Le « stealthing » : un viol par surprise ?

Par Aubéri Salecroix, Avocat.

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Explorer : # stealthing # consentement # viol # risques sanitaires

Après le revenge porn, une nouvelle pratique sexuelle détestable a été mise sur le devant de la scène aux États-Unis après la publication en avril 2017 dans le "Colombia journal of gender and law" d’une enquête de la juriste américaine Alexandra Brodsky : le "stealthing" [1].

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Cette pratique consiste à retirer discrètement ("stealth" veut dire furtif en anglais) son préservatif pendant un acte sexuel sans prévenir son ou sa partenaire.

Contrairement au "bareback" répandu au sein de la communauté homosexuelle consistant à coucher volontairement sans préservatif, ici la surprise est totale.

Le « stealthing » avait déjà fait parler de lui en 2010, lorsque deux femmes, en Suède, ont accusé Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, de viol au motif que ce dernier aurait d’abord refusé de porter un préservatif avant de finalement le retirer durant l’acte sans leur consentement. Le parquet suédois a depuis lors abandonné les poursuites pour viol à l’encontre de l’Australien, réfugié à l’ambassade d’Équateur depuis 2012.

Contre ce fléau, une avocate américaine, Cristina Garcia, a lancé en Californie le nouveau projet de loi « AB 1033 », afin de faire reconnaître le « stealthing » comme un viol. Elle insiste notamment sur le risque d’exposition des victimes à des maladies sexuelles transmissibles ou à des grossesses non désirées.

La pratique n’est pas anecdotique. Une étude de l’Association of American universities dévoilée en 2015 et réalisée auprès de 150.000 étudiants de 27 campus, a révélé que 23,1 % des étudiantes américaines disent avoir subi un acte sexuel non désiré durant leurs quatre années d’études, dont le stealthing.

A la frontière du viol pour certains, le stealthing en est pourtant un, dès lors qu’il revient à bafouer le consentement sans condition qui doit accompagner toute relation sexuelle. En effet, le consentement n’est pas le choix d’un moment, il doit s’étendre sur toute la durée d’un rapport sexuel. Consenti à un rapport protégé ne laisse pas présumer l’accord de la victime pour que ledit rapport ne le soit plus au cours de l’acte.

Et c’est à ce moment que surgit un autre point effrayant de l’enquête : la justification du stealthing. Nombreux sont ceux qui, notamment sur internet, incitent à cette pratique et donne même des conseils pour parvenir à leurs fins et tromper leurs partenaires.

Les auteurs avancent des légitimations archaïques : "Jouir dans une femme relève de l’instinct de l’homme", ou encore : "Pour moi on ne peut pas boire le verre à moitié vide. Si une fille veut le sexe d’un homme, elle doit aussi prendre sa semence"... Cette suprématie masculine que l’on pourrait croire dépassée anime pourtant les auteurs de cette pratique perverse qui sont convaincus d’agir dans leur bon droit

Pour l’instant, aucune jurisprudence en France n’a tranché la question de qualifier ou non le stealthing de viol.

Certes, un Français de 47 ans qui avait rencontré sa victime via l’application Tinder a déjà été condamné pour viol par le tribunal correctionnel de Lausanne (Suisse) en janvier 2017, mais il n’a écopé que de 12 mois de prison avec sursis.

La difficulté réside incontestablement dans la preuve de l’infraction et notamment dans le fait de démontrer que le port du préservatif est une condition essentielle pour que la relation sexuelle ait lieu car à défaut la défense pourra toujours arguer que dans le feu de l’action, tout est possible.

Pour l’heure, l’article 222-23 du Code pénal définit le viol de cette façon : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Reste à savoir si dans le cas du « stealthing », la « surprise » pourrait être retenue ou non par la justice.

Comme pour le viol conjugal, la notion du consentement reste vague en droit français alors même qu’elle est la clé de la protection de nombreuses victimes

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Notes de l'article:

[1Rape-Adjacent’ : Imagining Legal Responses to Nonconsensual Condom Removal, Columbia Journal of Gender and Law, Vol. 32, No. 2, 2017.

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