutions temporaires peuvent être trouvées en accord avec l’employeur afin de maintenir le contrat de travail pendant la période de récupération du permis.

Ces solutions peuvent inclure la recherche de moyens alternatifs pour se rendre au travail, tels que les transports en commun ou le covoiturage, la réaffectation temporaire à d’autres fonctions, ou la prise de congés.

Toutefois, si la perte du permis de conduire empêche le salarié d’exécuter objectivement son travail, le licenciement peut être justifié.

Dans le cas où le contrat de travail du salarié est principalement lié à la conduite d’un véhicule, tels que les routiers, les chauffeurs-livreurs, les ambulanciers, etc., et que la perte du permis de conduire l’empêche d’exercer ses fonctions, le licenciement peut être envisagé.

Si le salarié n’a pas besoin de son permis de conduire pour effectuer son travail, la perte de celui-ci ne peut pas justifier un licenciement.

Enfin, si les fonctions du salarié impliquent la conduite d’un véhicule et que les déplacements sont essentiels à la prestation de travail, tels que les commerciaux, le licenciement n’est justifié que si la suspension ou le retrait du permis de conduire rend impossible l’exécution du travail.

Si le salarié est en mesure de poursuivre l’exécution normale de son contrat de travail, par exemple en utilisant les transports en commun, l’employeur ne peut pas mettre fin au contrat.

Motivation du licenciement.

Le licenciement disciplinaire n’est pas envisageable si la perte du permis de conduire n’est pas due à une faute du salarié.

Toutefois, si la perte du permis de conduire entraîne des perturbations objectives et importantes dans le bon fonctionnement de l’entreprise, l’employeur peut justifier un licenciement.

Pour ce faire, il doit être en mesure de prouver les perturbations subies en raison de la suspension ou du retrait du permis de conduire du salarié.

Exemples.

  • La cour d’appel, qui n’a pas pris en considération un fait de la vie personnelle du salarié mais l’incidence du retrait de permis de conduire sur le contrat de travail, a retenu que la bonne exécution de celui-ci exigeait que le salarié conduise lui-même son véhicule de fonction. Elle a ainsi pu décider que le licenciement d’un inspecteur commercial chargé du démarchage, de la visite et du suivi de la clientèle procédait d’une cause réelle et sérieuse [10].
  • La cour d’appel ayant relevé que le salarié devait être titulaire du permis de conduire pour exercer ses fonctions a pu décider que la privation dudit permis pour une durée de six mois, qui l’empêchait d’exercer les fonctions pour lesquelles il avait été engagé, constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement [11].

Si un tel licenciement est prononcé, le salarié a droit à son préavis et à l’indemnité de licenciement.

Par exception, aucune indemnité compensatrice n’est due au salarié dont l’exécution du préavis est impossible en raison de la suspension de son permis de conduire lorsqu’il est nécessaire à l’exercice de ses fonctions [12].

Il en va différemment si l’employeur est en mesure d’occuper le salarié à d’autres tâches ou s’il le dispense d’exécuter son préavis.

3/ L’hypothèse de l’inaptitude.

Dans le cas où la suspension ou le retrait du permis de conduire est dû à des raisons médicales, l’employeur a la responsabilité d’orienter le salarié vers le médecin du travail.

Ce dernier peut recommander des mesures d’adaptation du poste de travail ou déclarer le salarié physiquement inapte à occuper son poste de travail.

Sauf si le médecin du travail en décide autrement, l’employeur est tenu de chercher un poste de travail adapté aux capacités du salarié, après avoir consulté le CSE, le cas échéant.

Si cette recherche s’avère impossible, l’employeur doit classiquement notifier par écrit au salarié les raisons qui s’opposent à son reclassement.

Ensuite, une procédure de licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement peut être diligentée [13].

En définitive, dans cette hypothèse, l’employeur doit respecter les règles habituelles du licenciement pour inaptitude professionnelle ou non-professionnelle.

4/ Les règles particulières de certaines conventions collectives.

Certaines conventions collectives envisagent les conséquences de la suspension ou du retrait de permis sur le contrat de travail, notamment dans les transports routiers et activités auxiliaires [14].

L’accord du 13 novembre 1992 annexé à cette convention collective prévoit par exemple que la suspension ou l’invalidation du permis de conduire n’entraînent pas, en tant que telles, la rupture automatique du contrat de travail du salarié occupant un emploi de conducteur au sens de la convention collective susvisée, à condition que le salarié concerné ait immédiatement informé son employeur de la mesure dont il a fait l’objet, à savoir le premier jour de travail suivant celui où la mesure lui a été notifiée [15].

Une concertation doit s’engager entre l’employeur et le conducteur afin qu’ils examinent ensemble la situation, sans qu’il soit pour autant porté atteinte au principe de la confidentialité.

A cette occasion, le conducteur, s’il le souhaite, se fait assister par une personne de son choix appartenant à l’entreprise.

La situation du salarié concerné fait l’objet d’une information de la part de l’employeur au comité d’établissement ou d’entreprise ou aux délégués du personnel au cours de la réunion mensuelle la plus proche de l’une de ces institutions représentatives [16].

En définitive, il est important de toujours vérifier la convention collective applicable avant d’envisager le licenciement du salarié.

5/ L’employeur peut-il demander au salarié son relevé de points ?

L’employeur peut régulièrement demander au salarié de justifier qu’il détient toujours son permis de conduite si son activité professionnelle nécessite la conduite d’un véhicule.

Le permis doit correspondre à la catégorie du véhicule utilisé.

Une clause du contrat de travail et/ou le règlement intérieur peuvent prévoir les informations suivantes :

  • Vérification périodique du permis de conduire ;
  • Information immédiate de l’employeur de toute suspension ou retrait du permis de conduire.

En revanche, l’employeur n’a pas le droit de demander au salarié des informations sur le nombre de points détenus sur le permis de conduire.

En effet, l’article L223-7 du Code de la route dispose :

« Les informations relatives au nombre de points détenus par le titulaire d’un permis de conduire ne peuvent être collectées que par les autorités administratives et judiciaires qui doivent en connaître, à l’exclusion des employeurs, assureurs et toutes autres personnes physiques ou morales.

Toute infraction aux dispositions de l’alinéa précédent est punie des peines prévues à l’article 226-21 du Code pénal.

La divulgation des mêmes informations à des tiers non autorisés est punie des peines prévues à l’article 226-22 du Code pénal ».

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1CA Dijon 4-11-2011 n° 10/01090.

[2Cass. soc. 30-9-2013 n° 12-17.182.

[3CA Paris 6-6-2003 n° 02-30310.

[4CA Orléans 16-7-2019 n° 17/00010.

[5Cass. soc. 27-1-2009 n° 07-43.955.

[6Cass. soc. 16-3-2011 n° 09-41.178.

[7CA Paris 27-2-2013 n° 11/05057.

[8CA Reims 30-1-2013 n° 11-02864.

[9Cass. soc. 3-5-2011 n° 09-67.464.

[10Cass. soc. 31-3-1998 n° 95-44.274.

[11Cass. soc. 24-1-2007 n° 05-41.598.

[12Cass. soc. 28-2-2018 n° 17-11.334.

[13C. trav. art. L1226-2 s. et L1226-10 s..

[14IDCC 16.

[15Art. 2.1.

[16Art. 2.2.

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