La résidence alternée est-elle bonne pour le tout petit enfant ?

Par Francine Summa, Avocate.

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Explorer : # résidence alternée # coparentalité # bien-être de l'enfant # médiation familiale

La coparentalité et la résidence alternée sont les axes majeurs des mesures prises pour les enfants quand le couple se sépare. Le partage du temps parental est considéré comme un bienfait pour l’enfant, pour son équilibre entre le père et la mère.

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En France, la résidence alternée, introduite dans la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’exercice de l’autorité parentale, a fait l’objet de réserves qui sont désormais plutôt résorbées : le partage égalitaire du temps parental est revendiqué (1). En est-il de même pour le tout petit enfant (0-2 ans) ?

Des études au Québec ont été faites auprès de parents séparés ayant un petit enfant, dont l’analyse a fait l’objet d’une conférence de Madame Amandine Baude, psychologue et Maître de Conférence en psychologie du développement à l’Université de Bordeaux, chercheuse collaboratrice internationale au Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles (CRUjeF) le 6 novembre 2023 à l’AIFI- (Association Internationale Francophone des Intervenants), auprès des familles séparées. Si les profils ont été variés, il ressort qu’en moyenne, la garde partagée est estimée avoir un effet positif pour le bien-être de l’enfant (2).

En France, la tendance générale est de confier la garde du tout petit à la mère compte tenu des soins à donner aux petits (allaitement, changes…). Mais, une fois le stade du nourrisson atteint, les pères revendiquent un temps parental élargi ou égalitaire dans une configuration de coparentalité pleinement vécue. En cas de désaccord avec la mère, le litige est porté devant le Juge aux affaires familiales. La médiation peut trouver des solutions adaptées à la situation, évolutives dans le temps, dans l’intérêt de l’enfant et de la relation parentale (3).

1- Les principes de la résidence alternée et de la coparentalité en France.

La coparentalité est l’expression actualisée de l’autorité parentale conjointe qui est pratiquement de droit sauf cas extrêmes ressortissant de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle est rappelée à l’article 372 du Code Civil

« Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale ».

L’autorité parentale étant [1]

« un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
« Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

En 2002, le concept de « résidence alternée » a été introduit dans la loi n°2002- 305 du 4 mars 2002, relative à l’exercice de l’autorité parentale aux lieux et place de la notion traditionnelle de « garde » de l’enfant attribuée à titre principale à la mère le plus souvent contre un droit de visite et d’hébergement du père (DVH) restreint à un week-end sur deux en période scolaire et à la moitié des vacances.

Concept original, pour répondre aux plaintes des pères d’avoir un second rôle dans leur paternité, limité aux sorties loisirs, à l’écart d’une vraie vie de famille dans le quotidien vécu avec leurs enfants. Et aussi pour répondre aux doléances des mères corvéables à merci, noyées dans les tâches ménagères, l’éducation scolaire des enfants, les démarches de toutes sortes, des soins médicaux aux séances chez le coiffeur…etc). Le souhait de chaque parent de prendre sa part et de partager avec les enfants un temps parental, vivant, agité parfois, mais combien fort et comblé.

De cette coparentalité, le partage égalitaire du temps a été un dogme.

Il y eut des critiques, valables sur la faisabilité de ce mode de résidence, réservée à une classe sociale supérieure pouvant se permettre de vivre dans un périmètre raisonnable afin d’éviter des déplacements chronophages et fatigants pour l’enfant.

Malgré toutes ces critiques, le principe a été accepté et intégré par les parents dans le cadre de leur séparation. Ils examinent les solutions pour se répartir équitablement le temps parental.

2- Les études au Québec sur la garde partagée des tout petits (0-2 ans).

L’attention sur le petit enfant est récente. C’est un problème spécifique, le petit enfant est fragile, peu d’études ont été faites sur lui dans ces situations.

Mais, les séparations de couples au bout de deux ans de vie commune avec un enfant sont de plus en plus nombreuses.

Le principe de la coparentalité nécessite de trouver un temps parental équitablement réparti qui soit bon pour le petit enfant.

Aucune étude dédiée au jeune âge n’a encore été faite, mais Madame Baude a trié sur un échantillonnage de 1 202 participants, ceux ayant des enfants en bas âge : il en est résulté des situations variées dont il ressort que 62% étaient favorables à la garde partagée, pas forcément à 50/50, mais plutôt à 60/40, l’asymétrie allant soit du côté maternel, soit du côté paternel mais plus souvent du côté de la mère.

Il faut néanmoins relativiser, la garde partagée prise isolément ne suffit pas : il faut remplir plusieurs conditions pour qu’elle soit bénéfique pour l’enfant, qu’il ait une vie équilibrée :

  • une relation interparentale bonne, des parents qui échangent bien
  • une souplesse d’adaptation des mesures calendaires : en cas de problème (maladie d’un parent, de l’enfant, de changements scolaires)
  • une proximité des domiciles des parents, une moyenne de 20 km de distance.

