Sur le fond de l’affaire, l’entrée en voie de condamnation pour détournement de fonds publics [1] relève de l’appréciation souveraine du Tribunal face à un système de défense consistant à argumenter, pour l’essentiel, que les assistants parlementaires du FN pouvaient servir librement la cause politique du parti des députés auxquels ils étaient attachés sans devoir justifier d’un travail effectif en rapport avec les travaux du Parlement européen.
Plus stimulant pour le juriste : le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité [2] assortie de son « exécution par provision » [3] soulève de délicates questions de droit.
Notons à titre liminaire que le Tribunal correctionnel a jugé que l’intégralité des faits reprochés aux prévenus s’étaient déroulés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin II [4].
Cette circonstance a son importance car, depuis lors, le prononcé d’une peine d’inéligibilité est devenu obligatoire sauf décision contraire spécialement motivée [5].
Or, le caractère obligatoire d’une peine complémentaire dispense le juge d’avoir à motiver sa décision [6].
En outre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que : « ni l’article 485-1 du Code de procédure pénale, ni aucune autre disposition législative ne prévoient l’obligation pour les juges de motiver le choix d’assortir une peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire » [7].
À s’en tenir à ce cadre, il aurait été impossible de connaître le cheminement emprunté par le Tribunal pour aboutir à sa décision lourde de conséquences de priver avec effet immédiat certains prévenus, dont Marine Le Pen, de leur droit d’éligibilité.
Mais, s’agissant de faits antérieurs à la Loi Sapin II pour lesquels une peine d’inéligibilité est optionnelle, son prononcé nécessitait une motivation explicite, sauf à méconnaître le principe d’individualisation des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de1789 selon lequel : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
Le Tribunal correctionnel s’attache en conséquence à expliquer en quoi une peine d’inéligibilité lui parait nécessaire, eu égard à son double objet punitif et dissuasif et face à la gravité des faits qu’il estime constituer « une atteinte aux règles du jeu démocratique au préjudice du corps électoral dans son ensemble ». Soucieux d’une application proportionnée aux circonstances de commission des infractions propres à chacun des prévenus, comme à sa personnalité et sa situation personnelle, il module, conformément au principe d’individualisation des peines, l’application ou non d’une peine d’inéligibilité, sa durée, ainsi que l’octroi d’un éventuel régime de sursis, en fonction de l’implication de chacun en tant qu’auteur, complice ou receleur ainsi qu’au regard du profil de sa carrière politique. En cela, le Tribunal fait tout simplement application des articles 485-1 et 132-1 du Code pénal.
Plus novatrice apparait sa démarche quant à la motivation de sa décision subséquente, à l’impact absolument déflagrateur compte tenu du calendrier électoral, d’assortir de l’exécution provisoire la peine prononcée. Le Tribunal correctionnel prend soin en la matière d’exposer, plus abondamment encore, les considérations qu’il a soupesées. Or, il ne répond ce faisant à aucune exigence de nature législative puisqu’il n’y a pas de disposition du code de procédure pénale qui oblige le juge à expliciter les motifs l’ayant conduit à imposer un effet immédiat à sa décision [8]. En fait, le Tribunal correctionnel a entendu tirer toutes les conséquences d’une décision très récente du Conseil constitutionnel [9] qui, en son paragraphe 17, a exprimé une réserve à la conformité à la Constitution de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité au regard du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur [10].
Le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à tous les autorités juridictionnelles [11], y a en effet décidé que : « sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Selon le commentaire officiel publié à l’appui de cette décision du Conseil, cette réserve d’interprétation implique dorénavant que le juge motive sa décision sur ce point [12]. Trois jours à peine après sa publication, le Tribunal correctionnel a donc donné son plein effet à cette décision du Conseil constitutionnel en motivant de manière particulièrement détaillée sa décision de prononcer l’exécution provisoire pour certains des prévenus en application de l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale.
