Le végétal est une catégorie d’êtres vivants qui ne sont ni animaux ni minéraux. Les végétaux apparaissent notamment dans le Livre II de notre Code civil (consacré aux biens), au sujet des servitudes établies par la loi. Sont concernés les plantes, arbres et arbrisseaux, prenant racine sur des propriétés privées et sur lesquelles les droits du propriétaire doivent s’exercer (par exemple, article 673 : "Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible"). Sans qu’ils soient expressément visés, les végétaux sont également concernés par les dispositions relatives au préjudice écologique pur, lequel prévoit la réparation des "atteintes non négligeables aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement" (articles 1246 et s. du Code civil). Les végétaux sont encore visés dans le Code pénal quand il s’agit de désigner les substances stupéfiantes, tandis que le juge pénal peut par ailleurs infliger des sanctions en cas de destruction de végétaux au titre du délit de dévastation de plants prévu et puni par l’article 444 du Code pénal ou de la contravention d’abattage ou mutilation d’arbres réprimée par l’article R. 40-8.
Le droit de l’environnement prohibe déjà les comportements portant atteinte à l’intégrité des végétaux appartenant aux "espaces naturels", tels que ceux bordant les voies de circulation ouvertes au public : "Le fait d’abattre ou de porter atteinte à un arbre ou de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit" [1]. Les textes réglementaires prévoient pour leur part des listes d’espèces végétales protégées, autant qu’ils permettent la destruction des espèces jugées envahissantes et indésirables (Arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain). Pour sa part, le droit de l’urbanisme soumet à autorisation préalable des coupes et abattages d’arbres (article R130-1) aux fins de gestion des espaces boisés. Il est sans doute impossible de recenser l’intégralité des normes touchant au sujet du végétal, tant le traitement de cet objet juridique est transversal.
Ce n’est pas pour autant que les végétaux sont titulaires de droits.
L’idée de les considérer (ainsi que les autres êtres vivants non humains de façon générale) comme des sujets de droit remet profondément en question les fondements de la pensée juridique occidentale [2]. Traditionnellement, le droit a réservé la personnalité juridique aux humains ou aux entités morales créées par ces derniers, laissant végétaux et animaux dans la catégorie des biens, par nature exploitables pour les besoins de nos activités [3]. Cependant, avec l’émergence des pensées animaliste et écologique, ainsi que la reconnaissance de la nature comme intérêt juridiquement protégé, les juristes commencent à réceptionner les travaux encourageant à voir dans les végétaux non plus simplement des choses soumises à la volonté humaine mais des éléments naturels appelant une protection plus écocentrée [4].
En ce sens, la personnification des végétaux pose des questionnements analogues à ceux qui se sont maintes fois exprimés pour la question animale [5]. L’éthique du vivant donne lieu à des hésitations quant au statut attribuable à ce vivant, hésitations oscillant le plus souvent entre une théorie des droits et une théorie des intérêts [6]. La principale difficulté technique charriée par la théorie des droits est que le mécanisme de la personnification entraîne classiquement la naissance d’un patrimoine attaché à la personne, la titularité de droits mais aussi de devoirs. Ces attributs du sujet de droit laissent craindre les plus grandes complexités tant sur le plan du droit des obligations que sur le plan procédural. Qui pour exercer les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux d’une plante ? Comment administrer son patrimoine ? Quid de la possibilité d’engager sa responsabilité, au risque de faire place au retour des procès faits aux entités non humaines ?
Des auteurs comme Christopher Stone, avec son questionnement "Should Trees Have Standing ?", ont toutefois ouvert la voie à une discussion sur la capacité des éléments naturels, y compris les végétaux, à être reconnus comme ayant des droits à défendre en justice [7]. La personnalisation juridique des végétaux pourrait être une extension de la fiction juridique de la personnalité morale, où des entités sans volonté propre exprimable sont dotées d’un statut juridique pour défendre leurs intérêts propres. Cette approche pourrait leur reconnaître le droit à la vie, à un habitat non pollué, à la réparation des atteintes qui leur sont causées. La représentation en justice des végétaux est alors présentée comme un enjeu central des propositions philosophiques et juridiques défendant la personnification du vivant. Le nerf de leur protection est ainsi vu par le prisme du droit d’agir en justice, lequel constitue la pierre de voûte d’un système dans lequel le juge pourrait s’intéresser à la protection du vivant non limitée à des perspectives anthropocentrées. C’est pourquoi on a pu suggérer la désignation de représentants aptes à exercer, pour le compte des éléments naturels, une action en justice.
