L’affaire Johnny Hallyday, très médiatisée a suscité un émoi populaire, tant et si bien que malgré la décision de la Justice française de déclarer le dernier domicile du défunt en France [3], soumettant à la loi française le règlement de la succession, le législateur a réintroduit le droit de prélèvement des héritiers réservataires sur les biens du défunt situés en France avec la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 (article 24) applicable depuis le 1ᵉʳ novembre 2021 : c’est l’article 913 alinéa 3 du Code Civil.
On peut se demander quelle est l’utilité de ce rajout, compte tenu des règles du règlement européen "successions du 4 juillet 2012 qui a réservé l’ordre public" l’ordre public du for saisi [4].
Et que, la Cour de cassation dans deux arrêts du 27 septembre 2017 (Cass 1ʳᵉ Ch.Civ.n°16151 et n°16-17198) a jugé que la loi étrangère ignorant la réserve héréditaire, n’était pas contraire en soi à l’ordre public international français mais avait vocation à s’appliquer dans des situations incompatibles avec les principes du droit français considérés comme essentiels, soit dans des situations de précarité économique, si les héritiers étaient privés de toutes subsistances [5].
Position rejetée dans la réponse faite le 21 novembre 2023 par le ministre des Français de l’étranger, rappelant le principe républicain de non-discrimination des héritiers [6].
Ces principes complexes doivent inciter les héritiers à négocier un accord juste par une médiation afin d’éviter des procédures et des frais outre les droits de succession en France, ce qui a toujours été la solution dans les successions importantes et complexes.
I- L’affaire Johnny Hallyday et la loi n°1109 du 24 août 2021 : article 24.
On pourra s’étonner de voir dans une loi ayant pour objet de lutter contre le séparatisme une disposition - l’article 24 - qui reprend une loi du 14 juillet 1819 déclarée inconstitutionnelle par Décision du Conseil constitutionnel, décision n°2011-159 QPC du 5 août 2011, pour être discriminatoire et contraire au principe de l’égalité des héritiers réservataires [7].
Rappelons ce qu’était le droit d’aubaine [8] : « Pendant le Moyen Âge et l’Ancien Régime, les étrangers vivant en France étaient soumis au droit d’aubaine. À leur mort, le souverain français héritait de leurs biens.
Ce droit posait problème pour les commerçants étrangers fréquentant les foires, les entrepreneurs et ouvriers étrangers attirés dans les manufactures, les soldats mercenaires, les étrangers possesseurs de rentes ou de titres d’emprunt, les villes où les étrangers sont nombreux... Avec le développement des échanges, on risquait de se priver de ces apports précieux ».
Le droit d’aubaine et de détraction a été aboli par la loi du 14 juillet 1819 :
Version en vigueur du 14 juillet 1819 au 06 août 2011 :
Création de la loi 1819-07-14 Bulletin des lois 7ᵉ S, B. 294, n° 6986 :
« Dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ».
Dans sa décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 (NOR : CSCX1122058S), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819.
Le droit d’aubaine a donc été abrogé.
II- Le règlement successions du 4 juillet 2012 en vigueur au 17 août 2015.
Le retour du droit de prélèvement de la loi du 24 août 2021 a posé et pose encore une grande incertitude pour le règlement des successions internationales que le règlement (UE) N o 650/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 4 juillet 2012 était censé régler, par le principe d’appliquer une loi unique à tous les biens du défunt, en faisant abstraction de la loi du lieu de l’immeuble. Ce qui était l’exception à la règle de conflit applicable du domicile du défunt.
Exit la loi du lieu de l’immeuble pour n’appliquer que la loi du domicile du défunt.
Étant précisé que la compétence juridictionnelle est en principe le tribunal de la résidence habituelle du défunt (article 4) mais le choix d’un autre tribunal européen est possible sous certaines conditions.
Ce règlement a été considéré comme un grand succès de simplification, encore que les actifs suivants soient exclus : (article 2) :
g) les droits et biens créés ou transférés autrement que par succession, par exemple au moyen de libéralités, de la propriété conjointe avec réversibilité au profit du survivant, de plans de retraite, de contrats d’assurance et d’arrangements analogues, sans préjudice de l’article 23, paragraphe 2, point i) ;
h) les questions régies par le droit des sociétés, associations et personnes morales telles que les clauses contenues dans les actes constitutifs et dans les statuts de sociétés, d’associations et de personnes morales qui fixent le sort des parts à la mort de leurs membres,
i) la dissolution, l’extinction et la fusion de sociétés, d’associations et de personnes morales ;
j) la constitution, le fonctionnement et la dissolution des trusts ;
k) la nature des droits réels ; et
l) toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription, ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre.
