Le devoir conjugal relevant de la vie intime, protégé par l’article 8 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Par Francine Summa, Avocate.

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Explorer : # violences conjugales # droit à la vie privée # consentement # divorce

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La Cour européenne a rappelé l'importance du consentement et du droit au respect de la vie privée dans le cadre du mariage. Elle a souligné que le devoir conjugal ne peut justifier une atteinte à la liberté sexuelle, appelant à mieux protéger les victimes de violences domestiques en France.
Description rédigée par l'IA du Village

Par l’arrêt H.W. contre France, rendu le 23 janvier 2025 à l’unanimité, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour avoir prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse qui avait reconnu dans ses plaintes pénales contre son mari que le couple n’avait plus de relations sexuelles depuis 2004. La Cour Européenne a fait droit à la requête de l’épouse faite sur la violation du droit à une vie privée et familiale de l’article 8 de la Convention.

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La cour a analysé la notion de "devoir conjugal" dans la Loi et la jurisprudence française (1) pour en limiter la portée à des circonstances extrêmement particulières nécessitant l’ingérence dans l’intimité du couple, ce qui n’étaient pas justifié dans la présente espèce où le divorce pour altération du lien conjugal était possible (2).

La Cour Européenne rappelle la primauté du consentement et le droit à disposer de son corps, que le viol conjugal, réprimé pénalement par la Loi française, ne suffit pas à assurer le respect de la liberté et de la dignité humaines. Elle attire l’attention des Etats contractants à lutter contre toutes formes de violences domestiques (3).

Cet arrêt européen s’inscrit dans la ligne de protection de la femme contre les violences conjugales et intrafamiliales par les Juges français et le Ministère de la Justice et les nouvelles procédures civiles et pénales avec l’Ordonnance de protection judiciaire, et l’Ordonnance de référé provisoire de protection immédiate.

En ce qui concerne la procédure française de divorce, désormais centrée autour du Divorce par Consentement Mutuel-DCM, passé par acte d’avocats et d’autre part, facilitant le décompte de la durée de vie séparée du divorce pour cause de l’altération définitive du lien conjugal, il est suggéré au législateur de modifier le rang de l’examen des causes du divorce en mettant la faute au dernier rang.

On peut s’étonner que la faute, qui est la 4ᵉ et dernière cause du divorce [1], soit examinée en premier lieu par le Juge [2], obligeant les époux à fournir des attestations et tout un arsenal de moyens dilatoires (4).

1) Le devoir conjugal selon la jurisprudence française.

Selon Wikipedia, Le devoir conjugal désigne l’exigence de rapports sexuels réguliers au sein du mariage.
Le Code civil français ne mentionne pas l’exigence du devoir conjugal.
Les obligations des époux sont le devoir de fidélité et d’assistance mutuelle : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance [3].

Les relations intimes sont rattachées à l’obligation de communauté de vie [4] :
Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
La résidence de la famille est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord.
Le mariage est une institution en ce sens qu’il est un corps de droits et d’obligations concernant les personnes pour avoir des enfants et fonder une famille. La cérémonie du mariage à la mairie montre la solennité des engagements des époux qui prononcent leur consentement devant le Maire et signent l’acte de mariage qui sera enregistré au service d’état civil.

Le mariage n’est pas rien. Il reste une tradition, civile et religieuse pour beaucoup : c’est un évènement célébré avec grand frais. Le devoir conjugal est dans cette ligne de valeur. Il n’y a pas de limitation de durée même si avec l’âge, le temps, l’ardeur des époux s’émousse et se transforme en une relation affective profonde et très unie.
La jurisprudence française ne connaît pas de subtilité. La non observation volontaire par l’épouse de son devoir conjugal à l’égard de son mari est une faute grave pour que le divorce soit jugé aux torts exclusifs de l’épouse sans considération de l’âge avancé des époux ni de l’aptitude physique à s’adonner à cette activité de façon régulière : la femme est sujette à des migraines, des problèmes gynécologiques (ménopause), outre l’arthrose et le lumbago. A plus de 60 ans, sauf exceptions, la femme n’est plus la jeune Eve et le mari…

Ainsi, faisant état d’une très grande sévérité ou d’une très grande brutalité, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de divorce aux torts exclusifs de la femme pour son refus du devoir conjugal : arrêt de rejet inédit (toutefois, un arrêt de rejet en outre inédit n’a pas une grande portée) : l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse n’était pas justifiée par des raisons médicales suffisantes [5].

