Le viol est aujourd’hui défini aux articles 222-23 et suivants du Code pénal. Pour être caractérisé, ce crime suppose classiquement la réunion d’un élément matériel (I) et d’un élément intentionnel (II). L’un et l’autre, ayant été réformés au cours du dernier quinquennat, sont exposés dans cet article.
I. L’élément matériel du viol.
L’élément matériel du viol suppose un acte matériel, qui peut être un acte bucco-génital ou un acte de pénétration sexuelle (A), ainsi qu’une absence de consentement de la victime (B).
A. Un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital.
Historiquement, la caractérisation de l’élément matériel du viol exigeait nécessairement un acte de pénétration sexuelle [1]. De l’existence d’une pénétration sexuelle dépendait d’ailleurs le départ entre le crime de viol et la qualification délictuelle d’agression sexuelle autre que le viol. Depuis la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, le viol peut également être caractérisé en cas d’acte bucco-génital.
L’acte de pénétration sexuelle, élément constitutif historique.
Comme nous allons le voir, l’acte de pénétration sexuelle peut désormais être indifféremment commis sur la personne de l’auteur ou sur la personne de la victime. Il reste que la notion d’acte de pénétration sexuelle a dû être précisée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Pour certains comportements, la qualification d’acte de pénétration sexuelle n’a jamais posé de difficulté. Il en est ainsi de la pénétration du vagin par le pénis, ou coït vaginal, qui constitue l’archétype de l’acte de pénétration sexuelle au sens de notre loi pénale.
Mais d’autres types de pénétration permettent-ils la caractérisation du viol ? La notion de pénétration sexuelle, pourtant au cœur de l’incrimination de viol, n’a jamais été et n’est d’ailleurs toujours pas définie par la loi. La jurisprudence, et notamment la chambre criminelle de la Cour de cassation en a donc défini les contours, affaire après affaire.
Il ressort ainsi de la jurisprudence que les actes suivants constituent également un acte de pénétration sexuelle, au sens des articles 222-23 et suivants du Code pénal :
la fellation, entendue au sens restreint d’une pénétration orale par le pénis [2],
le coït anal, ou sodomisation, id est la pénétration de l’anus par le sexe masculin [3],
la pénétration anale par un corps étranger autre que la verge, mais seulement lorsqu’elle intervient dans un contexte sexualisé [4],
la pénétration digitale du sexe féminin, i.e. l’introduction d’un ou de plusieurs doigts dans le vagin [5].
Sur la deuxième question, celle de savoir qui doit subir l’acte de pénétration sexuelle pour caractériser le viol, la règle a récemment évolué.
Jusqu’à l’été 2018, en effet, seul l’acte de pénétration sexuelle commis sur la personne de la victime pouvait permettre la qualification de viol [6]. Depuis la loi n°2018-703 du 3 août 2018, dite loi Schiappa, l’acte de pénétration sexuelle peut désormais être commis aussi bien « sur la personne de l’auteur » que « sur la personne de la victime » [7]. En d’autres termes, cela signifie qu’il est désormais indifférent, pour que le viol soit constitué, que l’auteur ait pénétré sexuellement sa victime ou que la victime ait été amenée à pénétrer sexuellement son agresseur. À titre d’illustration, cela veut donc dire qu’un homme pourra être considéré comme victime de viol s’il a été contraint de pénétrer sexuellement son agresseur, et ce alors même qu’il n’aurait lui-même subi aucune pénétration sexuelle sur sa propre personne.
L’acte bucco-génital, innovation de la loi du 21 avril 2021.
Sur amendement de la sénatrice Esther Benbassa, et contre l’avis du gouvernement [8], la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 a étendu le champ matériel du viol aux actes bucco-génitaux.
Cet ajout devrait permettre la caractérisation du viol en cas de cunnilingus, à savoir toute stimulation du sexe féminin par la bouche ou la langue. L’amendement de Mme Benbassa avait pour objectif de contrer la position antérieure de la Cour de cassation, laquelle avait décidé, dans un arrêt retentissant, d’écarter la qualification de viol au motif que la langue du mis en examen n’avait pas pénétré le vagin de la victime de manière « suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration » [9]. Cette jurisprudence est désormais contra legem.
Par ailleurs, cela signifie que la fellation, cette fois-ci entendue dans un sens large englobant toute stimulation bucco-linguale de la verge qu’il y ait ou non pénétration orale, pourra désormais caractériser le crime de viol.
En revanche, les actes bucco-anaux, ou anulingus, devraient a priori demeurer exclus du champ matériel de l’incrimination. De même, les attouchements sexuels n’impliquant ni acte bucco-génital ni pénétration, tels qu’une main sur le sexe, les seins ou les fesses, continuent de relever de l’incrimination délictuelle d’agression sexuelle autre que le viol.
B. L’absence de consentement de la victime.
En principe, le viol suppose d’apporter la preuve de l’absence de consentement de la victime. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021, cette démonstration n’est plus nécessaire en cas de viol sur mineur de 15 ans.
Le principe : la démonstration de l’absence de consentement.
Si le viol nécessite une « absence totale de consentement de la victime » [10], le législateur exige, pour entrer en voie de condamnation, que cette absence de consentement se manifeste par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise [11].
Si la violence et la menace n’appellent pas de remarques particulières, il convient de s’arrêter un instant sur les notions de contrainte et de surprise.
