Divorce pour faute, refus de relations intimes : la France condamnée par la CEDH.

Par Barbara Régent, Avocate.

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Explorer : # divorce pour faute # violences conjugales # consentement sexuel # droit à la vie privée

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La décision récente de la CEDH remet en question l'obligation du mariage sur les relations sexuelles. Le refus d'intimité peut-il justifier un divorce pour faute ? La CEDH conclut à une violation du droit au respect de la vie privée, soulignant l'importance du consentement dans le mariage.
Description rédigée par l'IA du Village

Le Code Civil oblige les époux à une « communauté de vie ». Mais sont-ils contraints pour autant à avoir des relations sexuelles ? Le refus de s’y soumettre est-il constitutif d’une faute ? Et quid dans ce cas du viol conjugal ? La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 23 janvier 2025, un arrêt qui pourrait bien faire évoluer le divorce pour faute. Il existe en effet une réflexion à mener sur son maintien, mais également sur une meilleure prise en charge des divorces dans un contexte de violences intrafamiliales qui nécessiterait une procédure plus simple et rapide.

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L’obligation à une communauté de vie dans le cadre du mariage, prévue par le Code Civil, ne permet pas de répondre clairement à la question suivante : le consentement au mariage emporte-t-il consentement de facto aux relations sexuelles ? Le refus répété durablement de relations intimes constitue-t-il une violation des devoirs du mariage justifiant un divorce pour faute ? Jusqu’à présent, les juridictions françaises répondaient positivement. Mais, la décision de la CEDH va bousculer le divorce pour faute en France et amener à des changements.

I) Le droit applicable.

En application des articles 212 et 215 du Code Civil :

  • Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance ;
  • Ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
    Aux termes de l’article 242 du Code civil, le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune.

II) La jurisprudence.

Dans cette affaire soumise à la Cour d’appel de Versailles, le mari faisait grief à son épouse d’avoir refusé les rapports intimes depuis 2004, ce qu’elle reconnaissait justifiant sa position par deux motifs : le premier étant la violence conjugale, et le second son état de santé. Elle invoquait notamment un accident grave dans le métro en 2005, lui laissant de nombreuses séquelles et l’ayant immobilisée près d’une année, une opération en 2009 pour une hernie discale, et enfin un syndrome polymorphe persistant à tiques traité par un antibiotique au long cours depuis octobre 2016.

La cour d’appel a considéré, sur le fondement de l’article 242 du Code Civil,

« que de tels éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue », précisant que ces faits, établis par l’aveu de l’épouse, constituaient « une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ».

Elle a prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse et infirmé le jugement, rendu en 1ʳᵉ instance par le TGI de Versailles le 13 juillet 2018 [1].
L’épouse a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté : « les moyens ... n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation » [2].

Mais l’affaire ne s’arrête pas là car l’épouse a déposé ensuite un recours devant la CEDH, demandant un euro symbolique pour indemnisation de son préjudice moral en raison du caractère infamant du prononcé du divorce à ses torts exclusifs, précisant avoir été particulièrement meurtrie par la sanction prononcée à son encontre sur une question touchant à sa vie sexuelle.

La CEDH n’a pas accordé cette indemnisation, mais a jugé qu’il « y a eu violation de l’article 8 de la Convention », aux termes desquels « Toute personne a droit au respect de sa vie privée » [3]. Les extraits les plus significatifs de cette décision sont reproduits ci-dessous :

« La cour ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Or, la cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines [4]. Aux yeux de la cour, le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ».

« En l’espèce, la cour constate que le devoir conjugal (…) ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui ».

« Tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle »

« La cour considère que la réaffirmation du devoir conjugal et le fait d’avoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps ».

III) Des délais anormalement longs.

Outre l’importance juridique de cette décision, notamment au regard de la notion de viol conjugal avec laquelle elle se heurtait, il est important de souligner les délais anormalement longs de cette affaire et les conséquences pour les parties. En effet, c’est par acte du 9 juillet 2015 que Madame X a assigné son conjoint en divorce. L’arrêt de la cour d’appel a été rendu le 7 novembre 2019, soit 4 ans et 4 mois plus tard. Il aura fallu 13 ans au total à Madame X, qui alléguait que son mari s’était montré irascible et violent pendant la vie conjugale, pour obtenir une décision de la CEDH.

