Apportant une réponse à la question de l’inconstitutionnalité de l’article L532-4 [5] du Code général de la fonction publique (CGFP), la décision QPC n°2024-1105 QPC est quelque peu rafraichissante.
I. Le catalogue des sanctions disciplinaires.
Seules les sanctions (Voir l’article Les sanctions disciplinaires dans le droit de la fonction publique) listées à l’article L533-1 peuvent être prononcées à l’encontre d’un agent public mis en cause et reconnu fautif à l’issue d’une procédure disciplinaire. Les sanctions sont classées en quatre groupes crescendo. À ce titre, certaines sanctions peuvent être prononcées sans l’avis préalable d’un conseil de discipline alors que d’autres nécessitent un tel avis.
Sanctions sans avis préalable d’un conseil de discipline.
Premier groupe :
- L’avertissement ;
- Le blâme ;
- L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours.
Le blâme et l’exclusion temporaire de fonctions sont inscrits au dossier de l’agent public. Si aucune sanction n’est intervenue pendant 3 ans, ces dernières sanctions sont effacées automatiquement du dossier [6]. Sommairement, la procédure disciplinaire pour la mise en œuvre d’une sanction du 1ᵉʳ groupe est la suivante :
Temps n°1 : transcription des faits et caractérisation de la faute dans un rapport.
Temps n°2 : le rapport disciplinaire est versé au dossier administratif de l’agent.
Temps n°3 : L’agent est destinataire d’un courrier [7] d’information sur la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire à son encontre, informé de son droit à la communication de son dossier ainsi que de son droit à être assisté par le défenseur de son choix.
Temps n°4 : le cas échéant, consultation par l’agent de son dossier complété des éléments disciplinaires. Un procès-verbal de la réalisation de cette formalité doit être dressé.
Temps n°5 : le cas échéant, l’agent émet des observations écrites.
Temps n°6 : le cas échéant, prononcé d’une sanction.
Temps n°7 : notification de la sanction à l’intéressé.
Temps n°8 : versement de l’arrêté disciplinaire dans le dossier administratif de l’intéressé.
Sanctions avec l’avis préalable d’un conseil de discipline.
Deuxième groupe :
- La radiation du tableau d’avancement ;
- L’abaissement d’échelon à l’échelon immédiatement inférieur à celui détenu par le fonctionnaire ;
- L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ;
- Le déplacement d’office qui existe uniquement pour la fonction publique de l’Etat.
Troisième groupe :
- La rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l’échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l’échelon détenu par le fonctionnaire ;
- L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans.
Quatrième groupe :
- La mise à la retraite d’office ;
- La révocation.
Le conseil de discipline [8] donne son avis préalable au prononcé de sanctions des groupes deux à quatre. Pour les sanctions des groupes 2 et 3, la radiation du tableau d’avancement peut être prononcée à titre complémentaire. À compter de la date de la sanction disciplinaire, après dix années de services effectifs, le fonctionnaire peut solliciter l’effacement [9] des sanctions des 2ᵉ et 3ᵉ groupes. Si pendant cette période de dix ans une sanction a été prononcée, la demande d’effacement peut être rejetée.
Sommairement, la procédure disciplinaire pour la mise en œuvre d’une sanction des groupes deux à quatre est la suivante :
Temps n°1 : rédaction d’un rapport disciplinaire.
Temps n°2 : classement du rapport dans le dossier administratif de l’intéressé.
Temps n°3 : courrier d’information de l’intéressé : droit à la communication du dossier administratif, droit à être assisté par la personne de son choix, droit d’être informé des faits qui lui sont reprochés, droit à la défense.
Temps n°4 : le cas échéant, l’agent consulte son dossier administratif complété des éléments disciplinaires. Un procès-verbal de consultation est dressé.
Temps n°5 : le cas échéant, l’agent émet des observations écrites.
Temps n°6 : saisine du Conseil de discipline.
Temps n°7 : réunion du conseil de discipline (convocation des parties, mise en œuvre du contradictoire)
Temps n°8 : avis du conseil notifié aux parties.
Temps n°9 : le cas échéant, prononcé d’une sanction.
Temps n°10 : notification de la sanction à l’intéressé.
Temps n°11 : versement de l’arrêté disciplinaire dans le dossier administratif de l’intéressé.
II. La panoplie des garanties.
Les garanties [10] dont bénéficie un agent public à l’occasion de la mise en œuvre à son encontre d’une procédure disciplinaire, pouvaient paraître plutôt complet. Mais il en avait un qui n’avait pas encore trouvé de défenseur mais c’est chose faite avec la décision QPC n°2024-1105 du 4 octobre 2024.
En effet, par cette Question Prioritaire de Constitutionnalité [11], il est demandé que soit jaugé la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution les dispositions du troisième alinéa de l’ancien article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 [12], reprisent à l’article L532-4 du Code général de la fonction publique, car elles méconnaissent les principes constitutionnels du droit de se taire et des droits de la défense.
À l’issue de l’analyse des garanties qu’un fonctionnaire soumis à une procédure disciplinaire bénéficie, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil constitutionnel juge que l’ancien article 19 (abrogé) de la loi n°83-634 (abrogée) du 13 juillet 1983 et, surtout, l’actuel article L532-5 du Code général de la fonction publique sont contraires à l’article 9 de la déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens de 1789 [13] :
« 13. Il résulte des articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L532-5 du Code général de la fonction publique que le fonctionnaire poursuivi ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe qu’après consultation d’un conseil de discipline devant lequel il est convoqué. Lorsqu’il comparaît devant cette instance, le fonctionnaire peut être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement.
14. Or, les déclarations ou les réponses du fonctionnaire devant cette instance sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction.
15. Dès lors, en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution » [14].
Concrètement, en plus du droit à la communication de son dossier, du droit à être assisté, du droit à la défense, droit au contradictoire, l’agent public soumis à une procédure disciplinaire a également le droit de garder le silence afin de ne pas s’incriminer lui-même. En effet, à l’occasion de l’audience du conseil de discipline, l’agent mis en cause, en s’exprimant notamment en réponse prend le risque de s’autoincriminer malgré lui. Ainsi, il peut être dans son intérêt de se taire, c’est pour cela qu’il devrait être informé du risque de la prise de parole mais surtout qu’il n’a pas d’obligation de parler : « Vous avez le droit de garder le silence ; si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra et sera utilisé contre vous ».
N’étant informé de son droit de se taire, le fonctionnaire n’a pas pu y renoncer en pleine conscience.
À ce titre, le Conseil constitutionnel, par la décision QPC n°2024-1105, prononce l’inconstitutionnalité de ses dispositions et établit les modalités des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
« 17. […] d’une part, les dispositions du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
18. D’autre part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles de l’article L532-4 du Code général de la fonction publique aurait pour effet de supprimer l’obligation pour l’administration d’informer le fonctionnaire poursuivi disciplinairement de son droit à communication du dossier. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline.
19. Par ailleurs, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement » [15].
Dans l’attente de mise en place de nouvelles dispositions législatives sur la question de la complétude des garanties posées au profit de l’agent mis en cause, les garanties posées par l’article L532-4 du Cgfp subsistent et le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline mais a fortiori également toute autre instance disciplinaire.