Requête en réhabilitation présentée pour Jacques Fesch : le bourreau guillotine toujours deux fois !

Par Eric Fourel, Avocat.

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Explorer : # peine de mort # réhabilitation # justice # amendement

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Le 15 octobre 2024, la Cour de cassation a rejeté la demande de réhabilitation de Jacques Fesch (demande formulée par son fils Gérard Fesch), exécuté en 1957 pour meurtre. Malgré sa transformation spirituelle en prison, la Cour a jugé insuffisants ses gages d’amendement, soulignant une sévérité qui renforce la compassion envers son parcours tragique.
Description rédigée par l'IA du Village

La chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment précisé les conditions pour la réhabilitation des condamnés à mort.
Pas de quoi raviver le fantôme de la peine de mort mais tout de même lourd de sens sur notre volonté à faire preuve d’humanité envers ceux tombés sous la lame de notre rasoir national.
Épilogue douloureux, mardi 15 octobre 2024, lorsque la chambre Criminelle de la Cour de cassation, réunie dans sa formation la plus solennelle, a rejeté la requête en réhabilitation présentée pour Jacques Fesch, mort sur l’échafaud en 1957.

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Jacques Fesch, jeune écervelé, flambeur et séducteur, braque à l’âge de 23 ans en plein Paris un agent de change afin de se procurer les moyens d’assouvir son rêve d’un tour du monde à la voile. Au cours de sa fuite, il tue d’une balle de revolver un policier et blesse plusieurs passants. Dans l’attente de son procès devant la Cour d’assise de la Seine, puis de son exécution, il passera trois années et demie à la prison de la Santé au cours desquelles il fait preuve d’un comportement exemplaire. Expiant ses fautes au travers d’un cheminement spirituel profond, il produira une œuvre épistolaire d’une grande inspiration pour qui est aspiré par l’abîme du mal. A tel point que le Cardinal Lustiger demandera qu’on instruise son procès en béatification.

Cette histoire singulière de Jacques Fesch se double plus récemment d’une véritable épopée juridique.

La révision de son procès s’avérant impossible puisqu’aucun élément nouveau ne viendrait questionner sa culpabilité, laquelle n’a d’ailleurs jamais été contestée ; c’est par la voie de la réhabilitation que son fils, Gérard Fesch, a tenté de le relever de l’infamie de sa condamnation à mort. Toutefois, sa démarche s’est heurtée à l’obstacle du délai d’épreuve de cinq années que l’article 786 du Code de Procédure Pénale exige, à compter de la fin de l’exécution de la peine, pour toute réhabilitation en matière criminelle. Cette condition est évidemment impossible à satisfaire lorsqu’une peine de mort a été exécutée, fermant par là même la porte d’une réhabilitation possible aux personnes guillotinées. Saisi par l’avocat Eric Dupond-Moretti d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé que la différence de traitement entre « criminels vifs » et « criminels exécutés » en matière de réhabilitation était conforme au principe d’égalité puisqu’ils étaient objectivement dans une situation différente (!) et que, le régime de la réhabilitation étant destiné à favoriser une réintégration au sein de la communauté humaine d’un criminel au comportement exemplaire, l’exclusion des condamnés à mort exécutés était bien conforme à l’objet de l’article 786 du Code de Procédure Pénale puisque d’aucune utilité pour les vivants [1]. Réformateur malgré tout, le Conseil constitutionnel a glissé incidemment dans sa décision qu’il serait loisible au législateur d’introduire également une possibilité de réhabilitation pour les condamnés à mort ; d’autant que l’abolition de la peine de mort a été érigée en 2007 au statut de disposition d’ordre constitutionnel.

Aussitôt dit, aussitôt fait : un amendement gouvernemental au projet de loi relatif au parquet européen [2], présenté et défendu devant le parlement en novembre 2020, de nouveau par Eric Dupond-Moretti devenu entre-temps opportunément ministre de la Justice, a modifié l’article 2 de la loi n°81-908 du 9 octobre 1981 relative à l’abolition de la peine de mort. Dès lors, il est permis aux ayants droits d’un condamné exécuté de saisir la chambre Criminelle d’une demande « tendant au rétablissement de l’honneur de cette personne à raison des gages d’amendement qu’elle a pu fournir ».
La disposition législative nouvelle conditionne la réhabilitation à la fourniture de gages d’amendement, sans les définir plus avant, et sans que les travaux parlementaires nous éclairent véritablement sur l’intention du législateur quant à la manière dont on doit jauger de la volonté de s’amender chez une personne qui n’a d’autre horizon de vie que d’avoir la tête tranchée. Le caractère « hors sol » d’une telle exigence n’a d’ailleurs pas échappé à son auteur puisque on peut lire aux débats en commission devant l’Assemblée nationale cette assertion d’Éric Dupond-Moretti : « Il faut que la personne ait fourni des gages d’amendement avant son exécution. C’est d’ailleurs ce qui rend le dossier Fesch exceptionnel : rares sont les hommes qui, du fond de leur cellule, ont écrit une œuvre majeure ». On ne saurait être plus clair. Ce texte de loi a été proposé et adopté spécialement en vue de la réhabilitation de Jacques Fesch dont les gages d’amendement sont à puiser, selon l’initiateur de la loi, principalement dans son œuvre philosophique appelant à « la grâce du pardon et au perfectionnement de l’intime » selon la consistance que Charles Péguy nous donnait dans ses poèmes du terme « amendement ».