Cette motivation s’articule autour des deux objectifs que la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont, au fil de leur jurisprudence, assignés à une mesure d’exécution provisoire :
- D’une part, favoriser l’exécution des peines et prévenir la récidive [13] [14].
- D’autre part, assurer une juste conciliation entre la préservation des droits invoqués, en dépit de la privation de tout effet suspensif [15] qu’induit l’exécution provisoire, et les principes d’une bonne administration de la justice et de sauvegarde de l’ordre public [16] [17].
S’agissant du risque de récidive, le Tribunal correctionnel forge essentiellement sa conviction qu’il est objectivement caractérisé, en l’espèce, en raison de la stratégie de défense adoptée par les prévenus tout au long de la procédure et des débats. Nonobstant le droit légitime que les prévenus tirent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 de contester les faits et d’user de toutes les voies procédurales possibles, notamment à l’encontre de la compétence du Tribunal à les juger, il estime que le manque de coopération à la manifestation de la vérité ainsi révélé est indicatif d’une propension à réitérer les faits. Eu égard au système de défense très offensif déployé pendant la procédure, que le Tribunal qualifie de revendication d’un droit à l’impunité, les mandats politiques des intéressés, en cours ou potentiellement à venir, laissent persister selon le Tribunal un risque d’utilisation frauduleuse des deniers publics que seule l’exécution provisoire permet de prévenir.
Une telle motivation laisse quelque peu perplexe en ce qu’elle semble remettre en cause le libre exercice des droits de la défense, insinuant qu’une attitude trop combative vis-à-vis des faits reprochés et de leur qualification pénale, préfigure une volonté de les reproduire alors même qu’ils seraient l’objet d’une condamnation intervenue en première instance. Eu égard à l’effet suspensif de l’appel qui demeure le principe de droit commun, ne devrait-on pas de prime abord plutôt privilégier, en l’absence d’état de récidive d’ores et déjà avéré, l’option que la prise de conscience du caractère condamnable des faits, peut, et même doit, se produire au moment du prononcé de la peine et ce, quand bien-même le justiciable aurait fait feu de tout bois pendant la procédure pour en contester la qualification ? Adopter le postulat inverse n’aboutit-il pas à douter par avance du caractère dissuasif de la peine qui est prononcée ? On notera qu’en l’espèce le Tribunal relève aussi que les agissements reprochés avaient cessé en 2015 après que les services internes de l’Union européenne eurent diligenté une enquête. Or, si une enquête en amont a suffi à provoquer une cessation des comportements réprimés, une condamnation sur le fond en première instance n’aurait-elle pas suffi à renforcer l’exigence de probité de la part des prévenus ? Autant, on conçoit aisément qu’un état de récidive d’ores et déjà constaté (comme dans le cas d’une conduite réitérée sous l’emprise de l’alcool justifiant un retrait du permis de conduire dès le premier degré de juridiction), peut constituer une situation objectivant le prononcé d’une peine complémentaire à effet immédiat, autant il parait hasardeux de déduire un risque de récidive de la seule dénégation des faits par le prévenu avant condamnation. Le droit constitutionnellement reconnu de ne pas s’auto-accuser [18] s’en trouve questionné du fait le prévenu serait présumé présenter un risque de récidive à ne pas reconnaitre spontanément sa culpabilité. Or, l’aveu n’est pas davantage exclusif d’un risque de récidive que la contestation des poursuites jusqu’au prononcé de la peine n’est un marqueur déterminant d’une délinquance d’habitude.
S’agissant de son deuxième pan de motivation visant à apprécier le caractère proportionné de l’atteinte au droit d’éligibilité qui serait porté en cas d’exécution provisoire au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, le Tribunal correctionnel fait preuve d’une audace encore plus marquée.
