La faute disciplinaire de l’agent public dans l’ombre de la matière pénale.

Par François de La Michellerie, Juriste.

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Droit et littérature entretiennent souvent des relations tangibles aux travers desquelles on peut appréhender la problématique juridique de la « faute et de son châtiment ». On citera, pour seul exemple et non des moindres, l’un des chefs-d’œuvre de littérature contemporaine où l’individu est châtié et condamné après un simulacre de procès sur fond de conspiration : Le Procès « de Franz Kafka ». Mais pour l’agent public mise en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire, la réalité pourrait aussi rejoindre la fiction si en matière de défense il serait privé des certaines garanties d’origine pénale au demeurant.

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Chemin faisant de l’aube au crépuscule du Conseil disciplinaire, le régime juridique des sanctions disciplinaires applicables à l’agent public, bien que conservant ses caractéristiques propres en tant que droit autonome, entretient des liens de parentés étroits avec le régime juridique des sanctions pénales, consécutif ou pas à des faits condamnables par la loi pénale.

I. La faute disciplinaire de l’agent public à l’aube du Conseil disciplinaire.

Le cas particulier des sanctions [disciplinaire] déguisées.

En lieu et place de la tenue d’un conseil de discipline, l’agent public [1] peut fait l’objet de l’attitude licencieuse de l’administration qui, prétextant agir dans l’intérêt du service, cherchera plus sournoisement à porter atteinte à la carrière ou au statut de celui-ci au moyen des changements d’affectations par des simples mesures d’organisations internes, présentant alors subrepticement pour vraisemblance [ce qui n’est pas la réalité] la nécessité de mesures d’ordre intérieur.

Certes en l’état actuel du droit il est acquis que les mesures d’ordre intérieur ne sont pas en principe susceptibles de discussion en droit [2] sauf toutefois à démontrer un détournement de pouvoir par l’administration publique à ce propos. Ainsi dès lors que la mesure est motivée non par l’intérêt du service mais par des considérations irrecevables en droit, l’agent public doit pouvoir être mise en mesure de discuter des véritables griefs formulés à son encontre [3]. L’autorité de nomination ne peut donc légalement prononcer une mesure d’ordre intérieur à destination d’un agent public, en substituant celle-ci à sa volonté déguisée de sanctionner, en dehors de toute procédure disciplinaire pour le priver incidemment des garanties qui s’y rattachent. En outre, l’administration ne saurait fonder sa décision sur des motifs tirés en considération de la personne à partir de(s) fait(s) non visé(s) ou non mentionné(s) dans celle-ci. Les faits reprochés à l’agent public ainsi que les griefs qui lui sont opposés doivent pouvoir s’inscrire dans la prévision et le respect des principes de la légalité du droit disciplinaire.

Il convient à cet égard de noter que le Conseil d’Etat, dans sa décision du 24 novembre 1982, a jugé ainsi que l’autorité administrative ne peut faire application d’une sanction autre que celle expressément prévue par les prescriptions législatives ou réglementaires [4]. Sont donc des sanctions déguisées qui encourt la censure du juge administratif : la modification du poste [5] ou encore les changements d’affectation associée d’une baisse de responsabilité avec pour conséquences une diminution de la rémunération [6].

La faute disciplinaire n’est pas une fiction.

Les faits reprochés, à l’appui de la sanction envisagée, sont multiples et peuvent être pour les plus graves d’entre eux constitutifs d’agissements fautifs relatifs à la violation d’une règle pénale, pendant que les moins graves seraient des agissements fautifs relatifs au non-respect d’une obligation statutaire. N’étant pas une procédure contentieuse soumise aux règles de droit commun applicables aux procès, l’agent public ne saurait pour autant être mise en cause à partir de faits simplement supposés ou purement abstraits en dehors de toute démonstration de leurs réalités. Bien que n’étant pas une sanction pénale, la sanction disciplinaire doit être légalement fondée que sur des faits dont la matérialité ne fait pas de doute.

