La vente de fonds de commerce n’existe pas.

Par Aymeric Trivero, Avocat.

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Explorer : # vente de fonds de commerce # transfert de contrats # liberté contractuelle # éléments essentiels

Titre iconoclaste pour une opération pratiquée quotidiennement. Pourtant, si l’on s’y attarde, on ne peut que constater que la « vente de fonds de commerce » envisagée comme une opération relevant d’un régime général n’a pas d’existence réelle.

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L’arrêt de la Chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation n°20-16-169 en date du 19 octobre 2022 est l’occasion d’aborder la question du régime juridique de l’opération de vente de fonds de commerce et de son existence en tant que telle.

L’arrêt est particulier en ce qu’il ne concerne pas un litige entre le cédant du fonds de commerce et le cessionnaire qui porterait sur la question de la consistance du fonds de commerce, cependant les termes de la Cour de Cassation laisse peu de place à l’interprétation :

« Après avoir relevé que, par l’accord de distribution signé le 10 octobre 2016, la société Les laboratoires de Biarritz avait accordé à la société Bleu vert le droit de distribuer ses produits sur le territoire national métropolitain et ultra-marin pendant cinq ans, l’arrêt retient que lors de la cession d’un fonds de commerce, les contrats ne sont pas automatiquement transférés, à l’exception du droit au bail, des contrats d’assurance, des contrats d’édition et des contrats de travail, qui constituent des exceptions légales, que l’acte de cession du fonds de commerce ne mentionnait pas le contrat de distribution litigieux, qu’après la cession du fonds, des négociations ont eu lieu avec la société Bleu vert en vue de conclure un nouveau contrat de distribution mais que par lettre du 4 octobre 2018, la société Laboratoires de Biarritz international a indiqué à la société Bleu vert qu’elle ne pouvait s’engager à signer un contrat de distribution avec elle ».

En l’état de ces constatations et appréciations, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le contrat de distribution signé le 10 octobre 2016 n’était pas inclus dans la cession du fonds de commerce intervenue au profit de la société Laboratoires de Biarritz international.

Le fonds de commerce est présenté comme une universalité de fait constituée d’éléments corporels (matériel, stock etc.) et d’éléments incorporels (clientèle, bail commercial, marque, nom commercial…). Il n’existe pas de liste exhaustive des éléments composant nécessairement le fonds de commerce.

Dans cet arrêt rendu par la Cour de cassation se posait la question de savoir si l’opération de vente du fonds de commerce emportait nécessairement vente d’un élément essentiel du fonds, en l’occurrence un contrat de distribution conclu entre le producteur et les distributeurs.

Dit autrement, la question était de savoir si la vente du fonds de commerce induit le transfert de plein droit des éléments essentiels de ce fonds de commerce ?

Cette question se dédouble : d’une part l’oubli ou l’absence de mention dans l’acte de cession d’un éléments essentiel « d’ancrage » de la clientèle empêche-t-il le transfert de cet élément et d’autre part la cession du fonds de commerce permet elle de céder les éléments qui le compose sans avoir à respecter les contraintes spécifiques attachés à cet élément [1].

Ce n’est qu’en répondant positivement à ces deux questions que l’on pourrait considérer que l’opération de cession de fonds de commerce existe véritablement en tant qu’opération bénéficiant d’un véritable régime juridique autonome. Car, s’agissant de la première question, si la vente du fonds de commerce est seulement l’expression de la liberté contractuelle (qui permet donc d’inclure ou non un élément essentiel du fonds de commerce) on ne peut pas considérer qu’il existe un régime spécifique à cette opération car il n’existerait que du « sur-mesure ». S’agissant de la deuxième question, si la vente du fonds de commerce nécessite de respecter les contraintes de la vente de chacun des éléments le composant il n’existe pas non plus de « régime générale autonome » de la vente de fonds de commerce car cette opération ne présenterait rien de spécifique par rapport à la vente des éléments isolés du fonds.

Sur la première question, la Cour de Cassation indique que les éléments cédés sont ceux qui figurent expressément dans l’acte. La Cour de Cassation semble ainsi privilégier la liberté contractuelle. Certes il existe quelques exceptions prévues par la loi qui prévoit le transfert de plein droit de certains contrats : la cession des contrats de travail [2] et la cession du contrat d’assurance de biens [3] qui sont nécessairement transmis avec le fonds de commerce.

