La fable de Jean de la Fontaine, « la cigale et la fourmi », a une morale ambivalente. Certes, la fourmi nous invite à la vertu, à l’épargne. Et c’est rassurant. Mais la cigale est tellement plus inscrite dans la vie, dans l’ouverture aux autres. C’est plus stimulant.
Il se trouve, aujourd’hui, que les fourmis sont mal aimées en France.
Se penchant sur leur sort dans le cadre sa « niche parlementaire », le groupe des écologistes a soumis aux débats de l’Assemblée Nationale, jeudi 20 février, une proposition d’imposition minimale des « ultra-riches ». Inspiré des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, le nouvel impôt taxerait à 2% la totalité du patrimoine (y compris le patrimoine professionnel) des foyers fiscaux qui disposent d’une fortune supérieure à 100 millions ; soit environ 1 800 foyers fiscaux en France selon le rapport déposé. L’impôt serait différentiel. C’est-à-dire qu’il n’entraînerait de perception que si la somme des charges fiscales et des prélèvements sociaux sur le revenu et la fortune immobilière acquittés par les contribuables concernés n’atteignait pas déjà 2% de la valeur de leur patrimoine. L’impôt serait également dû indépendamment de toute considération touchant au revenu généré par ces foyers fiscaux.
Ainsi, contrairement à l’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) en vigueur jusqu’en 2017, et à l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière) en vigueur depuis 2018, aucun plafonnement à 75% du revenu ne serait applicable.
En s’écartant de toute prise en compte du niveau de revenu du foyer fiscal imposable, ce projet d’impôt sur les « ultra-riches » rompt de manière assez radicale avec la philosophie de l’ISF, de l’IFI et même de « l’ancêtre IGF » (Impôt sur les Grandes Fortunes), en vigueur de 1982 à 1986.
Comme le déclarait alors, Roger Frey, Président du Conseil Constitutionnel, lors de la séance du 30 décembre 1981 d’examen de constitutionnalité de l’IGF : « il est deux sortes d’impôts sur le capital. La première catégorie dite "impôt sur le capital" cherche à atteindre les revenus tirés du capital, l’autre qui constitue un « prélèvement en capital », tend, par ses taux, à liquider progressivement le capital ».
L’absence de plafonnement peut conduire à devoir disposer partiellement de son capital pour acquitter l’impôt et c’est précisément ce risque qui avait conduit le législateur à adopter un mécanisme de plafond lors de la substitution de l’ISF à l’IGF en 1989.
Aujourd’hui, la justification donnée par les promoteurs du texte des écologistes à l’absence de plafond dans leur proposition tient à certaines analyses économiques qui démontrent que le rendement financier des patrimoines aurait atteint près de 7% au cours des dernières décennies. Dans ces conditions, prélever un impôt annuel de 2% ne ferait qu’amputer le revenu économique potentiel sans empêcher le maintien et même la régénérescence du capital (à supposer une inflation maintenue à un taux faible). À charge donc aux contribuables de faire fructifier leur patrimoine de manière suffisante et de s’organiser pour dégager à leur niveau personnel les ressources nécessaires pour acquitter l’impôt. Au passage, les détenteurs de hauts patrimoines sont dénoncés par les initiateurs du texte comme déployant des techniques d’évitement de l’impôt consistant à thésauriser au sein de holdings patrimoniales les dividendes perçus de leurs investissements, ou à souscrire à des produits de capitalisation, de telle manière qu’ils ne perçoivent à leur niveau personnel que des revenus faibles.
Historiquement, les mécanismes de plafonnement de l’imposition sur la fortune à 85%, puis à 75% du revenu, mis en place à compter de 1989 lors de l’introduction de l’ISF et qui perdurent aujourd’hui du fait de leur transposition à l’IFI, avaient pour objet d’éviter que l’impôt sur la fortune devienne difficilement soutenable, voire confiscatoire, pour des foyers fiscaux ayant des revenus plutôt faibles en proportion de leur patrimoine. Mais ces mécanismes auraient été détournés de leur objet au travers d’une ingénierie patrimoniale consistant à financer son train de vie, plus ou moins dispendieux, à partir de prélèvements en capital, tandis que le patrimoine productif de revenus était cantonné dans des structures ad hoc, évitant la perception directe au niveau du foyer fiscal de revenus imposables et permettant ainsi de faire jouer à plein le plafonnement. Eu égard à ce contexte, la proposition déposée par les écologistes aurait aussi l’avantage de contrecarrer définitivement ces techniques d’optimisation. En effet, une thésaurisation maximale en vue de profiter d’un plafonnement perdrait tout intérêt face à un nouvel impôt sur le patrimoine qui serait totalement dissocié dans son fonctionnement du revenu réel du foyer fiscal.