A ce propos il faut souligner qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs « Les personnes physiques [ou morales] ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent ». Par conséquent doivent surement et nécessairement être motivées les décisions qui infligent une sanction à un agent public.

En outre, aux termes des prévisions de l’article 3 de la loi précitée « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement légal de la décision » [7]. Dès lors en application des dispositions précitées, l’autorité disciplinaire auteur de la décision portant sanction ne doit pas se contenter d’employer « des termes générique » sans préciser la nature et la teneur de ces prétendus manquements. La faute disciplinaire consécutive à des manquements aux obligations professionnelles ou statutaires ne serait résulter ou se déduire de simple affirmation : l’administration doit démontrer l’exactitude matérielle des griefs retenus contre l’agent public [8]. En tout état de cause la faute ne peut résulter de simple rumeur [9] et, même si la présomption d’innocence est inapplicable en matière disciplinaire [10], les faits reprochés doivent être réels sinon le doute profite à l’agent mise en cause [11].

De la charge de la preuve et du rejet de la preuve déloyale.

A la différence de la branche du droit civil en droit privé, il n’y a aucune règle d’attribution de la charge de la preuve dans le Code de Justice Administrative (CJA) pour le droit public en droit administratif. Aussi dans la perspective du contentieux juridictionnel, la preuve est en principe libre avec pour seul obstacle toutefois l’interdiction des procédés déloyaux. Historiquement le principe de loyauté est un apanage du principe de la légalité en procédure pénale, créé par la jurisprudence criminelle de la Cour de Cassation dans l’affaire Wilson du 31 janvier 1888. Pour paraphraser le Doyen Bouzat, c’est une « manière d’être de la recherche des preuves dans un esprit conforme au respect des droits de l’individu et à la dignité de la Justice ».

Cela étant, rapporté au régime juridique du droit public comme du droit de la fonction publique, l’analyse de l’état du droit positif révèle que l’interdiction des procédés déloyaux est une fin de non recevoir surtout opposable à l’administration pour la matière disciplinaire. A l’appui de cette affirmation, sans prétendre à une démonstration exhaustive, mentionnons pour preuves et sans jeux de mots quelques décisions de justice.

Les deux premières, sans relever du contentieux disciplinaire, demeurent néanmoins particulièrement intéressantes quant à la question des moyens relatifs à l’origine des éléments de preuve. Son extrapolation au champ juridique du droit disciplinaire peut être une source de droit utile à l’appréciation de la légalité des sanctions disciplinaires du droit de la fonction publique :

- Dans un arrêt du 04 octobre 2018, le juge du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a qualifié de détournement de procédure, viciant alors la renonciation d’un agent à son contrat à durée indéterminée dont il était titulaire au profit d’un contrat à durée déterminée et qui n’a pas été renouvelé à son terme, en s’appuyant alors sur des notes de la direction des affaires juridiques rédigées à l’intention de l’autorité territoriale et qui avaient en réalité pour unique objectif de mettre fin aux fonctions de la requérante, en dehors de toute volonté réelle de l’administration de régulariser sa situation comme cela lui avait été présenté, indépendamment du fait que lesdites notes avaitent été [subrepticement] récupérées par la requérante [12] ;
- Cela étant l’ordonnance susmentionnée fait écho à une autre jurisprudence plus ancienne du Conseil d’Etat qui avait déjà, dans sa décision en date du 08 novembre 1999, affirmé par un considérant de principe que si « M. X… soutient également que le tribunal s’est fondé sur une note adressée par M’Y…, chef de cabinet, au président du conseil général d’Ille-et-Vilaine qui avait un caractère confidentiel et aurait été soustraite à son auteur, cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure à la suite de laquelle le jugement attaqué a été rendu dès lors que cette pièce a pu être discutée contradictoirement par les parties » [13].

La troisième décision de justice, relevant expressément du contentieux administratif de la légalité des sanctions disciplinaires, est celle du Conseil d’Etat en date du 12 juillet 2014 [14] et qui, sans pour autant en faire un principe général du droit, consacre le devoir sinon l’obligation pour l’administration à ne pas user d’un stratagème qui aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de l’agent public poursuivie, sauf intérêts public majeurs [15].

