Résumé des faits et de la procédure.
M. D C, agissant en son nom propre et comme représentant légal de son fils Abel, a saisi le tribunal administratif pour demander réparation des préjudices subis en raison d’absences répétées de professeurs non remplacés au cours de l’année scolaire 2021-2022. Ces absences ont conduit à un déficit total de 116 heures d’enseignement obligatoire pour son fils, scolarisé en classe de 6ᵉ au collège Antoine Coysevox à Paris.
Le requérant invoquait une faute de l’État, consistant dans le non-respect de son obligation d’assurer l’enseignement des matières obligatoires conformément aux horaires réglementaires, causant un retard dans les apprentissages de l’élève et un préjudice moral pour le père. Le recteur de l’académie de Paris contestait ces allégations, invoquant notamment le caractère imprévisible et ponctuel des absences ainsi que les efforts déployés pour trouver des remplaçants.
Analyse juridique.
Responsabilité de l’État.
Le tribunal rappelle que l’éducation est un service public national, régi par des obligations légales précises. Conformément aux articles L122-1-1 et L211-1 du Code de l’éducation, l’État est tenu d’assurer la continuité et la qualité des enseignements obligatoires inscrits aux programmes scolaires.
Le manquement à cette obligation constitue une faute engageant la responsabilité de l’État lorsque ce manquement prive un élève, sur une période significative, d’un enseignement obligatoire sans justification valable. En l’espèce, le tribunal constate que 116 heures d’enseignement n’ont pas été dispensées ou remplacées, affectant plusieurs matières fondamentales (français, mathématiques, histoire-géographie, etc.). Le recteur n’a pas démontré avoir accompli toutes les diligences nécessaires pour pallier ces absences.
Préjudice subi par l’élève.
Le tribunal reconnaît que le volume élevé des heures non dispensées a nécessairement causé un retard dans les apprentissages du fils du requérant. Ce préjudice est évalué à 1 160 euros, correspondant à une juste indemnisation pour les lacunes éducatives accumulées.
Absence de preuve du préjudice moral du père.
Concernant M. D C lui-même, le tribunal rejette sa demande d’indemnisation pour préjudice moral (500 euros réclamés), faute d’éléments probants démontrant une atteinte personnelle résultant des manquements allégués.
Frais exposés.
En application de l’article L761-1 du Code de justice administrative, le tribunal condamne également l’État à verser 700 euros au requérant au titre des frais engagés pour la procédure.
Appréciation critique.
Cette décision est intéressante à plusieurs égards :
Confirmation du rôle central de l’État dans le service public éducatif : le jugement réaffirme que l’État porte une responsabilité directe dans la continuité et la qualité des enseignements obligatoires. Ce principe est fondamental pour garantir aux élèves une égalité d’accès à une éducation complète et conforme aux exigences légales.
Reconnaissance du préjudice éducatif : la décision met en lumière les conséquences concrètes des absences répétées non remplacées sur les apprentissages des élèves. En fixant une indemnisation proportionnelle au volume horaire manquant (1 160 euros), elle établit un lien direct entre le manquement administratif et ses effets sur la scolarité.
Exigence probatoire stricte pour le préjudice moral : en rejetant la demande d’indemnisation du père faute de preuves suffisantes, le tribunal rappelle que toute demande indemnitaire doit être étayée par des éléments précis démontrant un lien direct entre le fait générateur (ici, les absences) et le dommage allégué.
Enjeu systémique : cette affaire illustre un problème plus large auquel fait face le système éducatif français : la difficulté chronique à remplacer rapidement les enseignants absents, notamment dans certaines académies où le vivier de remplaçants est insuffisant. Ce contexte met en évidence les limites structurelles auxquelles l’administration doit faire face.
Cette décision constitue un rappel important des obligations pesant sur l’État en matière d’éducation et souligne les conséquences juridiques possibles en cas de défaillance dans l’organisation du service public scolaire. Elle pourrait inciter les autorités éducatives à renforcer leurs dispositifs pour assurer la continuité pédagogique, notamment par une meilleure gestion des remplacements enseignants. Sur un plan pratique, elle offre également aux parents un cadre juridique clair pour agir en cas de carence prolongée affectant la scolarité de leurs enfants.