L’essentiel est donc dans l’harmonisation de la relation intra-parentale ; sinon, le conflit parental va créer des tensions, une anxiété ressentie par l’enfant ou un blocage de sa part. Le bien-être de l’enfant étant le but et non la revendication des parents.

La garde partagée est donc le mode le plus pratiqué dans des combinaisons variées :

  • 50/50
  • 5-2-2-5
  • 2-2-3.

Elle n’est plus « la pire des solutions » [2].

Mais, comme la plupart des pays l’imposent, il convient donc de l’appréhender sérieusement par des études ciblées pour optimiser les mesures de garde partagée pour le bien-être de l’enfant et des parents.

3- En France, la résidence alternée est le principe.

Le très jeune âge est à part : la fragilité du nourrisson, les soins à y apporter font que la mère est naturellement celle qui a la résidence principale et qu’un droit de visite est octroyé au père, s’il est là.

Rappelons que la majorité des mères célibataires dites familles monoparentales : 500 000 dénombrées comme bénéficiaires d’une prime de Noël supplémentaire cette année et que la CAF se substitue aux pères défaillants.

Il y a aussi - je l’ai eu en médiation plusieurs fois - des situations de « pères piégés  » qui ont quitté leur compagne enceinte.

Dans de telles situations, l’absence de sentiment paternel élude le problème d’une mesure de garde.

Mais il y a aussi, même quand l’enfant a été désiré, des couples qui se séparent quelques mois après la naissance de l’enfant. Avec un père qui demande une résidence alternée quand l’enfant a dépassé le stade de l’allaitement.

Il ne faut pas escompter que la mère accepte avec enthousiasme une telle demande compte tenu de l’acrimonie développée à l’encontre du père, ce qui se comprend.

Après des tentatives infructueuses du père, une médiation tentée par le père probablement trop prématurée, le Juge aux affaires familiales est saisi. Une médiation judiciaire est ordonnée. L’accord est rarement total mais c’est un avancement. Le juge rend une décision qui ne sera pas une vraie alternance mais un élargissement du droit de visite et d’hébergement, pouvant aller d’une journée à des nuitées chez le père. Tout dépend des conditions d’hébergement, de la distance, des possibilités de chacun et de la bonne entente des parents. C’est toute la difficulté : la relation parentale. Dans ces situations fragiles et mauvaises pour le tout petit, les parents s’invectivent au téléphone, devant l’enfant qui ne peut pas parler à son père, le conflit s’envenime.

La voie judiciaire reste la seule pour trouver une solution équilibrée et retrouver une relation apaisée entre les parents. Avec les avocats, une médiation post-sentencielle, le petit pourra grandir avec ses deux parents et trouver un équilibre. Tout cela évoluant très vite tant le développement des petits enfants est d’une rapidité extrême. A un an, ils ont une intelligence de 2 à 3 ans, ils marchent, ils font tout plus vite que nous ne le faisions.

Conclusion : Les parents sont plutôt favorables à une résidence alternée.

La résidence alternée va de pair avec la coparentalité. Les parents sont extrêmement susceptibles sur ce point et les enfants aussi ressentent comme une injustice de défavoriser l’un des parents.

L’égalité même approximative du temps parental est un facteur d’équilibre. A titre d’exemple récent, des parents divorcés par consentement mutuel sont revenus devant le juge parce que la mère avait demandé une modification de la résidence alternée en raison de son déménagement en banlieue, ce que le père avait refusé, créant une mauvaise relation entre eux, perturbatrice pour l’enfant. Ils sont revenus en médiation.

Francine Summa, Avocate au barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Art. 371-1. du Code Civil.

[2Le livre noir de la garde partagée - publié en 2006- mais suivi du “Livre blanc de la garde Partagée“ publié en 2014.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 27 décembre 2023 à 17:51
    par papa poule , Le 27 décembre 2023 à 17:35

    J’espère vivement que cette loi fera boule de neige dans les locaux de la CAF, car le non partage des prestations sociales sont un vrai manque d’égalité entre parent et peu créer de vrai déséquilibre financier quand il s’agit d’un enfant garder en nourrice.
    Merci pour cet article, il y a vraiment du travail à faire sur ce sujet

    • par Summa , Le 27 décembre 2023 à 17:51

      Oui, il y a du travail.
      Cette étude montre l’importance attachée au partage du temps parental essentiellement réalisé par une résidence des enfants
      Équitablement partagée entre les parents, ce qui est aussi désiré en général par les enfants quand les situations le permettent. Et qui suppose un partage des prestations sociales. Si les parents s’entendent, ils peuvent se les répartir mais ce n’est pas toujours aussi simple. Un vœu de plus pour 2024.

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