Au cas d’espèce de l’arrêt précité, l’agent public avait été sanctionné par son employeur public en raison d’activités lucratives exercées pendant ses congés de longue durée, lesquelles activités étaient visibles par tout à chacun car pratiquées dans l’espace public. A l’appui de son pouvoir formé contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel du 20 octobre 2011, l’intéressé excipe la prétendue irrecevabilité des éléments de la preuve, puisque produites grâce à des investigations de détectives privées et donc (serait selon lui) déloyale par leurs natures. Mais le Conseil d’Etat n’a pas suivi l’argumentaire du requérant en approuvant la décision de la Cour d’appel, aux motifs que ces constats fussent-ils rapportés par une agence de détective ne caractérisait pas pour la commune un manquement à son obligation de loyauté (puisque tirés du comportement de l’agent dans des lieux ouverts au public).

La solution du litige aurait-elle été différente si la preuve avait été obtenue en violation manifeste du droit à la vie privé protégé par l’article 09 du code civil ? Ce qui certain c’est que le juge administratif est le juge de l’administration et de l’ordre public alors que le juge judiciaire est le juge du justiciable en tant que gardien des libertés individuelles….

Ainsi le principe de la liberté de la preuve devant le juge administratif est plus opérationnel pour l’agent public que pour l’employeur public en matière disciplinaire [16]. La question du droit à la preuve d’une faute, en faveur de l’agent, renvoi nécessairement à la question du droit de la preuve en général, à la charge de l’employeur. Ce dernier ne serait pour les besoins de la procédure se prévaloir d’une liberté absolue indigne d’un état de droit sinon contraire à la probité. Le cas échéant, le tribunal aura le pouvoir à la demande de l’agent public de pousser l’instruction plus avant sous réserve toutefois de l’utilité de la mesure [17].

En outre, le juge peut aussi d’office demander à l’administration de produire des documents [18] ou tout autre élément de fait et de droit propre à fonder sa conviction [19]. De toute évidence pour la matière disciplinaire relative à l’agent public, l’administration de la preuve en contentieux administratif est donc soumise au régime juridique de l’intime conviction à l’instar du juge répressif [20]. D’une manière générale, le juge administratif est libre alors de lui donner la force probante dont il estime devoir lui reconnaître pour former sa conviction au vu des éléments versés par les parties au procès [21].

II. La faute disciplinaire de l’agent public au crépuscule du Conseil de discipline.

L’action disciplinaire et les garanties procédurales de l’action publique.

- L’impartialité absolue du collège paritaire et le principe du contradictoire.

Dans sa décision fondatrice du 28 juillet 1989, le Conseil constitutionnel a posé pour principe que toute autorité administrative est tenue d’observer une attitude impartiale [22]. S’alignant sur la jurisprudence des sages de la rue Montpensier, dans deux affaires mettant en cause des sanctions infligées par un conseil de discipline, le Conseil d’état a étendu dix ans plus tard au conseil de discipline le principe d’impartialité, érigé à l’occasion comme principe général du droit [23]. Dès lors si le conseil de discipline n’est pas un ordre juridictionnel dont l’ensemble des membres seraient expérimentés aux subtilités des règles du droit destinées au respect des droits de la défense, bien que la police des débats se fait parfois sous le contrôle et la surveillance d’un magistrat de l’ordre administratif en la personne de son président, ces instances disciplinaires se doivent de faire preuve de neutralité au cours de la tenue des audiences.

Nonobstant la perspective de la sanction recherchée à partir des faits rapportés, les membres du conseil ne sauraient se contenter d’être les acteurs « d’une tragédie sans surprise » où viendrait à s’exprimer toute animosité ou velléités à l’encontre de l’agent mis en cause à raison de leurs considérations ou expériences personnelles. Leurs missions commandent donc en pareilles circonstances à la plus grande réserve exempte de tout jugement de valeur à l’encontre du fonctionnaire dont la faute est présumée.

