La cession d’un bail commercial ne peut pas être subordonnée à la conclusion d’un nouveau bail : est-ce la fin d’une pratique répandue ?

Par Arnaud Boix, Avocat.

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Explorer : # bail commercial # condition suspensive # cession de bail

Par une décision récente de la Cour de Cassation (Cass. 3e civ. 22 octobre 2015 n° 14-20.096 (n° 1108 FS-PB), Sté Enlux c/ Sté Banque Chaix), il a été décidé que la cession d’un bail commercial ne pouvait pas être subordonnée à la conclusion d’un nouveau bail par le cessionnaire.

La Cour de cassation a ainsi jugé que la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat de location est réputée non écrite. Tel est le cas de celle soumettant la cession d’un bail à la condition suspensive de l’obtention d’un nouveau bail par le cessionnaire.

-

Les faits de l’espèce sont les suivants :

La cession d’un bail commercial avait été conclue sous la condition suspensive que le cessionnaire signe un nouveau bail avec le bailleur avant une date déterminée.

Cela est une pratique fort répandue afin que le cessionnaire se réserve un bail neuf (consolide ses droits) et que le bailleur le plus souvent s’aménage entre autre de nouvelles conditions et tout particulièrement un nouveau loyer réévalué.

Dans cette affaire, les pourparlers entre le cédant et le cessionnaire n’ayant pas abouti à l’expiration du délai imparti, le cessionnaire avait invoqué la caducité de la cession.

Le cédant en avait au contraire demandé l’exécution forcée, soutenant que la condition suspensive était illicite, si bien que sa non-réalisation était sans influence sur la conclusion de la cession.

Tout d’abord, la Cour d’appel de Nîmes avait écarté cette demande du cédant et refusé de supprimer la clause (condition suspensive d’un nouveau bail) contestée estimant que le juge n’avait pas le droit de modifier la loi des parties en appréciant la cohérence du contrat.

Ce qui semblait à première lecture être de bon sens et de bonne sécurité juridique au regard de loi des parties !

Mais la Cour de cassation est venue censurer cette décision en décidant que la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat doit être réputée non écrite.

En se prononçant sur le fondement de l’article 1168 du Code civil (définissant la condition suspensive ou résolutoire) et non au regard des dispositions régissant les baux commerciaux, la Cour de cassation a conféré à sa décision une portée générale.

Elle considère que la condition suspensive d’un nouveau bail signé entre le bailleur et le cessionnaire locataire, telle qu’envisagée par l’article 1168, n’étant qu’une modalité du contrat, elle ne doit - et ne peut - pas être confondue avec les éléments nécessaires à la formation du contrat, définis par l’article 1108 du Code civil (consentement et capacité des parties, existence d’un objet et d’une cause au contrat), et partant, elle ne peut pas être choisie parmi eux, sous peine pour la clause stipulant la condition d’être jugée illicite.

Le raisonnement vaut aussi lorsque la loi prescrit, à peine de nullité du contrat, l’autorisation préalable d’une administration : l’obtention de celle-ci n’est pas une modalité de l’accord des parties mais un élément légal de validité du contrat (Cass. 3e civ. 18-6-1974 n° 73-13.324 : Bull. civ. III n° 256).

En effet, compte tenu de la poursuite du bail résultant de la cession de celui-ci, le bailleur ne peut pas modifier le montant du loyer ou toute autre clause à l’occasion de la cession du bail.

Pour contourner cette impossibilité, la pratique a imaginé la cession sous condition de la conclusion d’un nouveau bail : le locataire trouve un successeur et le présente au bailleur qui le pré-agrée ; le bail en cours est résilié à l’amiable et le nouveau bail conclu avec le successeur intègre les modifications souhaitées par le bailleur. Il n’y a pas alors cession du bail, laquelle emporte transfert au successeur du bail dans ces conditions d’origine.

Par cette décision, la Cour de cassation a refusé de valider ce mécanisme : mais que peuvent alors prévoir les parties sans encourir le risque que la condition suspensive de la cession du droit au bail liée à la signature soit considérée comme illicite ?

-  Le cessionnaire a la possibilité de demander au cédant qu’il se porte fort de la conclusion d’un nouveau bail (C. civ. art. 1120 ; Cass. 1e civ. 16-4-2015 n° 14-13.694 : RJDA 7/15 n° 778) ;
-  La cession du bail peut aussi être conclue sous la condition suspensive que le bailleur accepte d’entrer en pourparlers avec le cessionnaire en vue de la conclusion d’un nouveau bail.

A l’avenir, nous appelons les parties à une cession d’un droit au bail à la plus grande vigilance dans la rédaction d’une clause valant condition suspensive puisqu’il faudra être extrêmement prudent dans le choix de l’événement qui conditionne le droit au bail cédé en faisant la distinction entre modalités du contrat et éléments essentiels à la formation de celui-ci.

Arnaud Boix, Avocat
Cabinet Eloquence
Avocats Associés
www.eloquence-avocats.com

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Discussion en cours :

  • par Frédéric GUILLAUMOND , Le 14 janvier 2016 à 10:15

    Bonjour,

    Il me semble que les deux solutions que vous proposez ne sont pas complètement satisfaisantes :

    •Le cessionnaire a la possibilité de demander au cédant qu’il se porte fort de la conclusion d’un nouveau bail : je ne suis pas certain qu’en pratique un cédant souhaite assumer les conséquences du porte fort.

    • La cession du bail peut aussi être conclue sous la condition suspensive que le bailleur accepte d’entrer en pourparlers avec le cessionnaire en vue de la conclusion d’un nouveau bail : je ne suis pas certain que cela satisfasse le cessionnaire.

    Ne serait-il pas possible de prévoir "l’obtention de l’accord du bailleur pour consentir [et non conclure ou signer] au cessionnaire un bail sur les locaux moyennant un loyer annuel maximal et pour une destination correspondant à celle que le cessionnaire souhaite obtenir" ?

    Cessionnaire et bailleur faisant leur affaire d’un accord sur les autres conditions.

    En effet, à la lecture de l’arrêt, la difficulté, outre une problématique chronologique, était, me semble-t-il que le compromis était sous conditions suspensive de "signature" d’un bail.

    Qu’en pensez-vous ?

    Cordialement.

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