La place des mammifères marins dans notre architecture juridique pose un défi conceptuel majeur que l’année internationale de l’océan invite à explorer. Le 23 mai 2025, l’Université Côte d’Azur accueillera des experts qui examineront cette problématique sous différents angles [1]. Au cœur de cette rencontre se trouve une question fondamentale : comment élaborer un droit adapté à des êtres dont les capacités cognitives et sociales défient nos classifications traditionnelles ? Cette interrogation, loin d’être purement théorique, reflète les tensions croissantes entre nos connaissances scientifiques sur ces espèces et les limites d’un droit encore largement anthropocentrique. La Méditerranée, avec son sanctuaire Pelagos, constitue un laboratoire privilégié pour observer ces contradictions et tenter d’y apporter des réponses novatrices.
De l’imaginaire à la personnification juridique.
La trajectoire historique de notre rapport juridique aux cétacés révèle une évolution significative. Ugo Bellagamba exposera comment ces créatures sont passées du statut de monstres mythiques à celui d’êtres désormais considérés pour eux-mêmes. Cette généalogie des représentations n’est pas anecdotique : elle dévoile les fondements culturels de nos constructions juridiques. À l’autre extrémité du spectre, Pauline Turk analysera les initiatives constitutionnelles mondiales visant à accorder une forme de personnalité juridique à ces animaux. Entre réforme et révolution conceptuelle, ces approches interrogent la possibilité d’un droit biocentriste plutôt qu’anthropocentrique. Entre ces deux pôles se déploie tout un continuum de perspectives que M. Lessard complétera en abordant l’intégration patrimoniale des baleines dans la culture québécoise, illustrant comment certaines sociétés ont développé des formes hybrides de reconnaissance qui transcendent la dichotomie personne/chose.
Les tensions normatives à l’épreuve des cas concrets.
L’efficacité des dispositifs juridiques se mesure à leur capacité à résoudre des situations concrètes. Trois cas emblématiques seront analysés lors de cette journée : la captivité des cétacés (par Maître Caroline Lanty), le tourisme d’observation (par Pascal Mayol et Laurène Trudelle) et les prises accidentelles de petits cétacés (par Simon Jolivet). Ces situations révèlent les contradictions internes de nos systèmes juridiques, tiraillés entre protection des animaux et maintien d’activités humaines. L’affaire Marineland, que Caroline Lanty présentera sous forme de chronique judiciaire, constitue un cas d’école où s’affrontent différentes conceptions du statut des cétacés. Le whale-watching, quant à lui, illustre la difficulté à concilier intérêts économiques, attentes du public et bien-être animal dans les zones côtières méditerranéennes déjà soumises à de fortes pressions anthropiques. Les approches procédurales présentées par Thibault Goujon-Bethan montreront comment le droit civil, historiquement construit autour de la distinction entre personnes et choses, tente de s’adapter à l’émergence d’un contentieux systémique.
Vers une approche plurielle et intégrée.
La protection des cétacés ne saurait reposer sur un seul instrument juridique. Thibaut Duchesne explorera le potentiel de la RSE comme complément aux régulations étatiques, illustrant comment les mécanismes, notamment éthiques, du droit des affaires peuvent compenser les lacunes du droit contraignant. Cette approche, qui mobilise la responsabilité des acteurs économiques, s’inscrit dans une tendance plus large de juridicisation des engagements volontaires. En parallèle, Anaïs Lagelle offrira une perspective comparatiste essentielle à travers l’étude des législations scandinaves sur la chasse en mer Baltique. Son analyse mettra en lumière comment différentes traditions juridiques ont tenté de résoudre la tension entre préservation des pratiques culturelles et impératifs de conservation. Ce regard croisé est d’autant plus précieux qu’il permet d’identifier les bonnes pratiques susceptibles d’enrichir notre propre cadre normatif. Cette diversité d’approches souligne la nécessité d’un droit hybride, combinant hard law et soft law, initiatives locales et cadres internationaux, sanctions pénales et incitations économiques.
Modalités pratiques.
Sous la direction scientifique de Hania Kassoul et avec les présidences de sessions assurées par M. Lessard, T. Duchesne, M.-C. Lasserre et L. Anselmi, cette rencontre promet d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’évolution du droit face aux défis de la protection des cétacés. La collaboration entre le CERDP et les autres centres de recherche de l’Université Côte d’Azur, ainsi que le DU Droit de l’animal, illustre l’approche interdisciplinaire nécessaire pour appréhender la complexité des enjeux juridiques liés à ces mammifères marins emblématiques de la biodiversité méditerranéenne.
Programme et inscriptions : ici.