Aussi le fait pour le conseil discipline avant toute décision, de présenter comme établis les faits pour lesquels elle est saisi, est caractéristique de préjugés et constitutif d’un manquement au principe d’impartialité [24].

- Le respect des droits de la défense et le principe d’égalité des armes.

Si l’administration informe à l’agent public de la possibilité de recourir à l’assistance « d’un ou de plusieurs conseillers de son choix » alors que la lettre des textes applicable en la matière, tant l’article 19 [alinéa 2] de la loi du 13 juillet 183 ainsi que l’article premier |alinéa 1er] du 25 octobre 1984, fait référence à l’expression « d’un ou de plusieurs Défenseur de son choix », il y a là une différence sémantique qui est de nature à tromper l’intéressé sur l’étendue réelle de ses droits de la défense, puisque l’assistance d’un avocat répond plus à la finalité de défenseur en tant que professionnel du droit, alors que la qualité de conseiller étant plus retenue pour toute assistance de conseil en droit auprès notamment de la communauté des juristes ou des syndicalistes [juriste ou pas].

Autrement dit, tout conseiller de son choix n’est pas forcément un avocat lorsqu’il pourrait s’agir d’un juriste ou d’un syndicaliste. Et bien qu’il n’existe aucune définition de la consultation juridique, il s’agit pour l’agent public poursuivi de disposer pleinement des prestations d’un professionnel du droit au sens de la loi [25] surtout dans un contexte juridique non ordinaire emprunt d’une certaine gravité ou d’une gravité certaine. De surcroît puisque le Conseil d’Etat a jugé qu’est entaché d’irrégularité la décision de l’autorité disciplinaire prononçant la sanction de blâme en raison de l’omission de l’indication par l’administration que le fonctionnaire pouvait se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix, même si l’avis du conseil de discipline n’était pas requis en la circonstance [26], cette décision à donc vocation à s’appliquer avec force à toute convocation à un conseil de discipline.

En outre de part l’exigence du respect du droit à l’égalité des armes, qui s’impose tant au procès civil que pénal mais aussi dans la procédure administrative comme en matière disciplinaire pour le juge de la CEDH [27], cela impliquerait au cas précis d’une procédure disciplinaire que l’administration a le devoir aussi d’informer exactement à l’agent public de son droit à l’assistance réelle d’un professionnel du droit au travers des compétences d’un Avocat, si elle-même a l’intention de se faire représenter par un avocat [28].

- L’action disciplinaire et les garanties de fond de l’action publique.

Principe de la légalité : faute disciplinaire et faute pénale.

Si au point de vue de la théorie juridique le fondement de toute responsabilité exige nécessairement en principe une faute, en l’état actuel du droit et de sa hiérarchie des normes, c’est avant tout au visa de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que se trouve le premier des fondements juridique de la responsabilité des fonctionnaires ou agents assimilés.

Au relai de la loi fondamentale disposant que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », ce sont plusieurs autres textes de lois ordinaires [et leurs décrets d’application] qui viennent préciser les conditions et modalités de mise en œuvre du régime de la responsabilité du fonctionnaire pour faute disciplinaire. Il ne serait évidemment pas forcements pertinent ou efficient d’exposer ici, d’une manière exhaustive, la genèse de toute la réglementation relative aux trois versants de la fonction publique (Fonction publique d’Etat, Territoriale et hospitalière) avant leurs reprise au nouveau code général de la fonction publique instauré par l’ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021.

On se contentera de citer, d’une part la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (portant droits et obligations des fonctionnaires) ainsi que la Loi n°2016-483 du 20 avril 2016 (relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires), et d’autre part le Décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée (portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale) [29]. Par ailleurs pour le principe de la légalité criminelle découlant des termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux termes duquel « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ».

