Syndrome d’aliénation parentale : réponse ministérielle du 12 décembre 2024.

Par Barbara Régent, Avocate.

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Explorer : # syndrome d'aliénation parentale # controverse scientifique # violence conjugale # justice familiale

La réponse ministérielle du 12 décembre 2024 [1] vient confirmer la jurisprudence qui rejette la notion de syndrome d’aliénation parentale (SAP) dans la droite ligne de la résolution du Parlement européen du 6 octobre 2021.

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Dans les situations de séparations hautement conflictuelles, le « syndrome d’aliénation parentale » est ponctuellement invoqué devant les juridictions familiales par les parties au sujet de la fixation des modalités de l’autorité parentale. Ces termes sont sujets à une grande controverse, notamment au regard de l’individu qui l’a théorisé, le pédopsychiatre américain Richard Gardner. Il est intéressant de se pencher sur la position des juges étayée par une récente réponse ministérielle du 12 décembre 2024.

I) Définition et controverse.

Théorisé dans les années 1970, et non reconnu par la communauté scientifique, le « syndrome d’aliénation parentale » (ou SAP) est une construction très controversée, tant dans sa forme que sur le fond, par laquelle ledit parent aliénant amènerait son enfant à partager des idées fausses sur l’autre parent.

Dans sa résolution du 6 octobre 2021 sur les conséquences des violences conjugales et des droits de garde sur les enfants, le Parlement européen a exhorté les États de l’Union européenne « à ne pas reconnaître le SAP dans leur pratique judiciaire et leur droit », avec l’argumentation suivante : « deux des institutions les plus prestigieuses en matière de santé mentale, à savoir l’Organisation mondiale de la Santé et l’association américaine de psychologie, rejettent le recours à la notion de syndrome d’aliénation parentale et à d’autres notions et expressions du même ordre, car elles peuvent être employées au détriment des victimes de violence pour remettre en cause leurs aptitudes parentales, écarter leurs propos et faire abstraction de la violence à laquelle les enfants sont exposés ; (...) les services et acteurs étatiques, y compris par ceux qui décident de la garde des enfants, doivent considérer les accusations d’aliénation parentale portées par des pères abusifs à l’encontre des mères comme la continuation du pouvoir et du contrôle de ces derniers ».

II) La réponse ministérielle du 12 décembre 2024 vient conforter la position des juges aux affaires familiales qui écarte le syndrome d’aliénation parentale.

Dans une réponse ministérielle publiée le 12 décembre 2024, le ministère de la justice rappelle que ce « syndrome » ne fait pas l’objet d’un consensus médical. Ainsi, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne l’a pas retenu dans la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes. Le ministère rappelle également qu’il a, par voie de circulaire en date de mars 2018, alerté les magistrats, et plus particulièrement les juges aux affaires familiales, sur le caractère particulièrement controversé du concept du « syndrome d’aliénation parentale », et rappelé la possibilité de recourir à divers dispositifs pour garantir la protection et l’intérêt de l’enfant. Ainsi, lorsqu’un parent l’invoque, les juges peuvent notamment ordonner une expertise ou entendre l’enfant, s’il est capable de discernement, pour mieux comprendre l’intensité du conflit parental exposé. Les magistrats écartent dans tous les cas la notion du « syndrome aliénation parentale » au profit de celle de « conflit de loyauté », de « conflit parental » ou « d’emprise ».

Plusieurs arrêts de cour d’appel méritent ici d’être cités, par ordre chronologique :

« Il convient de considérer que le "syndrome d’aliénation parentale", aussi controversé que la personnalité de son inventeur (le psychiatre américain Gardner), est dépourvu de valeur scientifique » [2].

« Attendu que la cour n’a pas à entrer dans une controverse sur l’existence ou la pertinence d’un "syndrome d’aliénation parentale", mais simplement à déterminer dans les éléments fournis par les parties ou par l’expert commis, les motifs de sa décision » [3].

« Il doit être souligné que le concept d’aliénation parentale est controversé et non reconnu par la communauté scientifique dans les référentiels de la psychiatrie » [4].

« Il doit être souligné que le syndrome d’aliénation parentale est un concept controversé et non reconnu par la communauté scientifique dans les référentiels de la psychiatrie et qu’il est inopérant pour appréhender les violences conjugales et plus largement l’ensemble des maltraitances subies par les enfants, contexte excluant toute médiation familiale » [5].

En revanche, le concept d’« emprise » est, lui, pris en compte par la jurisprudence, comme l’illustre cet arrêt : « En effet les services éducatifs et l’expert psychiatre ont fait le constat que (…) l’enfant est sous l’emprise parentale paternelle. Il connaît une évolution infanto-juvénile dysharmonique qui se traduit par de l’abandonnisme, de l’instabilité et de l’impulsivité. Le médecin psychiatre conclut que les liens avec sa mère doivent au minimum être renforcés, s’interrogeant sur l’opportunité de transférer à terme, sans brusquer, la résidence de l’enfant au domicile de celle-ci » [6].

III) Conclusion.

On peut souligner que la coordination parentale, qui se développe en France, y compris dans les situations de violence où la médiation ne peut être mise en place, devrait permettre un meilleur accompagnement des familles. Les pôles VIF (violences intrafamiliales), sont présents au sein de chaque tribunal depuis le 1ᵉʳ janvier 2024.

Toutefois, nous devons aller plus loin encore et refondre le système de justice familiale qui n’est plus adapté à la société du 21ᵉ siècle. Les délais d’audiencement abyssaux partout en France plongent les familles dans le désarroi et amplifient les tensions. Les enfants, comme les adultes, demeurent des mois durant dans l’incertitude de ce qui va se passer. Il s’agit d’une forme de violence institutionnelle à laquelle il est plus que temps de mettre fin.

Les juges doivent pouvoir avoir du temps pour se consacrer aux dossiers les plus compliqués et être déchargés, grâce au travail d’avocats formés à l’amiable, des dossiers dans lesquels une pacification est possible.

Il est indispensable qu’un seul tribunal regroupe la famille, l’enfance et les violences familiales autour de textes repensés et simplifiés pour que les citoyens n’aient pas à passer d’un juge à l’autre, d’une procédure à l’autre.

La famille demeure le cœur de la société.

Barbara Régent,
Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice des associations Les Avocats de la Paix et Humanethic
https://www.regentavocat.fr/

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Notes de l'article:

[2CA Caen, 13 mars 2008, n° 07/02422.

[3CA Lyon, 21 sept. 2009, n° 09/00171.

[4CA Versailles, 27 juin 2019, n° 19/01629.

[5CA Versailles, 23 juill. 2020, n° 20/00917.

[6CA Bordeaux, 3e ch. famille, 6 oct. 2022, n° 20/00452.

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Discussion en cours :

  • par Lucas SAINT-UPEYRIE , Le 27 janvier à 11:08

    Bonjour ami/es fidèles du Village,

    Quel lien selon vous entre ces deux variables ?

    Merci infiniment pour votre éclairage.

    Bien à vous tout/es

    Lucas St-Upeyrie

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