Il définit l’ordre public devant être sauvegardé au cas d’espèce comme étant un ordre public démocratique qui s’opposerait à ce qu’une personne condamnée en première instance puisse être candidate, voire élue, avant que sa condamnation ne devienne, le cas échéant, définitive. Il estime qu’il y aurait alors un trouble irrémédiable à l’ordre public démocratique qui l’emporte sur le risque inverse de voir cette personne absoute en appel alors qu’elle aurait été privée du droit de se porter candidate avant que n’intervienne une décision définitive. À supposer que l’on accepte que le juge judiciaire soit effectivement le garant d’un ordre public démocratique ainsi défini, cette appréciation commanderait à ce que l’exécution provisoire soit systématiquement prononcée en matière d’inéligibilité. En effet, l’effet suspensif de l’appel qui demeure normalement applicable entraîne, par définition, la possibilité de voir élue une personne condamnée en première instance. Considérer qu’une telle possibilité entraînerait un trouble irrémédiable à l’ordre public démocratique devrait logiquement conduire à juger, qu’en matière d’inéligibilité, l’effet suspensif ne soit plus le principe et l’exécution provisoire, l’exception. Manifestement, ce n’est pas ce que le législateur a voulu en édictant les articles 506 et 471 du Code de procédure pénale. Ce n’est pas non plus finalement ce à quoi aboutit le Tribunal correctionnel puisqu’il ne prononce l’exécution provisoire qu’à l’égard d’une minorité de condamnés. En fait, le Tribunal correctionnel procède à une appréciation graduée du trouble possible à l’ordre public démocratique en fonction de la fonction élective qui pourrait être briguée, resserrant la focale sur l’élection présidentielle de 2027 susceptible de se dérouler avant toute condamnation définitive. À la différence d’un mandat d’élu local ou d’un mandat parlementaire pour lesquels, en l’absence d’exécution provisoire, l’intervention ultérieure d’une décision de condamnation définitive entraînerait une déchéance de plein droit [19], le statut d’inviolabilité de la personne du Président de la République, résultant de l’article 67 alinéa 2 de la Constitution, interdirait, jusqu’au terme de son mandat, le prononcé d’une décision définitive d’inéligibilité y compris pour des faits antérieurs à son élection. Craignant que le calendrier judiciaire soit plus lent que le calendrier électoral, le Tribunal correctionnel entend pallier ces vicissitudes au nom de la sauvegarde d’un ordre public démocratique, énonçant qu’il n’y a pas « de droit acquis à la lenteur de la justice ».
Or, l’objectif de sauvegarde de l’ordre public que le Conseil constitutionnel a estimé poursuivi par l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne semble pas, de prime abord, relever d’une mission aussi extensive qui serait impartie au juge judiciaire. Cet objectif tient avant tout au renforcement de l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et de la confiance des électeurs dans leurs représentants [20]. En substance, cet objectif ne semble guère détachable de l’objectif de prévention d’une récidive susceptible de se produire avant l’intervention de la condamnation définitive. En effet, l’objectif de probité et d’exemplarité étant en lui-même assuré ab initio par le caractère obligatoire (sauf décision spécialement motivée) [21] d’une peine d’inéligibilité, son exécution provisoire ne se conçoit véritablement qu’en vue de son renforcement pendant les délais de recours afin d’assurer l’effectivité de la peine pendant ce laps de temps, en particulier face à des profils récidivistes. Il n’est pas évident a priori que l’objet de l’exécution provisoire soit aussi d’empêcher, au nom de la sauvegarde de l’ordre public, l’élection d’une personne susceptible d’être condamnée définitivement ultérieurement. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs récemment invité les juridictions du fond à apprécier la proportionnalité de l’atteinte qu’une exécution provisoire est susceptible de porter à la liberté de l’électeur [22] et, de plus longue date, précisé que les dispositions instaurant une inéligibilité sont d’interprétation stricte [23]. Rappelons enfin que c’est le Conseil constitutionnel lui-même qui « veille à la régularité de l’élection du Président de la République » [24] et il ne semble pas a priori que le juge judiciaire soit investi d’une mission particulière en la matière.
Au regard de cette analyse, la question se pose du caractère extra legem de l’application qu’a faite le Tribunal correctionnel des prérogatives qu’il tire de l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale en s’estimant légitime, au nom de la sauvegarde de l’ordre public démocratique, d’empêcher une candidature à l’élection présidentielle avant l’intervention possible d’une condamnation définitive.