Comme en droit pénal donc, tant les fautes disciplinaires que les sanctions administratives doivent être expressément prévues par un texte. Mais si pour la matière pénale le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs de l’infraction soient définis de façon précise et complète [30], cependant pour la matière disciplinaire en droit de la fonction publique, force est de constater une certaine souplesse sinon nuance puisque il n’y a pas de définition légale de la faute disciplinaire : celle-ci est définie par références aux obligations statutaires et déontologiques auxquelles l’agent public est soumis en vertu des lois et des règlements (décrets).

Cela étant, on retiendra principalement que la faute disciplinaire se caractérise pour l’agent public par un manquement à l’une des obligations statutaires et déontologiques fixée par la loi. Et si les faits reprochés peuvent être éventuellement constitutifs à la fois d’un manquement statutaire ou professionnel et d’une infraction à la loi pénale, la démonstration de l’une n’emporte pas [ipso facto] la preuve de la consommation de l’autre car la légalité de la faute disciplinaire n’est pas la légalité de la faute pénale [que cette dernière soit intentionnelle ou non intentionnelle au sens respective des alinéas premier et suivants de l’article 121-3 du code pénale].

Principe de la personnalité et de la proportionnalité des peines.

La sanction disciplinaire par sa nature administrative n’est pas une sanction pénale. Cette réalité du droit est d’autant plus saisissable si l’on songe au fait qu’aucune autorité administrative ne peut infliger une peine privative de liberté [domaine réservé à l’autorité du Juge judiciaire gardien de la liberté individuelle en application de l’article 66 de la constitution de la Vème république]. Pour autant le pouvoir de sanction de l’administration reste un pouvoir punitif soumis au principe de la proportionnalité des peines de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Il en résulte alors du principe précité que la sanction disciplinaire infligée à l’agent public se doit d’être adaptée en considération des circonstances propres à chaque affaire. Dès lors en faveur de l’agent, la sanction doit tenir compte notamment de l’amélioration du comportement de l’agent postérieurement aux faits sanctionnés [31] ou encore de « la nature des fonctions » et des « états de services » de l’agent public dans le quantum de la mesure punitive [32]. En tout état de cause la sanction disciplinaire est [à fortiori] individuelle et non collective [33] et la poursuite disciplinaire devient sans objet en cas d’altération totale des facultés mentales de l’agent public aux moments des faits [34] qui serait alors considéré comme irresponsable de ses actes au sens de l’article 122-1 du code pénal.

L’action disciplinaire est autonome de l’action publique.

La contestation du fondement légal de la faute disciplinaire ne peut en réalité se penser indépendamment du recours au juge administratif, qui pourra in fine être saisi après achèvement de la procédure administrative ou judiciaire [en cas de lien avec une faute pénale présumée]. Ces procédures administratives et juridictionnelles sont presque intimement liées puisque l’administration et le juge règle une problématique juridique au moyen d’une solution de droit. Le juge de la faute disciplinaire étant le juge administratif alors que celui de la faute pénale est le juge répressif, tous les deux ont en commun dans leur office respectif de dire le droit, à travers l’étendue et l’autorité de la chose jugée. Toutefois, parallèlement au déroulement d’une procédure disciplinaire, l’exercice de l’action publique et l’issue de la procédure pénale sont en principe sans incidence sur la qualification de la faute disciplinaire et le prononcée de la sanction administrative par l’autorité disciplinaire.

- La Faute disciplinaire de l’agent public dans la procédure pénale.

Lorsque les faits reprochés à l’agent public, qui présentés à l’appui de la sanction envisagée, sont des agissements fautifs relatifs à la violation d’une norme pénale, les autorités administratives et judiciaires peuvent être intéressées à l’échange d’information mutuelle propre à asseoir l’exercice de leurs compétences respectives.