Ces quelques exceptions démontrent que l’opération de vente de fonds de commerce n’emporte pas, en soit, le transfert automatique des contrats (ou d’autres actifs) et ce, même s’ils sont nécessaires à l’exploitation du fonds de commerce. De ce point du vu il n’existe donc pas de vente de fonds de commerce envisagée comme l’opération qui permet le transfert de plein droit des éléments de rattachement de la clientèle. La Cour de Cassation laisse donc la liberté aux parties de définir ce qui constitue ou nom un élément du fonds de commerce. Cette position, si elle a le mérite de la simplicité, démontre de ce point de vue l’absence de régime autonome de l’opération et pose difficulté en pratique car il existe objectivement des éléments essentiels du fonds de commerce dont l’absence entrave le transfert de la clientèle. Certes cette vision des choses évite une analyse in concerto mais cette économie interdit donc de corriger un oubli qui peut rendre l’opération inutile.

Sur la seconde question, la Cour de Cassation précise que sauf dispositions spécifiques la vente du fonds de commerce impose le respect des conditions de cessions propres à chaque élément. En l’occurrence la cession du contrat de distribution suppose le respect des conditions prévues à l’article 1216 et suivant du Code civil ; régime contraignant de la cession de contrat qui impose un « double accord » du cédé. Là encore, quelques exceptions légales (la cession du bail commercial dont la loi déclare illégales les clauses interdisant sa cession lorsqu’il est cédé avec le fonds [4] et le contrat d’édition qui peut être cédé sans l’accord de l’auteur en cas de vente du fonds de commerce L132-16 CPI).

Ces exceptions en ce qu’elles sont exceptions démontrent qu’il n’existe pas de régime juridique spécifique qui affranchirait le rédacteur d’acte de respecter les conditions imposées par la loi (ou par un contrat) pour transférer la propriété d’un actif. Dans ce domaine la pratique est trompeuse puisque de nombreuses vente de fonds de commerce portent sur des commerces traditionnels dont l’élément principal est le bail commercial, dès lors dans la grande globalité des opérations la question ne se pose pas.

Pour autant dès qu’il s’agit d’une vente dont le bail n’est pas l’élément essentiel la question se pose : cession de contrat de gestion d’immeuble, cession de contrat avec des clients (lettre de mission des Experts Comptables par exemple), cession de contrats de gestion de bateaux, cession de contrats de crédit-bail etc. On peut donc conclure de ces observations qu’il n’existe pas de régime juridique général organisant la cession du fonds de commerce car si telle était le cas cette opération pourrait permettre le transfert de l’ensemble des éléments composant le fonds sans avoir à respecter les contraintes spécifiques à chacun des éléments.

Outre l’aspect théorique des choses, se posent des questions pratiques puisque lorsque le fonds de commerce est constitué de nombreux contrats (type mandat de gestion de biens immobiliers ou de bateaux, emplacement de terrain de camping, contrat de leasing…) l’opération de vente du fonds de commerce peut s’avérer quasi-impossible compte tenu du refus ou même de l’inertie du cocontractant.

Aussi, il est fortement conseillé, dans la mesure du possible, d’insérer dans les contrats important une clause accordant le double consentement du cédé [5] pour anticiper la cession future.

On peut envisager que le problème sera prochainement réglé dans la pratique pour les personnes physiques compte tenu de la création de l’entreprise individuelle dont le régime semble permettre de transférer une activité économique en une seule opération sans supporter les contraintes spécifiques de chaque contrat [6], en revanche le problème reste entier en cas de vente d’un fonds de commerce par une société.

Aymeric Trivero
Avocat inscrit au Barreau de Draguignan
Droit de l’Entreprise et du Patrimoine
www.juricia-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Ici le respect de l’article 1216 du Code civil relatif à la cession des contrats.

[21224-1 du Code du travail.

[3L 121-10 du Code des assurances.

[4L145-16 du Code de commerce.

[51216 et 1216-1 du Code civil.

[6L526-27 du Code de commerce.

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Discussions en cours :

  • par Xsb , Le 14 février 2024 à 09:33

    Le rgpd exigeant l accord de la personne dont les données personnelles sont detenues, peut on envore considérer qu il est possible de transferer la liste des clients d un fonds ? Peut il encore avoir vente de FDC ?

  • Dernière réponse : 5 septembre 2023 à 13:17
    par Michel FRANCO , Le 4 septembre 2023 à 19:29

    Merci pour cet article. Il paraît vraiment utile de tirer la conclusion selon laquelle un fonds de commerce est finalement une universalité qui n’existe pas. La Cour de cassation le dit de la manière la plus claire et l’article met cette jurisprudence en relief de manière très pertinente.

    • par TRIVERO , Le 5 septembre 2023 à 13:17

      Il est regrettable que la réforme du droit des contrats n ait pas été l occasion de corriger cette situation en prévoyant une exception au formalisme de la cession de contrats en cas de vente d un fonds de commerce…

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