S’agissant de la contrainte, celle-ci est appréciée par les juridictions de manière concrète, c’est-à-dire au regard de la capacité de résistance de la victime [12], la loi précisant qu’elle peut être physique ou morale [13]. La contrainte physique est d’appréhension aisée, étant notamment caractérisée lorsque l’auteur maintient la tête de sa victime pour que celle-ci lui fasse une fellation [14]. La contrainte morale, elle, a pu être retenue dans le cas d’une jeune employée de 18 ans et demi, timide et réservée, qui avait été violée par un directeur au caractère despotique et tyrannique [15].
Quant à la surprise, celle-ci consiste, selon la Cour de cassation, à surprendre le consentement de la victime [16]. Il y a ainsi surprise lorsque l’auteur emploie un stratagème destiné à dissimuler son identité et ses caractéristiques physiques afin d’obtenir de sa victime un acte de pénétration sexuelle [17]. Dans cette affaire, un sexagénaire avait usurpé la photo d’un jeune mannequin pour séduire plusieurs femmes sur un site de rencontre. L’homme de 68 ans organisait ensuite des soirées où ses victimes devaient garder les yeux bandés [18].
Il y a encore surprise lorsque l’auteur profite en connaissance de cause de l’erreur d’identification commise par sa victime pour avoir avec elle des relations sexuelles. Il en va ainsi lorsqu’un homme s’introduit « dans la chambre et le lit d’une femme endormie, dont le mari était absent, profite de l’erreur de cette femme, pour consommer l’acte de copulation » [19].
L’exception : Le cas du mineur de 15 ans et la création d’un seuil de non-consentement sexuel.
Depuis la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, défendue au sénat par Eric Dupond-Moretti, toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d’âge entre l’adulte et l’enfant est d’au moins cinq ans [20].
Dans le cadre de ce nouveau crime de viol, il n’est plus nécessaire pour caractériser l’infraction de démontrer la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Jusqu’alors, faute de pouvoir prouver l’une de ces manifestations de l’absence de consentement, le parquet devait se rabattre sur la qualification délictuelle d’atteinte sur mineur de 15 ans, faisant encourir à son auteur une peine de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende [21].
L’évolution majeure tient donc à ce que le parquet, dans le cadre d’une relation sexuelle entre un adulte et un mineur de 15 ans, n’a plus désormais à apporter la démonstration d’une absence de consentement de la victime pour caractériser le crime de viol. L’absence de consentement est ipso facto déduite de ce que le mineur n’avait pas atteint l’âge de 15 ans au moment des faits.
Cette condition de différence d’âge de cinq années, nécessaire à la caractérisation de cette nouvelle acception du viol, est parfois désignée comme la « clause Roméo et Juliette ».
Avec cette réserve, il semble que le législateur ait souhaité éviter la surpénalisation subite et brutale d’amours de jeunesse entre une adolescente de 13 ou de 14 ans et un jeune homme qui viendrait de fêter son dix-huitième anniversaire.
Cela dit, le deuxième alinéa de l’article 222-23-1 du Code pénal prévoit que cette condition de différence d’âge n’est pas exigée lorsque la relation sexuelle est rémunérée. Cet alinéa contribue à l’objectif de lutte contre la prostitution de certaines jeunes filles de 13 ou 14 ans qui, sous l’emprise d’un petit ami de 18 ou 19 ans se muant en proxénète, sont parfois poussées à se prostituer [22].
II. L’élément moral du viol.
L’élément moral du viol suppose en toute hypothèse la volonté, chez l’auteur, de l’acte de pénétration ou bucco-génital. En principe, est également exigée la conscience chez l’accusé de l’absence de consentement de la victime.
La volonté de l’acte de pénétration ou bucco-génital.
Selon la formule consacrée par l’article 121-3 du Code pénal, « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Le viol suppose donc, dans tous les cas, la volonté chez l’auteur de perpétrer ou de faire perpétrer l’acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital.
Mais cette seule volonté de l’acte suffit-elle à permettre l’obtention d’une décision de condamnation ? Cela dépend.
La conscience de l’absence de consentement de la victime.
En principe, pour que le juge répressif puisse entrer en voie de condamnation, il convient également que soit démontrée la conscience chez l’auteur de l’absence de consentement de la victime [23]. C’est ainsi que la Cour de cassation a pu écarter la qualification de viol, dans un cas où le comportement de la victime avait laissé croire à l’accusé que la relation sexuelle était consentie [24].
Par exception, dans le cadre d’une relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un adulte, nous avons vu que la connaissance par l’auteur de l’absence de consentement de la victime devient hors sujet [25]. Dans ce cas, la défense consistant pour l’accusé à prétendre qu’il pensait sa victime mineure consentante ne peut donc plus permettre d’échapper à une décision de culpabilité.
Est-ce à dire que l’accusé ne disposera d’aucun axe de défense ? Probablement pas.
Comme l’avait déjà retenu la Cour de cassation en matière d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans [26], l’erreur de l’auteur sur l’âge de la victime est considérée comme une erreur de fait, laquelle fait alors obstacle à la caractérisation de l’infraction. Dans le cas d’un viol sur mineur de 15 ans, le mis en cause aura donc tout intérêt à tenter de démontrer qu’il a commis, au moment des faits, une légitime erreur d’appréciation sur l’âge de la victime [27].
Discussion en cours :
Reprise simple et claire de la notion juridique de viol ainsi que de son évolution récente.