A ce titre les éléments recueillis à l’occasion de l’enquête administrative peuvent être utiles à la manifestation de la vérité non seulement pour les autorités responsables de l’action publique, notamment dans le cadre des pouvoirs d’enquête du procureur de la République [35] mais encore à terme pour les magistrats chargés de la procédure judiciaire [tant en phase d’instruction que de jugement]. Cela dit c’est surtout l’information de l’administration par le parquet, des éléments recueillis par l’enquête pénale, qui est de nature à établir la faute disciplinaire dans toutes ses dimensions. Si l’intérêt de tels renseignements ne se saurait avoir ni pour effet ni pour objet d’exonérer l’autorité judiciaire du respect du sacro saint principe de la présomption d’innocence [bien que inapplicable à la procédure disciplinaire], notons toutefois que ces informations qui pourraient être communiquées sous l’autorité du parquet [36] ne devraient pas à mon sens aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la qualification juridique de la faute disciplinaire (soutenue par l’administration) en lien étroit avec la faute pénale présumée consécutive aux chefs d’accusations, au risque de frapper d’insécurité juridique le reste de la procédure. Car il faut garder à l’esprit que la faute disciplinaire et la faute pénale présumée sont intrinsèquement liées dans leurs genèses, l’une et l’autre ne peuvent pas coexister sur des faits distincts [37]. Au demeurant, et conformément au principe d’indépendance des procédures, il n’y a pas d’obligation pour l’autorité administrative compétente de surseoir à statuer dans l’attente de l’engagement d’une procédure pénale [38] ou d’une décision pénale définitive [39] après notamment violation du secret professionnelle par l’agent public. Le Conseil d’Etat avait en effet déjà rappelé « qu’aucun texte législatif ou règlementaire, ni l’article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, consacrant le principe de la présomption d’innocence, ne font obstacle à ce qu’une sanction disciplinaire soit prononcée avant qu’une décision pénale définitive ne soit rendue » [40]. Enfin la décision de classement sans suite par le procureur de la république, n’a pas autorité de la chose jugée pour l’action disciplinaire [41] car elle porte non pas sur la matérialité des faits mais sur l’opportunité des poursuites.

- Le procès pénal dans la faute disciplinaire de l’agent public.

L’autorité ayant pouvoir de sanction peut donc aussi, au titre de sa compétence disciplinaire, décider de différer sa décision jusqu’à ce que le juge pénal ait statué. Une fois acquis le jugement définitif prononcé par l’ordre juridictionnel répressif, la sanction administrative à caractère disciplinaire, susceptible d’être prononcée à l’encontre de l’agent public, est gouvernée par le principe d’indépendance entre la sanction administrative et la sanction pénale. Sous réserve de l’autorité de la chose jugée au pénal circonscrite à la matérialité des faits en matière de jugement et statuant sur le fond de l’action publique [42], le prononcé de l’une est toujours indépendant du prononcé de l’autre. Ainsi lorsqu’à partir des mêmes faits il s’en suit une relaxe ou d’un acquittement du juge pénal, ils pourraient néanmoins servir de base légale au fondement d’une poursuite disciplinaire [43].

Cependant si la matérialité des faits litigieux est remise en cause par le jugement pénal, l’agent public sera donc fondé en droit d’exiger une révision de sa situation auprès de son administration employeur. En cas d’une requête juridictionnelle en cours contre la décision administrative déjà intervenue, le juge administratif devrait prendre en considération la décision du juge répressif intervenue avant l’examen des faits litigieux par la juridiction de jugement [44].

Autrement dit, en dépit du principe de l’indépendance des procédures, l’autorité de la chose jugé au pénal s’impose à l’administration comme au juge administratif si et seulement si les faits objet de la procédure disciplinaire ne sont pas, en raison du procès pénal, susceptibles d’une qualification juridique distincte en l’absence d’existence quant à leur matérialités. En tout état de cause « Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d’ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d’Etat, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d’Etat » [45].

Ainsi avant de conclure, on pourrait affirmer que, même si dans le droit disciplinaire de la fonction publique la problématique de la faute semble être plus éthique que juridique lorsque seule la procédure administrative est à l’origine de son fondement, la faute disciplinaire néanmoins s’inscrit dans un cadre juridique semblable à un micro système pénal eu égards aux grands principes généraux du droit spécifique à la matière pénale. Et la coexistence de celle-ci avec une faute pénale présumée ou confirmée, lorsque les faits litigieux sont issus d’un parcours délictuel ou criminel, constitue en outre un facteur supplémentaire et inévitable de la juridictionnalisation des débats pour la procédure administrative.