Appel étant interjeté, restent à mesurer les conditions et les conséquences d’une éventuelle réformation de ce jugement par les juridictions supérieures.
L’hypothèse d’une relaxe pure et simple en appel annulerait le jugement dans son entier dispositif et les personnes concernées retrouveraient en principe leur éligibilité. Toutefois, dans l’hypothèse où le ministère public formerait un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant prononcé une relaxe, l’effet suspensif attaché au pourvoi en cassation [25] aurait pour conséquence de suspendre temporairement le bénéfice de la relaxe décidée par la cour d’appel ; l’exécution provisoire ordonnée par le Tribunal correctionnel en première instance se poursuivant alors jusqu’à ce qu’une décision définitive intervienne [26] [27]. La situation serait identique dans l’hypothèse où la cour d’appel confirmerait la condamnation à une peine d’inéligibilité sans pour autant considérer que les conditions soient réunies pour l’assortir d’une exécution provisoire. En effet, le pourvoi en cassation que les prévenus ne manqueraient pas de former dans cette hypothèse, afin d’éviter que la décision de condamnation en appel ne devienne définitive, aurait pour même conséquence de laisser survivre l’exécution provisoire ordonnée en première instance jusqu’au terme final de la procédure. Le Conseil d’État, amené à se prononcer sur la validité de l’acte administratif constatant la démission d’office d’un élu local confronté à une telle situation, n’a d’ailleurs pas manqué de s’incliner devant un tel ordonnancement procédural ressortant des règles de procédure pénale en vigueur [28]. Prenant acte du caractère irrémédiable des conséquences ainsi attachées au prononcé d’une exécution provisoire par une juridiction de première instance, d’aucuns n’ont pas hésité de la qualifier d’« arme fatale » [29].
Finalement, aucune voie de recours spécifique permettant de contrôler la motivation d’une décision ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne semble exister.
La procédure de relèvement d’une peine complémentaire prévue à l’article 702-1 du Code de procédure pénale, permettant à la juridiction l’ayant prononcée de reconsidérer sa décision après l’expiration d’un délai de six mois, n’est ouverte qu’à propos de la peine elle-même, et non pas de son exécution provisoire. En outre, elle ne peut être introduite qu’à partir du prononcé d’une décision définitive [30]. Ainsi, le caractère exécutoire de la peine d’inéligibilité prononcée à l’encontre de Marine Le Pen par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars 2025 est devenu, dès son prononcé, indissociable de l’appréciation qui sera portée par les juridictions de rang supérieur sur le fond de l’affaire. Quant à un éventuel recours devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à un procès équitable [31] ou du droit à être élu [32], outre qu’en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour il n’aurait qu’une chance très aléatoire de prospérer, il n’est en tout état de cause susceptible d’être introduit qu’après épuisement des voies de recours internes.
Dès lors et en l’état du droit positif, sauf à obtenir une décision définitive invalidant la peine prononcée contre elle le 31 mars 2025 avant l’expiration du délai de dépôt des candidatures, Marine Le Pen ne pourra pas être candidate à la prochaine élection présidentielle.
En conclusion, le juriste trouvera certainement peu satisfaisant que la motivation d’une mesure d’exécution provisoire, rendue nécessaire depuis la Décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 (M. Rachadi S.), ne fasse l’objet d’aucun contrôle doté d’effet utile. Seule une intervention du législateur modifiant l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale semble pouvoir y remédier.
Quant au peuple électeur, il lui restera à apprécier dans les urnes la manière dont le juge judiciaire a tranché en son nom la meilleure façon de sauvegarder l’ordre public.
Discussion en cours :
L’analyse de Me Eric Fourel vient compléter de façon magistrale celle remarquable de Me Patrick Lingibe à propos de l’exécution provisoire prononcée concernant l’ inéligibilité découlant du jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 31 Mars dernier relatif à Marine Le Pen !