Cette démarche s’inscrit dans une tendance mondiale de reconnaissance des droits de la Nature, comme en témoignent des initiatives similaires en Espagne, en Nouvelle-Zélande [5], en Équateur [6]. (Voir les articles Si la Nature avait des droits ? et La Démocratie et la Nature : une étude sur la reconnaissance de la Nature comme sujet actif de Droit).
La Nature, qu’est-ce donc ?
D’un point de vue biologique, et sommairement, la Nature doit être appréhendée comme un ensemble constitué d’une diversité d’êtres vivants ainsi que de leurs interactions. Il ne s’agit pas d’un ensemble homogène mais plutôt d’un Tout ou plutôt d’une universalité hétérogène caractérisée par la multitude d’écosystèmes interdépendant, interagissant et tributaire de la variation des équilibres qui en découlent et qui déterminent la virtuosité ou pas de son cycle de durabilité. Autrement dit, la Nature est biodiversité, représentation de la diversité du vivant à tous ses niveaux d’organisation, des gènes aux écosystèmes, en passant par les espèces et les populations.
Cette universalité vitale [7] est consacrée par la loi constitutionnelle n°2005-205 du 1ᵉʳ mars 2005 relative à la charte de l’environnement : « Considérant : Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ; Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ; Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ; Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ; Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ; Que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ; Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins […] ».
Pour autant, la Nature n’est pas instituée comme une entité susceptible de « siéger » dans des instances décisionnelle et/ou consultative. En effet, pour l’heure, en droit français, la Nature (c’est-à-dire les plantes (Voir l’article En France, les plantes ont-elles des droits ?), les eaux, les minéraux, les animaux [8],…) est considérée comme un ensemble de biens et de ressources appropriables avec des réglementations spécifiques concernant sa gestion et sa protection, notamment dans le Code civil, le Code de l’environnement, la charte de l’environnement. Ainsi, n’étant pas instituée en tant que personne physique ni comme personne morale, la Nature ne disposant pas de la personnalité juridique, elle ne détient pas la capacité juridique qui lui permettrait d’être actionnaire ou associé d’une société.
La Nature détentrice de quelle capacité juridique ?
La capacité juridique est un concept fondamental en droit qui désigne l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits et d’obligations et à les exercer. À ce titre, il en existe deux types :
- La capacité de jouissance : c’est l’aptitude à être titulaire de droits et d’obligations. Toute personne physique, le cas échéant toute personne morale, dès sa naissance, a la capacité de jouissance, c’est-à-dire qu’elle à la faculté de bénéficier ou qu’elle bénéficie de plein droit des avantages et/ou inconvénients d’une situation juridique (subjective [9] ou objective [10]), par exemple, être propriétaire d’un bien, hériter, ou être créancière d’une dette, être actionnaire ou associé d’une société…
- La capacité d’exercice : c’est l’aptitude à exercer ses droits et obligations soi-même. Elle suppose une certaine maturité et une aptitude à comprendre les conséquences de ses actes. C’est pourquoi la capacité d’exercice est souvent limitée pour certaines personnes, notamment les mineurs et les majeurs protégés.
La Nature n’ayant pas matérialisé une existence humanoïde intelligente et consciente lui permettant d’exercer des droits et des obligations, de fait, la Nature est affectée d’une incapacité d’exercice. Cependant, le droit institue un cadre juridique qui, d’une certaine manière, attribue à cette universalité vitale [11] un régime de protection dont toute personne (physique ou morale) a le devoir de prendre part :
- Patrimoine commun de la nation : les espaces, ressources et milieux naturels, ainsi que la biodiversité et la géodiversité, font partie du patrimoine commun de la nation et génèrent des services écosystémiques et des valeurs d’usage.
- Principes de protection de l’environnement : la protection de l’environnement repose sur plusieurs principes, dont le principe de précaution, le principe pollueur-payeur, le droit d’accès à l’information environnementale, et le principe de participation du public.
- Développement durable : l’objectif de développement durable est recherché à travers la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité, la cohésion sociale, l’épanouissement humain et la transition vers une économie circulaire.
- Stratégies nationales et régionales : l’État élabore des stratégies nationales pour la biodiversité et les aires protégées, en concertation avec les collectivités territoriales et autres parties prenantes, visant à protéger au moins 30% du territoire national.
- Lutte contre la déforestation importée : l’État met en œuvre une stratégie nationale pour mettre fin à l’importation de matières premières et produits transformés contribuant à la déforestation, avec un objectif de ne plus acheter de biens ayant contribué à la déforestation d’ici 2026.
En outre, il est prescrit des prérogatives au profit des personnes physiques et morales ayant un objet directement en faveur de la Nature :
- Droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé [12] ;
- Devoir de chaque personne de participer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement [13] ;
- Obligation de prévenir et limiter les atteintes à l’environnement et de réparer les dommages causés [14] ;
- Application du principe de précaution pour prévenir les dommages graves et irréversibles à l’environnement [15] ;
- Promotion du développement durable par les politiques publiques, conciliant protection de l’environnement, développement économique et progrès social [16].