Pour conclure, l’appréciation de la faute disciplinaire par l’autorité de nomination et la mise en œuvre de la répression administrative par celle-ci relèvent d’un pouvoir discrétionnaire, cependant soumis à l’avis du conseil de discipline pour les sanctions les plus graves. Mais l’absence de compétence liée entre l’administration et l’organe collégial, ne dispense pas néanmoins ce dernier d’un rôle essentiel dans le prononcé de la sanction disciplinaire avant l’intervention du juge le cas échéant. Et en dépit du dualisme conceptuel entre la faute disciplinaire qui n’a pas de définition légale et la faute pénale codifiée au code pénal, la procédure disciplinaire est une procédure administrative dans laquelle ne sont pas pour autant exclues les garanties du procès pénal et de la procédure pénale. C’est ainsi que dans l’ombre de la matière pénale, aucun agent public ne saurait être sujet à une mesure disciplinaire s’il n’était pas rendu responsable à raison d’un fait ou d’un comportement (principe d’imputabilité) dont la nature et le degré de gravité nécessite une réponse sociale adaptée au nom du droit de Punir (principe de la nécessité des peines). Il y a donc bien un droit commun de la répression, applicable à toute sanction fusse t’elle extra pénale puisque administrative par sa nature disciplinaire, et au titre duquel pas mêmes le principe de la séparation fonctionnelle des autorités judiciaires et administrative ne saurait faire échec au nom d’un quelconque droit d’exception tiré de la Puissance Publique.

François de La Michellerie, Juriste
(Maître en droit)

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Notes de l'article:

[1Pour la présente note, la notion « d’agent public » s’entend à considérer la situation non pas seulement des fonctionnaires titulaires, c’est-à-dire des agents nommés unilatéralement par l’exécutif dans un emploi permanent à temps complet et titularisé par leur administration employeur dans un grade de la hiérarchie, mais aussi celle des agents auxquels s’applique un régime juridique de droit public que ces agents soit stagiaires ou contractuels. Seront exclus les agents de droit privé des trois versants de la fonction publique régis par le code du travail et relevant de la compétence du juge judiciaire du Conseil Prud’homale en cas différend avec l’administration employeur, ainsi que les agents publics relevant du pouvoir disciplinaire des ordres professionnels et les magistrats.

[2CE 29 juillet 1998, « M. Kremetter », req. n° 150365.

[3CE Sect. 20 janvier 1956, Nègre, Rec 24.

[4CE 24 novembre 1982 n° 32944.

[5CE, 15 avril 1996, n°108819.

[6CAA de Paris du 7 octobre 2003, « M.M.I.X » req. n° 99PA01898.

[7Codifié à l’article L211-2 du code des relations entre le public et l’administration issu de l’ordonnance no 2015-1341 et du décret no 2015-1342 en date du 23 octobre 2015.

[8CE 8 juin 1966, Banse, T, p. 1011.

[9CE 7 septembre 1945, Morrie, p. 187.

[10CE, 26 février 1995, n° 140986.

[11CE, 13 mars 2006, Maison de retraite de Gerbéviller, n°279027.

[12TA Cergy-Pontoise, 4 octobre 2018, req. n° 1607071.

[13Conseil d’Etat, 5 / 3 SSR, du 8 novembre 1999, 201966, publié au recueil Lebon.

[14CE, 12 juillet 2014, Ganem, req. 355201.

[15Cette notion d’intérêt public majeur ne fait l’objet d’aucune précision mais une telle réserve est probablement motivée par des considérations liées à la sauvegarde de l’ordre public, anticipant sans nul doute l’intention du législateur dans sa la Loi sur la sécurité intérieure (Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme).

[16Sous réserves pour les éléments de preuve d’avoir été versées au dossier pour être librement débattues dans le respect du contradictoire.

[17Conseil d’Etat, Assemblée, du 17 décembre 1976, 00217, publié au recueil Lebon.

[18CE., Ass., 28 mai 1954, Barel.