Reste que, tout simplement, la thésaurisation dans des structures ad hoc demeurerait attractive pour éviter de percevoir directement au niveau du foyer fiscal un excès de revenus imposables. La fortune des « ultra-riches » prospère en réalité à l’abri de l’impôt avant tout parce qu’elle génère davantage de produits financiers que les personnes concernées ne peuvent en avoir besoin pour couvrir leurs dépenses courantes. Lorsque l’on a chance d’être détenteur d’un patrimoine de cette ampleur, mieux vaut en effet éviter de faire transiter par son patrimoine personnel tout excès de revenu qu’il génère.
C’est ainsi que prospèrent les fourmis. Évitant d’avoir à piocher dans les flux de graines qu’elles amassent, leurs stocks pour l’hiver grossissent plus vite.
Important à ce stade de souligner que la thésaurisation des fruits du capital en franchise d’impôt sur le revenu est un instrument d’optimisation qui profite indifféremment aux grosses, mais aussi aux fourmis de plus petite taille. Pour les « petits riches », nombreux sont, en effet, les instruments qui se prêtent à une capitalisation des revenus avant impôt : bons et contrats de capitalisation, PEA, PER, etc. L’avantage n’est donc pas réservé aux « happy few » dont la consistance de la fortune, constituée par le contrôle de sociétés opérationnelles profitables, justifie la création d’une société holding familiale faisant écran entre le patrimoine productif et la cellule du foyer fiscal.
Madame Amélie de Montchalin, ministre en charge des Comptes publics, a indiqué au cours des débats du 20 février qu’elle était attentive aux phénomènes de « suroptimisation » et consciente qu’il pouvait y avoir des interrogations quant au fonctionnement de certaines holdings patrimoniales. Pour autant, le gouvernement s’est déclaré défavorable à l’adoption de tout nouvel impôt qui n’exclurait pas de son assiette les biens professionnels.
Plus précisément, Madame la Ministre a annoncé lancer une réflexion nouvelle qui pourrait déboucher sur une autre proposition de réforme en mai prochain. Son objet serait également d’instaurer un impôt différentiel sur le patrimoine, mais hors patrimoine professionnel. Cet impôt viserait à garantir que tous les foyers fiscaux acquittent une imposition globale représentant au moins 0,5% de la valeur de leur patrimoine dès lors que celui-ci dépasserait un certain seuil (de 2 ou 3 millions selon les dernières informations). Les contours exacts de ce projet sont à préciser. Toutefois, dès lors qu’il consisterait bel et bien à inclure dans une assiette large l’ensemble du patrimoine immobilier, mais aussi du patrimoine financier passif des foyers fiscaux, puis de comparer la somme des impôts et prélèvements sociaux sur le revenu déjà acquittés par le foyer fiscal à une proportion de 0,5% dudit patrimoine, un principe d’imposition minimale du capital, entièrement nouveau, serait établi.
L’IMF (Impôt Minimal sur la Fortune) serait né !
Le dispositif est présenté comme visant à lutter contre la « suroptimisation » des holdings patrimoniales sans que l’on sache tellement quelles sont les situations abusives qui sont ciblées exactement.
En matière de lutte contre des abus touchant au mécanisme de plafonnement de l’IFI, il existe déjà une disposition à l’alinéa 2 de l’article 979 du Code Général Impôts pour éviter l’interposition de sociétés écran et selon laquelle :
« Les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu au premier alinéa du présent I si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt… ».
Dans une même veine, la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-99 QPC du 11 février 2011 avait validé que le législateur pouvait « plafonner le plafonnement » de l’ISF et ainsi « faire obstacle à ce que ces contribuables n’aménagent leur situation en privilégiant la détention de biens qui ne procurent aucun revenu imposable ». Le « plafonnement du plafonnement » n’a pas été reconduit en 2018 s’agissant de l’IFI. Pour autant, les foyers fiscaux bénéficiant du mécanisme de plafonnement de l’IFI ne doivent pas être si nombreux qu’il soit difficile de contrôler qu’ils n’ont pas artificiellement abusé de cette mesure de sauvegarde.