C’est ce même raisonnement qu’a repris la Cour d’Appel de Versailles dans l’appel interjeté par Mme H.W. du jugement de divorce prononcé le 13 juillet 2018 pour altération définitive du lien conjugal, demandé par son mari [6].

Par cet arrêt, la Cour d’Appel de Versailles, la cour a examiné successivement les griefs invoqués par les époux.

La cour a rejeté tous les arguments de l’épouse contre son mari : Mme M fait grief à son époux d’avoir pris la décision unilatérale de travailler loin de sa famille, après sa nomination en qualité de magistrat dans une chambre régionale des comptes et, à ce titre, d’avoir travaillé en province jusqu’à son départ à la retraite en 2013 alors que cette situation devait durer 3 ans ; qu’elle fait état du caractère désastreux de cette situation pour la famille dès lors que son mari, sous pression et épuisé par le travail et les trajets, se montrait agressif à son égard, dur envers elle et les enfants, indisponible ; que décrivant un climat familial extrêmement stressant et délétère du fait de son conjoint, Mme dénonce un manquement de ce dernier aux devoirs de considération et d’affection entre époux et une attitude de dénigrement constante envers les siens.

La cour a déclaré que l’épouse ne rapportait pas la preuve de ces griefs, notamment le choix de son mari de sa carrière en province, notant qu’il faisait tous les déplacements tous les jours, retenant deux attestations de collègues sur ses préoccupations constantes pour ses enfants.
La cour a considéré que le sentiment de tout avoir à gérer seule, ressenti par l’épouse, accentué par ses problèmes de santé, relevait plus d’un choix de vie des époux et non de la faute de l’un d’entre eux.
Contre toute attente, malgré cette analyse mettant les époux face à face, la cour a prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse, le refus continu depuis 2004 à entretenir des relations intimes avec son mari n’étant pas justifié par son état de santé sur une aussi longue période.
La cour a donc infirmé le Jugement et prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse.
Les mesures accessoires n’ont pas été modifiées, aucune prestation compensatoire n’a été fixée pour l’épouse, âgée de 64 ans et proche de la retraite à la Banque Postale, son mari, âgé de 72 ans ayant un cancer du foie. Les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. L’épouse aurait plusieurs retraites, ayant travaillé dans plusieurs banques privées et publiques.
L’attribution préférentielle du domicile conjugal a été accordée à l’épouse. Aucune demande indemnitaire n’a été ordonnée. La pension pour la dernière des quatre enfants, jeune adulte handicapée en formation dans un centre d’éducation canine a été confirmée.
Par arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre l’arrêt de Versailles au motif que les causes de divorce relevaient du pouvoir souverain des juges du fond.

2) Le devoir conjugal selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme (article 8 de la Convention : atteinte à la vie privée).

Le 5 mars 2021, Madame H.W. a saisi la Cour Européenne par une requête visant l’article 8 de la Convention - Droit à une vie privée et familiale. Sa requête a été déclarée recevable.
La cour a rendu sa décision le 23 janvier 2023 et a condamné la France par une décision unanime des cinq juges.

La cour a rappelé l’engagement de la France, signataire de la Convention d’Istanbul, Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, du 11 mai 2011, ratifiée par la France le 4 juillet 2013 et entrée en vigueur le 1ᵉʳ novembre 2014.

Article 1 : La présente Convention s’applique à toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, qui affecte les femmes de manière disproportionnée.

Article 3 définit : « b) le terme "violence domestique" désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ».

Les Etats se sont engagés à prendre toutes les mesures de protection, d’information et de répression pénale pour permettre d’assurer la protection des femmes.

Article 36 - Violence sexuelle y compris le viol :

« 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement :
a) la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps
d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ;
b) les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ;
(...)
2. Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes.
3. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les
dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les
anciens ou actuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne
 ».

