I. Imputation des libéralités en pleine propriété.
En quelques lignes, il s’agit de faire surtout un bref rappel des règles classiques.
La réserve héréditaire et la quotité disponible se déterminent par application de leur taux respectif sur une masse formée des biens existants, diminuée du passif, et augmentée fictivement des donations consenties par le défunt [1].
Vient ensuite la phase d’imputation à proprement parler : selon la libéralité, elle sera soit directement imputable sur la quotité disponible (919-2 C.civ), soit d’abord sur la réserve héréditaire du gratifié, et subsidiairement pour sa partie excédentaire, sur la quotité disponible (919-1 C.civ).
Dès qu’une libéralité imputable sur la quotité disponible l’excède, il y a atteinte à la réserve héréditaire et donc réduction de la libéralité excessive (920 C.civ).
Exemple : un père décède en laissant un immeuble valant 200. Il a donné de son vivant un tableau valant 150 à sa concubine. Il laisse 3 enfants A, B et C.
Masse de calcul de la réserve : immeuble (200) – passif (0) + donation tableau (150) = 350
Taux de la réserve globale : 3/4 x 350 = 262,5
Part de réserve de chaque enfant : 1/3 x 262,5 = 87,5
Taux de la quotité disponible : 1/4 x 350 = 87,5
Imputation des libéralités : donation tableau (150) sur quotité disponible (87,5), soit un excédent de 62,5.
Taux de réduction = 62,5/150e
Réduction de la libéralité : 150 x 62,5/150e = 62,5
Portion non réductible de la libéralité : 150 – 62,5 = 87,5
Masse de partage : immeuble (200) – passif (0) + indemnité de réduction (62,5) = 262,5
A répartir entre les trois enfants : 1/3 x 262,5 = 87,5
Chaque enfant a bien reçu sa part de réserve individuelle.
Cette liquidation classique peut néanmoins se complexifier en présence de libéralités démembrées, typiquement, en présence de libéralités en usufruit.
II. Imputation des libéralités en usufruit.
A) Faits de l’espèce.
Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2022 de la Cour de cassation (1ère civ., 22 juin 2022, n° 20-23215) étaient les suivants : le de cujus laisse une fille et une concubine instituée légataire en usufruit d’un immeuble laissé par le défunt.
En valorisant, selon le barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts tenant compte de l’âge de l’usufruitier, le legs d’usufruit à 60 % de la valeur de la pleine propriété de l’immeuble, la Cour d’appel avait décidé que ce legs n’était pas réductible car sa valeur n’excédait pas celle de la quotité disponible.
La question était alors de savoir comment doit s’imputer une libéralité en usufruit sur la quotité disponible.
L’arrêt d’appel est cassé, au motif que l’imputation du legs devait se faire en assiette et non en valeur, en imputant l’usufruit légué sur l’usufruit de la quotité disponible.
B) Solution et incidences.
1) Solution et exemple liquidatif.
La Cour de cassation consacre formellement une solution qui peinait à s’imposer jusque-là, à savoir, une imputation en assiette et non en valeur sur la quotité disponible, dans le cadre de la détection des libéralités réductibles.
Cette hésitation était toutefois légitime puisque, l’article 924 du Code civil rappelle, depuis la réforme du 23 juin 2006, que la réduction se fait en valeur.
Or, cet article 924 entre alors en conflit avec l’article 913 du code précité qui consacre l’intégrité des droits tirés de la réserve héréditaire.
Il fallait donc déterminer l’entre-deux qui concilie réduction en valeur et protection de l’intégrité de la réserve.
Par conséquent, la présente solution consiste à réaliser l’opération d’imputation en assiette, mais à déterminer le montant de l’indemnité de réduction en valeur.
Un exemple concret illustrera cette théorie liquidative :
Le de cujus laisse une fille et une concubine âgée de 42 ans, instituée légataire en usufruit d’un immeuble valant 250. Il laisse par ailleurs un tableau valant 150.