Donc, les libéralités, les plans retraite, les contrats d’assurances, les droits sociaux, les trusts, les inscriptions de droits immobiliers, institutions contractuelles restent régis par leurs contrats.
Le rêve d’une loi unique reste donc bien difficile.
III- Les deux arrêts de la Cour de cassation (1ʳᵉ Chambre) du 27 septembre 2017 n° 16-13151 et n° 16-17.198.
Par l’arrêt Jarre, très médiatisé, la Cour de cassation a posé le principe de la relativité de la notion d’ordre public français en rejetant le pourvoi des enfants français revendiquant leur droit de réserve héréditaire :
« N’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;
attendu qu’après avoir énoncé que la loi normalement applicable à la succession est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, l’arrêt relève qu’il n’est pas soutenu que l’application de cette loi laisserait l’un ou l’autre des consorts Y..., tous majeurs au jour du décès de leur père, dans une situation de précarité économique ou de besoin, que Michel Y... résidait depuis presque trente ans en Californie, où sont nés ses trois derniers enfants, et que tout son patrimoine immobilier et une grande partie de son patrimoine mobilier sont situés aux Etats-Unis ; que la cour d’appel… en a exactement déduit que la loi californienne ayant permis à Michel Y... de disposer de tous ses biens en faveur d’un trust bénéficiant à son épouse, mère de leurs deux filles alors mineures, sans en réserver une part à ses autres enfants, ne heurtait pas l’ordre public international français ».
Dans cette espèce, le règlement UE successions n’avait pas à s’appliquer, s’agissant de la loi Californienne, d’une part, et d’autre part, d’un trust bénéficiant à son épouse comprenant tous les biens du défunt. Le trust est exclu du règlement successions.
La Cour de cassation a précisé le cadre de l’ordre public international français devant s’appliquer en faveur des héritiers réservataires en s’appuyant sur la notion de précarité, qui n’était pas remplie en l’espèce, les deux enfants français étant majeurs et n’étant pas dans une situation précaire.
La même motivation a été reprise dans l’arrêt n° 16-17.198 concernant une situation semblable d’un artiste compositeur de musique ayant fait sa vie en Californie et laissé tous ses droits à sa famille américaine. L’ordre public international français ne s’appliquerait qu’en cas de situation de précarité des héritiers français.
IV- La réponse républicaine de non-discrimination des héritiers du ministre des Français de l’étranger [9].
La réponse du ministre des Français de l’étranger farouche défenseur des droits des héritiers réservataires est sans équivoque sur le droit au prélèvement des héritiers résidant en France sur les biens du défunt situés en France sans considération sur une situation de précarité de leur condition :
« En permettant aux enfants évincés d’une succession qui n’est pas régie par la loi française de récupérer une part successorale sur les biens situés en France, le législateur est revenu sur la jurisprudence de la Cour de cassation (1ʳᵉ Chambre civile, 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.151, Publié au bulletin) et a fait de la réserve héréditaire un principe d’ordre public international. En conséquence, si cette disposition constitue une exception à l’application normale d’une règle de conflit de loi, elle entre toutefois, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République du 9 décembre 2020, dans les prévisions de l’article 35 du règlement successions, qui prévoit la possibilité d’écarter les dispositions de la loi applicable au règlement de la succession si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État qui statue sur le règlement de la succession. Le Conseil d’État a également considéré que cette disposition ne soulevait pas de difficultés d’ordre constitutionnel. Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’article 913 alinéa 3 du Code civil assure un juste équilibre entre, d’une part, la liberté du défunt de disposer de ses biens, et, d’autre part, la nécessaire protection des proches du défunt contre les discriminations dont ils pourraient être l’objet ».
V- L’ordre public international du for (article 35 du règlement "successions").
Le ministre a rappelé que le règlement successions a bien réservé l’ordre international public du for (article 33 du règlement successions) laissant ainsi aux Juges nationaux saisis d’une procédure d’appliquer la notion d’ordre public international de leur pays : Article 35 Ordre public :
« L’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for ».
Conclusion.
Il sera toujours possible de ne pas suivre les règles de la réserve héréditaire, surtout dans notre société ouverte à tant de pays qui l’ignore. Les limites du règlement UE "Successions" dont sont exclus les principaux actifs qui sont utilisés - assurances, plans retraite, trusts, contrats divers, droits d’auteurs - pour éviter une succession soumise à la juridiction française, en considération des droits de succession, autre critère d’évitement.
Dans les successions très compliquées, l’intérêt de tous est de trouver un accord.