Mais la « suroptimisation » qui semble contrarier Madame la Ministre est peut-être d’une autre nature. Il est possible qu’elle cible en réalité toutes les techniques qui tendent à éviter ou à différer l’encaissement de revenus imposables. En instaurant un impôt minimal à 0,5% du patrimoine sans plafonnement, la mesure inciterait en effet à percevoir au moins le niveau de revenu correspondant, sauf à payer l’impôt grâce au capital.
En définitive, la philosophie du projet gouvernemental qui vient d’être annoncé est la même que celle des écologistes : faire en sorte que les détenteurs de patrimoine payent coûte que coûte un impôt au moins équivalent à une fraction de celui-ci (0,5% pour le gouvernement, 2% pour les écologistes) et que la thésaurisation de ses revenus dans des structures défiscalisées pour échapper l’impôt ne présente plus d’intérêt fiscal.
Le taux de 0,5% du projet gouvernemental n’a pas été choisi par hasard. En effet, dans une décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, le Conseil Constitutionnel a jugé qu’une imposition sur la fortune sans mesure de plafonnement en fonction du revenu réalisé, ou dont le contribuable a disposé, ne pouvait être conforme à la Constitution que si le taux était faible (en l’occurrence 0,5%).
La différence majeure contenue dans le projet gouvernemental, hormis un taux quatre fois moindre permettant d’éviter un risque d’inconstitutionnalité, porte sur l’exclusion des biens professionnels. Ce faisant, le projet gouvernemental exclut de son champ toutes les structures de contrôle de groupes opérationnels. Pour peu que la définition des biens professionnels soit la même que sous l’ISF en vigueur jusqu’en 2017, les dirigeants (PDG, DG, etc.) seraient épargnés à raison du patrimoine investi dans l’exploitation de leur entreprise. Les dirigeants de grands groupes, comme d’ETI ou de PME, ainsi que les startupers pourraient continuer à cultiver leur patrimoine économique à l’abri du nouvel impôt. En revanche, tous les héritiers ou autre détenteurs passifs de patrimoines qui n’entreraient pas dans l’exclusion des biens professionnels, devraient s’assurer avoir déjà payé au moins un impôt équivalent en IR, PFU et IFI pour pouvoir échapper à la taxe de 0,5%.
À la différence de la « taxe Zucman » proposée par les écologistes et qui ne ciblait que 1 800 foyers fiscaux, le projet gouvernemental engloberait un nombre de redevables se rapprochant plutôt des 385 000 foyers passibles de l’ISF d’avant 2018. Sauf, que nombre d’entre-deux : les actifs percevant de hauts revenus imposables par exemple, ou bien celles et eux percevant des revenus passifs significatifs taxés au PFU de 30%, pourraient, en proportion de leur patrimoine inclus dans l’assiette à 0,5%, échapper à toute imposition complémentaire. Devraient en définitive entrer dans le champ effectif de cet impôt, tous les foyers fiscaux dont le patrimoine est plus de deux cent fois supérieur au total des impôts qu’ils acquittent au titre de l’IR (+CEHR), du PFU et de l’IFI. Plus le patrimoine est élevé en proportion du revenu et du patrimoine immobilier déjà imposé, plus la probabilité d’être touché par cet impôt grandit.
Là aussi, ce sont des fourmis réputées puiser insuffisamment dans les revenus de leur patrimoine qui seraient principalement taxées. Toutefois, ce ne sont plus les mêmes fourmis que celles visées par la « taxe Zucman ».
Là où les écologistes veulent taxer les « hyper-capitalistes » qui font fructifier leur capital économique à l’abri de l’impôt sur le revenu, le projet gouvernemental vise à instaurer un IMF (Impôt Minimal sur la Fortune) qui contrecarre l’épargne jugée excessive des foyers fiscaux détenteurs de patrimoines passifs.
La justice fiscale exige-t-elle que les « petits et moyens riches » soient tenus, plutôt que les « ultra-riches », de dégager une « rentabilité fiscale » minimale à raison de la « capacité contributive que leur confère la détention d’un ensemble de biens et de droits », pour reprendre les termes consacrés du Conseil Constitutionnel depuis sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981 ?
Telle est un peu la question fiscale qui se pose dorénavant.
Bref, la chasse à certaines fourmis est ouverte !
Discussions en cours :
Merci pour votre lucidité.....
Bonjour article très intéressant.
Est ce que les prélèvements sociaux (csg crds) sur les intérêts de placement (exemple sur l assurance vie) pourront être déduit ?
La question de savoir si les prélèvements sociaux seront pris en compte dans les impositions déjà acquittées pour mesurer si l’imposition minimale à 0,5% est satisfaite méritera d’être suivie de près lorsque le projet sera portée devant le parlement.