La Nature, l’universalité vitale, est un sujet de droit (Voir l’article Le Monde et la Nature sujets de Droit) susceptible d’être victime d’un préjudice. À ce titre, il est susceptible de pouvoir obtenir réparation par l’action de représentants. La réparation du préjudice écologique (Voir l’article La réparation du préjudice écologique : réflexion sur la personnification de l’être naturel en droit civil) est encadrée par plusieurs articles du Code civil [17], créés principalement par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 et modifiés par la loi n°2019-773 du 24 juillet 2019. Ces dispositions [18] visent à garantir que les atteintes à l’environnement soient réparées de manière adéquate, en privilégiant les mesures de restauration directe des écosystèmes affectés. Selon l’article 1248 du Code civil, l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, notamment :
- L’État ;
- L’Office français de la biodiversité ;
- Les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné ;
- Les établissements publics ;
- Les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance, ayant pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
Ainsi, la Nature, cette universalité vitale, est bien un sujet de droit appréhendable de manière spécifique car affecté de droit et de fait d’une incapacité d’exercice, il doit nécessairement être représenté dans la mise en œuvre de ses droits. Dans le domaine de l’entreprise, la Loi introduit l’exigence écologique qui permet à la Nature, en quelque sorte de « siéger » ou au moins d’être une ligne directrice de gouvernance.
La RSE, levier de l’actionnariat de la Nature !
La RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) est l’engagement volontaire [19] : Les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre qui emploient au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde doivent établir un plan de vigilance. Ce plan vise à identifier et prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs activités et celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Reporting extra-financier : les entreprises qui dépassent certains seuils (effectif de plus de 500 salariés, bilan supérieur à 20 millions d’euros ou chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros) doivent publier un rapport de gestion qui inclut des informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités, ainsi que sur la manière dont elles prennent en compte les enjeux de RSE des entreprises à intégrer des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et leurs interactions avec leurs parties prenantes. En d’autres termes, c’est une manière de faire des affaires qui prend en compte l’impact de l’entreprise sur la société et l’environnement. Ainsi, si une entreprise adopte une démarche RSE, elle va s’intéresser à :
- L’impact environnemental de sa production ;
- Les conditions de travail de ses employés ;
- L’impact de ses produits sur les consommateurs ;
- Les relations avec les communautés locales.
La RSE [20] est une démarche globale qui vise à créer de la valeur pour l’entreprise, ses parties prenantes et la société dans son ensemble. C’est une manière de concilier performance économique et responsabilité sociale et environnementale. À ce titre, elle repose généralement sur trois piliers :
- Environnemental : préserver la planète et ses ressources.
- Social : respecter les droits humains et améliorer les conditions de vie des personnes.
- Économique : assurer la viabilité et la pérennité de l’entreprise.
La RSE pose un terrain propice à l’innovation organisationnelle.
La Nature, partie prenante d’une gouvernance engagée.
L’innovation organisationnelle est un type d’innovation qui se concentre sur la modification des systèmes, des structures, des processus et des pratiques d’une organisation afin d’améliorer son efficacité, son adaptabilité et sa performance globale. L’intégration dans le processus décisionnel d’une entreprise une entité ayant vocation à représenter les intérêts de la nature est une approche atypique qui dénote un engagement certain de la gouvernance. Cette dernière est plus ou moins impactant selon le positionnement/pouvoir réellement attribué au représentant de la Nature.
La Nature, l’universalité vitale, est un sujet de droit affecté de droit et de fait d’une incapacité d’exercice des prérogatives que lui octroi la Loi. Cependant, pour que la nature soit considérée comme actionnaire ou associé au sein d’une entreprise, plusieurs conditions et pouvoirs doivent être envisagés :
- La création ou l’affiliation (ou partenariat) à une entité juridique représentant la Nature, c’est-à-dire qui aurait pour objet la défense et la protection d’intérêts environnementaux.
- Les statuts de la société doivent définir le contenu et les modalités du droit de vote, le pouvoir de veto (dans une certaine mesure) et de décision de l’actionnaire ou associé représentant la Nature.
- Les bénéfices attribués à cet associé spécial pourraient être utilisés pour des projets de conservation et de protection de l’environnement.
- Mettre cette gouvernance sous l’égide de la norme ISO 26000.
Le prolongement d’une telle configuration de la gouvernance est la pratique d’un financement à impact, c’est-à-dire qu’avec un tel associé, l’entreprise s’inscrit nécessairement dans une approche d’investissement qui vise à générer un impact social et/ou environnemental positif et mesurable, en plus d’un rendement financier.