La cour a examiné s’il y avait eu une atteinte légitime à la vie privée de Mme H.W. en faisant état de l’abstinence de rapports intimes des époux par rapport au but recherché - le prononcé du divorce.
Elle a estimé que le divorce des époux aurait pu être prononcé sans faire état de leurs relations intimes protégées par le respect de leur vie privée, rejetant l’argumentation de la France sur l’existence de l’incrimination pénale en cas de rapports non consentis exercés par le conjoint. La répression pénale étant distincte et sans objet avec la procédure de divorce.

La Cour Européenne a fait la part des intérêts en présence :

« La Cour considère que la réaffirmation du devoir conjugal et le fait
d’avoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé
toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit
au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de
disposer de son corps
 » …

« Ces ingérences dans les droits de la requérante étant le fait d’autorités
publiques, la Cour estime qu’elles doivent être examinées sous l’angle des
obligations négatives
 ».

La cour a estimé que les ingérences litigieuses résultaient d’une jurisprudence française bien établie et qu’elles étaient donc prévisibles au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

La cour a également admis l’argument du Gouvernement sur la légitimité du but desdites ingérences, à savoir le prononcé du divorce des époux : la cour reconnaît que la finalité des ingérences litigieuses, qui renvoient au droit de chacun des époux à mettre fin aux relations matrimoniales, se rattachait à la « protection des droits et libertés d’autrui » au sens de la Convention.

La cour a alors considéré la proportionnalité des ingérences légitimes : il reste cependant à la cour à trancher la question, étroitement liée à celle de l’existence d’un but légitime, de savoir si les restrictions en cause sont justifiées, en d’autres termes si celles-ci sont fondées sur des motifs pertinents et suffisants et si elles sont proportionnées au but poursuivi.

Et là, la cour a relevé qu’il n’avait pas été tenu compte du consentement de l’épouse : En l’espèce, la cour constate que le devoir conjugal, tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire, ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui.

La cour en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.

« La cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines »...

« La cour déduit que la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Les éléments qui précèdent suffisent à constater
la violation de l’article 8 de la Convention
 ».

3- Ce qu’il faut retenir de l’Arrêt M. H.W.

Cet arrêt consacre la primauté du consentement de la femme, pour tout acte sexuel dont elle fait l’objet. Liberté de disposer de son corps, à tout âge, à l’égard de tout homme, mari, concubin, ex-conjoint ou tiers. Et le droit de se refuser à son mari.
La convention d’Istanbul responsabilise les Etats signataires.
La France et les Juges font de la cause des femmes une priorité avec la sécurité du pays.
La protection des femmes et des enfants sont un aspect de la sécurité publique.
Au pénal, la protection judiciaire s’est renforcée avec l’Ordonnance de protection judiciaire et l’Ordonnance provisoire de protection immédiate.
Au civil et au pénal, le contrôle coercitif pour prévenir les violences intrafamiliales.

Au final, Mme H.W. aura fait avancer la cause des femmes mais elle restera divorcée à ses torts exclusifs.
Médaille en chocolat, les torts ? Non, les torts ont une valeur : la Justice, rendre Justice à la victime, c’est même une thérapie : la victime a été reconnue par le Juge qui représente la loi. Dans cette procédure, il fallait alors prononcer le divorce aux torts réciproques qui ont cette double reconnaissance qu’ils sont en faute tous les deux et qu’il n’y en a pas un de meilleur.
Mme H.W. a poursuivi jusqu’au bout, c’est elle qui a fait état des relations intimes du couple. Il n’y avait aucun intérêt financier.
Au bout du compte, dix ans de vie gâchée.
Les ex-époux sont tous les deux malades, Monsieur a un cancer du foie selon l’Arrêt de la cour.
Ne serait-il pas temps de changer les mentalités, de s’ouvrir à l’amiable ?
Il faudrait déjà rendre prioritaire l’examen des causes objectives de divorce avant le divorce pour faute.
Et pour cela, modifier l’article 246 du Code Civil qui oblige le juge d’examiner en premier lieu la demande pour faute avant la demande acceptée et avant l’altération du lien conjugal.
Cela éviterait des années de procédure avec attestations de complaisance et gagnerait du temps pour tout le monde.

Francine Summa, Avocate au barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Article 229 du Code Civil.

[2Article 246 du Code Civil.

[3Article 212 du Code Civile.

[4Article 215 du Code Civil.

[5Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 17 décembre 1997, 96-15.704, Inédit.

[6Arrêt du 7 novembre 2019 n°18/05762.

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