On ne peut que constater que ces délais ajoutent une violence institutionnelle indéniable à une affaire particulièrement pesante pour les parties. On peut citer de manière plus générale les chiffres du ministère de l’Intérieur : en 2022 87% des auteurs de violence sont des hommes et 86% des victimes sont des femmes.
Le délai moyen en 2020 pour obtenir un divorce pour faute était de plus de 18 mois avant d’obtenir un jugement…S’ajoutent ensuite les délais d’un appel (en moyenne 22.9 mois en 2023) et d’un pourvoi en cassation (en moyenne 15.9 mois) éventuels.

Il arrive même que certaines juridictions déboutent les deux époux de leur demande réciproque en divorce pour faute et qu’ils se retrouvent plusieurs années après… non divorcés.

Maintenir un système où le divorce, puis la liquidation du régime matrimonial prennent des années, c’est offrir à un époux la possibilité, cautionnée par les failles judiciaires, de conserver son emprise, son contrôle et les violences économiques sur l’autre.

Les violences sont financières puisque le revenu moyen individuel des femmes est inférieur de 24% à celui des hommes (INSEE 2021) et l’écart patrimonial moyen de 16%. Un divorce contentieux coûte plus cher qu’un divorce amiable. Statistiquement, il appauvrit plus les femmes.

Les violences sont aussi psychologiques : les multiples procédures s’égrènent sur un temps long, ne permettant pas à la victime de se reconstruire rapidement et occasionnant des dégâts considérables sur les enfants projetés dans des conflits de loyauté destructeurs.

Notre système judiciaire actuel participe donc aux préjudices de la victime, des enfants et de l’entourage.

En outre, l’article 244 du Code Civil empêche la victime de fonder sa demande en divorce pour faute sur des faits antérieurs à la « réconciliation » (c’est une cause d’irrecevabilité). En matière de violence intrafamiliale, cette disposition a-t-elle du sens lorsque l’on sait qu’une femme victime de violences conjugales effectue en moyenne 6 départs infructueux avant de partir définitivement (chiffres de la fondation des femmes) ?

Cet arrêt de la CEDH doit permettre d’engager une réflexion profonde sur la suppression, ou à tout le moins sur la modification du divorce pour faute (En 2023, il ne représentait que 5% des divorces contre 40% dans les années 2000) ainsi que pour une meilleure prise en charge des victimes de violences intrafamiliales par la création d’un divorce simplifié et rapide (le bref délai étant insuffisant à ce jour).

C’est une réflexion d’ampleur qui doit être menée par les pouvoirs publics pour faire évoluer le droit de la famille dans son ensemble, favoriser les modes amiables pour les dossiers les plus simples qui ne doivent pas continuer à engorger les juridictions au détriment des dossiers les plus lourds qui doivent pouvoir être examinés dans de meilleures conditions par les juges. Pour cela, il faut modifier la procédure et les modalités de l’audience car elles ne sont plus adaptées aux besoins des citoyens. Les avocats doivent aussi massivement se former aux modes amiables pour pouvoir orienter leurs clients vers les bons processus. Les personnes sont trop souvent pénalisées par le manque de moyens dont la justice et un manque de connaissance des MARD.

La famille est un sujet central dans notre société. Les adultes et les enfants doivent pouvoir compter sur un système judiciaire qui ne contribue pas à leur souffrance.

Voir aussi cet article : Lenteur de la justice familiale : peut-on faire condamner l’État ?

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice des associations Les Avocats de la Paix et Humanethic
https://www.regentavocat.fr/

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Notes de l'article:

[1CA Versailles, 7 nov. 2019, n° 18/05762.

[2Cour de cassation, 17 septembre 2020, n° W 20-10.564.

[3CEDH, Cour (Cinquième Section), 23 janv. 2025, n° 13805/21.

[4S.W. c. Royaume Uni, précité, § 44, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 42, série A no 335-C.

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