Cependant, la technique juridique de la représentation n’est pas sans problème : les règles procédurales françaises ne sont pas conçues aujourd’hui pour permettre la représentation de personnes non humaines. De nombreuses incertitudes rendent cette technique complexe. Qui paiera les frais de justice pour le compte de l’entité végétale ? Qui indemnisera l’autre partie si cette entité perd son procès ? Comment décrire, conformément aux règles de procédures civiles, l’état civil d’un végétal ? Comment organiser la perception et l’administration des gains devant intégrer son patrimoine ? Quels mécanismes de gestion de ce patrimoine ? Pour toutes ces raisons, la technique de la représentation, corrélée à la personnification, ne pourrait prendre vie que par des réformes de grandes ampleurs et de nombreux aménagements tant du droit substantiel que du droit procédural. De telles obstacles techniques et pratiques ont poussé la doctrine à privilégier une éthique utilitariste [8], permettant - à droit constant - de faire valoir l’intérêt propre des entités non humaines devant les tribunaux (en ayant notamment recours à des actions attitrées, par voie d’habilitation et non de représentation, telles que celles reconnues aux associations agissant dans un intérêt environnemental). A ce titre, le droit et l’éthique animaliers et écologiques constituent de précieuses sources d’inspiration pour penser la reconnaissance d’intérêts purement végétaux ou animaux sans nécessairement avoir recours à la personnification et aux réformes légales qu’elle impose. Ailleurs, le droit québécois offre une perspective intéressante [9] avec le concept de "pouvoir", distinct de la représentation stricto sensu, où l’on agit non au nom de l’entité incapable mais pour réaliser un objectif précis, comme la préservation écologique [10]. Cela pourrait signifier que des individus ou des organisations agissent pour les intérêts des végétaux sans les représenter pour autant, gérant ainsi des biens ou des ressources naturelles dans l’intérêt exclusif de ces végétaux dépourvus de tout droits subjectifs.
Aux encombrements théoriques pouvant gêner les propositions de personnification, s’ajoutent des résistances intellectuelles. Culturellement, il y a une réticence à l’idée d’accorder des droits à des entités non humaines, reflet de notre vision anthropocentrée du droit. Les croyances occidentales sont éloignées d’une représentation du monde dans laquelle l’être humain n’est pas au cœur des institutions et la société extraite de la nature, envisagée comme un paysage et une ressource utilitaires. Le coût moral de la personnification passerait par la nécessité de repenser le rapport entre l’humain et la nature, pour la doter d’une valeur intrinsèque, mais aussi par une réformation des mœurs, incluant les habitudes de consommations ainsi que les modèles économiques qui gouvernent les sociétés humaines [11]. Il n’est pas certain que nos sociétés soient prêtes à envisager de tels bouleversements, raison pour laquelle la personnification des végétaux qui serait réalisée de nos jours serait sans doute limitée à une portée principalement symbolique.
Néanmoins, des exemples contemporains, comme la reconnaissance de la personnalité juridique des rivières en Nouvelle-Zélande [12] ou des forêts en Équateur [13], montrent qu’aujourd’hui, dans le monde, l’idée n’est pas restée à l’état purement conceptuel. Il faut néanmoins relever que, très souvent, les entités naturelles auxquelles une personnification juridique est accordée sont le siège d’un intérêt écologique ou culturel particuliers [14]. Le fait est qu’on ne trouve pas encore trace d’une véritable personnification généralisée de la nature et de ses éléments.
D’ailleurs, la reconnaissance universelle de droits des végétaux appellerait une harmonisation internationale. Des conventions, notamment sur la biodiversité, devraient alors être réévaluées pour intégrer cette nouvelle dimension des droits de la nature.
Finalement, envisager la personnification des végétaux, pour les ériger en sujets de droit, soulève des questions fondamentales sur la nature des êtres et des droits, mais aussi sur la définition (aménageable ou non ?) de la personne juridique. Une telle reconnaissance serait un pas vers une éthique du vivant intégrée dans le droit, où la nature, y compris les végétaux, est vue non seulement comme une ressource, mais comme une partie intégrant le contrat social et la communauté juridique que les sociétés humaines ont créée.