La réserve est 1/2 x 400 = 200
La quotité disponible est de 1/2 x 400 = 200
Pour imputer la libéralité en usufruit, il faut raisonner en termes d’assiette : le legs en usufruit porte sur un bien valant 250 et s’imputera sur l’usufruit de la quotité disponible de 200, soit un excédent de 50.
Par conséquent, le legs est bien réductible et la légataire devra une indemnité de réduction d’un taux de 50/250, soit 1/5e.
Pour comprendre l’incidence d’une telle imputation, si on avait raisonné en valeur, l’on aurait alors valorisé le legs à 60 % de sa valeur en pleine propriété, soit 150, et l’on aurait ensuite imputé cette valeur à la quotité disponible de 200. On aurait enfin constaté que la quotité disponible n’est pas excédée de sorte que le legs n’aurait pas été réductible.
L’expression de la réduction en valeur retrouve sa vigueur au stade du chiffrage de l’indemnité de réduction.
Il a été indiqué que le taux de réduction était en l’espèce d’1/5e après imputation en assiette du legs en usufruit.
A supposer que les valeurs restent les mêmes, il y a lieu désormais de valoriser l’usufruit sur l’immeuble valant 250, soit ici 60 % de la valeur en pleine propriété. L’usufruit est alors valorisé à 150, valeur sur laquelle, l’on appliquera le taux de réduction d’1/5e.
En définitive, l’indemnité de réduction sera de 30 000 euros.
2) Incidences.
Cet arrêt permet de clarifier une bonne fois pour toutes, la méthode d’imputation des libéralités consenties en usufruit, sur la quotité disponible.
Symétriquement, cette méthode s’applique que la libéralité soit en usufruit ou en nue-propriété.
De la même manière, s’agissant d’imputation sur la quotité disponible, cette solution s’étend aux cas d’imputation sur la quotité disponible spéciale existant entre époux (1094-1 C.civ) ; notamment, chaque fois que cet époux bénéficiera de la branche mixte (1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit) et que sa libéralité excèdera le quart en pleine propriété.
D’ailleurs, cette solution permet incidemment d’illustrer l’avantage du mariage puisque, si nous devions reprendre les mêmes données de l’exemple précédent, indiquant cependant que la concubine était mariée, alors elle bénéficierait de la quotité disponible spéciale.
Or, la quotité disponible spéciale permet de passer sur l’usufruit de la réserve, de telle sorte que, le legs en usufruit ne serait pas réductible et ne générerait pas d’indemnité de réduction à hauteur de 30 000 euros.
Autre remarque incidente : cette méthode d’imputation conciliant intégrité de la réserve et réduction en valeur, met fin à une tergiversation selon laquelle, le de cujus ne saurait gratifier un concubin de l’assiette de la quotité disponible spéciale entre époux.
En réalité, libre au de cujus de léguer l’assiette de la quotité disponible spéciale entre époux, à son concubin, à charge pour ce dernier de s’acquitter de l’indemnité de réduction, calculée selon les prescriptions rappelées ci-avant, là où, s’il avait été conjoint, il n’aurait pas été débiteur d’une telle indemnité.
Attention cependant, la portée de cette solution ne touche que les imputations sur la quotité disponible.
Exit donc l’imputation du droit viager au logement qui, conformément à l’article 765 du Code civil, s’impute bien en valeur sur les droits légaux du conjoint.
De la même manière, les libéralités reçues par le conjoint survivant et imputables sur sa vocation légale au titre de l’article 758-6 du Code civil ne sont pas concernées par la portée de cet arrêt.
Discussion en cours :
Bonjour Louis,
Votre article est très intéressant et clair…pourriez-vous évoquer l’imputation de la donation de la nue-propriété HPS ?? Ainsi que le calcul de l’éventuelle indemnité de réduction…
Cordialement