Le commerce des "colis perdus" est devenu un phénomène notable en France, assez médiatisé [1], où des revendeurs vendent des colis présentés comme "non livrés" ou "non réclamés" à des chalands avides d’éventuelles aubaines.
Pour rappel, la loi AGEC de 2020, en interdisant la destruction des invendus et en encourageant leur réutilisation, a manifestement favorisé l’émergence de ces ventes de "colis perdus". Cette loi vise à promouvoir une économie circulaire en interdisant la destruction des invendus, lesquels doivent faire l’objet d’un recyclage. Elle a aussi ouvert la porte à des pratiques commerciales qui douteuses. Les conditions générales de vente (CGV) utilisées par les commerces de colis perdus tentent souvent de présenter ces transactions comme un commerce ordinaire. Cependant, cette pratique pose des questions juridiques importantes quant à sa légalité, oscillant entre la vente aléatoire et la loterie commerciale prohibée.
En effet, le cadre juridique actuel définit le contrat aléatoire par l’article 1108 du Code civil, où les effets du contrat dépendent d’un événement incertain. Les ventes de colis perdus s’inscrivent clairement dans cette catégorie, car ni l’acheteur ni le vendeur ne connaissent (en principe) le contenu du colis avant l’achat, ce qui crée une forte attraction commerciale basée sur l’aléa.
Toutefois, l’encadrement strict des jeux d’argent et de hasard par le Code de la sécurité intérieure, notamment l’article L. 320-1, interdit les opérations faisant espérer un gain par le hasard et nécessitant un sacrifice financier. L’analyse des critères de la loterie prohibée (offre au public, sacrifice financier, espérance de gain, et hasard) semble indiquer que les ventes de "colis perdus" remplissent ces conditions. Par conséquent, ces ventes pourraient être requalifiées en loteries illicites et être sanctionnées de nullité.
Outre l’enjeu de qualification, ce commerce soulève des enjeux importants pour la protection des consommateurs [2] contre des pratiques potentiellement trompeuses ou abusives. À ce titre, le modèle de la loterie entraîne essentiellement la question du contrôle de la réalité de l’aléa. Par qui ce contrôle est-il assuré ? Existe-t-il ? La lutte contre le gaspillage n’est-elle pas devenue le prétexte à la revente à prix fort d’invendus globalement dépourvus de grande valeur ? Les discussions doivent s’ouvrir sur la façon dont ce commerce à succès est amené à persister ou à disparaître, selon la qualification qui pourra être faite des contrats qu’il génère et selon la régulation qui pourrait intervenir pour mieux encadrer cette loterie dont tout porte à croire qu’elle est aujourd’hui soumise à prohibition.