La requête déposée devant la chambre criminelle s’est donc résolument et sereinement appuyée sur l’ensemble des écrits attestant de la mutation de la personnalité et du comportement de Jacques Fesch entre le moment de son interpellation le 25 février 1954, jour de son crime, et le 1ᵉʳ octobre 1957, jour de son exécution au petit matin à la Santé.

C’était toutefois sans compter sur le contrôle particulièrement strict qu’allait exercer la chambre criminelle de la Cour de cassation sur la condition de « gages d’amendement », y compris pour ce cas d’espèce qui était à la source même de l’évolution législative.

En l’absence de définition légale, la chambre criminelle estime qu’il lui revient de déterminer de manière autonome la nature des gages à examiner et les modalités de leur appréciation. Son arrêt du 15 octobre 2024 s’y emploie avec la détermination absolument féroce de rendre la démonstration de gages d’amendement particulièrement compliquée. La lecture des motifs de sa décision en est presque glaçante par sa dureté. Si elle admet dans un premier temps que le comportement en détention de Jacques Fesch a été absolument exemplaire, elle n’hésite pas ensuite à considérer que ses actes de repentir demeurent ambigus du fait qu’il s’est aussi décrit comme victime d’un destin immanent qu’il n’a pas su maîtriser. La Cour lui reproche en quelque sorte de ne pas avoir été capable, du haut de ses 23 ans, d’assumer proprement son entière responsabilité de criminel. Ensuite, alors même que la Cour regrette le dépérissement des éléments matériels d’appréciation du fait du temps écoulé, elle estime que sont manquants au cas d’espèce certains éléments probatoires attestant chez Jacques Fesch d’une volonté d’indemnisation des victimes. Peu importe qu’il puisse sembler peu réaliste d’exiger qu’une telle volonté de compensation pécuniaire soit exprimée plus ouvertement chez un garçon sans ressources personnelles et, par ailleurs, entravé à raison même de son emprisonnement dans l’attente de la mort. Allant crescendo dans sa contestation de l’existence de gages d’amendement suffisants, la Cour considère que l’engagement religieux de Jacques Fesch n’en est pas en lui-même un élément constitutif et que l’impact positif de son œuvre spirituelle, notamment auprès d’autres détenus, ne saurait lui profiter rétrospectivement puisque, étant mort, il ne l’a pas personnellement recherché. Certes ! A défaut d’avoir pu vivre plus longtemps, Jacques Fesch n’a effectivement pas assuré lui-même la promotion prosélytique de ses œuvres rédemptrices.

In fine, la lecture de cet arrêt dégage presque un relent de revanche contre un pouvoir exécutif piégé à devoir soumettre l’application de son texte à l’imprimatur juridictionnel. Paradoxalement, la sévérité de l’appréciation de la Cour ne manque pas d’accentuer le sentiment de compassion que l’on peut ressentir à l’évocation de cette vieille affaire. Décapité à 27 ans, en un temps où la justice des hommes se repaissait encore avidement du sang de ses enfants perdus, Jacques Fesch ne méritait pas qu’en 2024 on le maltraite une seconde fois en jetant un discrédit péremptoire sur sa mémoire de repenti. Surtout que les circonstances de son procès et de sa condamnation, auxquelles la chambre criminelle fait une allusion pour mieux les écarter au titre des éléments à prendre en considération sur le plan de sa réhabilitation, conduisent à douter largement que Jacques Fesch ait bénéficié en 1957 d’un procès équitable. Au-delà même de la marge d’appréciation totale dont jouissait la chambre criminelle en droit, un certain sens de l’humanité aurait pu la conduire à prendre une autre décision.

Par deux fois, la vie et l’honneur de Jacques Fesch auront été sacrifiés par ses Juges au nom du peuple français. Par deux fois, Jacques Fesch en sortira grandi pour la multitude de ses frères pauvres pécheurs.

Eric Fourel, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1Décision Cons. const., 28 février 2020, n°2019-827.

[2Loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020.

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