[19CE 26 janvier 1968, Sté Maison Genestal.

[20C. pr. pén. art. 427 : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

[21CE, 26 novembre 2012, n°354108.

[22CC 28/07/1989 n° 89-260.

[23CE 27/10/1999, Fédération française de football, req. n° 196251 et CE Sect. 29/04/1949, Sieur Bourdeaux, R. 188.

[24CE, 20 octobre 2000 n° 180122.

[25L’article 54 de la loi de 1971 vise les conseils juridiques produits par des professionnelles « du droit » dont l’exercice de l’activité est conditionné par une reconnaissance au titre d’une attestation d’inscription à un ordre, en l’occurrence à celui des avocats, à l’instar des ordres professionnels des Notaires, des Huissiers ou encore des experts comptables. Les juristes quant à eux sont visés par l’article 58 de ladite loi et exercent leurs fonctions de conseils en exécution d’un contrat de travail en tant que juriste d’entreprise.

Cela dit ce qui distingue l’Avocat du Juriste au point de vue opérationnelle, c’est que le premier [l’avocat] assurément représente et défends les intérêts de son client à l’occasion d’un litige ou d’un contentieux (administratif ou judiciaire) alors que le second [le juriste] traite principalement de singularités de situations de faits par ses connaissances des textes normatifs en dehors de tous actes de procédures juridictionnels.

[26Conseil d’Etat, 10/ 3 SSR, du 17 juin 1988, 81815, publié au recueil Lebon.

[27Cour eur. D.H., 23 juin 1993, n° 12952/87, Riuz-Mateos c./ Espagne ; KUTY, F.

[28Notons particulièrement que les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires, en application de l’article 6 de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

[29Les textes précités participaient [à eux seuls pour l’essentiel] à la détermination du régime juridique du droit commun applicable à la faute disciplinaire dans le contentieux de la fonction publique, sans négliger pour autant les règles de droits dégagées par la jurisprudence administrative, bien luxuriante au demeurant. Avec le nouveau code général de la fonction publique, applicable à compter du 01 mars 2022, le régime juridique de l’engagement de la procédure disciplinaire avec ses garanties est codifié aux articles L533-1 à L532-5, l’échelle des sanctions applicables est codifiée aux articles L533-1 à L533-6, les règles relatives à la commission paritaire siégeant en formation discipline sont précisées aux articles L532-7 à L532-10 et aux articles L532-7 à L532-12 pour la commission disciplinaire au sein de la fonction publique territoriale.

[30Et le Conseil constitutionnel veille au demeurant à ce que l’infraction soit « définie en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » ; Confère considérant 27 de la décision n° 92-307 DC du 25 février 1992. Pour une approche plus approfondie de ce point du droit, voir Danièle Lochak, Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992 (Entrée et séjour des étrangers en France), Journal de droit international privé (Clunet), 1992.

[31Cour administrative d’appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (bis), 25/06/2008, 07DA00142, Inédit au recueil Lebon.

[32Cour administrative d’appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (bis), 05/02/2015, 13DA02136, Inédit au recueil Lebon.

[33TA 5 octobre 1984, Gandossi, p. 658 ;

[34CE 29 décembre 1995, Dreux, req. n° 135 187.

[35En application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale.

[36En application du dernier alinéa de l’article 11 du code de procédure pénale.

[37Voir en ce sens Conseil d’Etat, 5 SS, du 8 janvier 1997, 143379.

[38CE, 1er juin 1994, Centre hospitalier spécialisé Le Valmont, n° 150870, T.

[39CE, 22 juin 2016, n° 383246, T.

[40CE, 26 février 1995, n° 140986.

[41CAA de Marseille du 23 mars 2004, n°00MA01615.

[42CAA de Marseille du 23 mars 2004, n°00MA01615.

[43CE, 05 mai 1976, req. n°98276.

[44CE, 09 mars 2012, req. n° 339851.

[45Conseil d’Etat N°395371, Publié au receuil Lebon, Lecture du Vendredi 16 Février 2018.

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