I - Le cas d’espèce peut être résumé comme suit :
Deux sociétés concluent un contrat commercial, par lequel l’une (ci-après dénommée « fournisseur ») doit réaliser des travaux chez l’autre (ci-après dénommée « client »), sur une durée de plusieurs années.
Ce contrat prévoyait une clause spécifique au terme de laquelle le fournisseur s’est engagé à ne pas transférer, céder, ou sous-traiter à un tiers, tout ou partie de la prestation qui lui était confiée, ou alors avec l’accord préalable et écrit du client. Le client souhaitait éviter justement que le contrat ne soit confié à un tiers ce qui est tout à fait courant en matière de contrats commerciaux.
Quelques années après sa signature, le client reproche à son fournisseur une mauvaise exécution du contrat et décide d’y mettre un terme. Plus précisément, le client reproche au dirigeant de la société fournisseur d’avoir participé au blocage de l’accès à ses usines (l’arrêt ne nous apprend pas beaucoup plus sur les faits reprochés). Il notifie donc la résiliation du contrat à son fournisseur.
Mais à ce stade des événements, une troisième société intervient dans l’affaire…. pour venir contester cette résiliation.
Cette société n°3 explique intervenir aux droits du fournisseur à la suite d’une transmission universelle de patrimoine réalisée à son profit conformément à l’article 1844-5 du Code Civil.
La question posée aux juges est simple : peut-elle valablement contester la résiliation du contrat, et solliciter de surcroit, réparation de son préjudice ?
II - Les juges du fond ont déclaré l’action de la 3ᵉ société recevable, et ont jugé la résiliation fautive. De plus, ils ont condamné le client, auteur de la résiliation du contrat litigieux, à réparer le préjudice de son fournisseur.
Évidemment, celui conteste cette décision notamment sur le terrain de la recevabilité de cette nouvelle société avec laquelle il n’avait rien signé. Il invoque l’absence d’établissement de la TUP entre les sociétés (par référence aux documents publiés à l’INPI).
De surcroit, il avait à son sens, parfaitement restreint le transfert de ses contrats par des clauses spécifiques soumettant ceux-ci à son agrément préalable, ce qui n’a pas été dûment entériné dans ce cas d’espèce.
Il se pourvoit donc logiquement en cassation.
III - La Cour de cassation rejette les arguments du demandeur au pourvoi, considérant d’une part que la TUP était bien établie, elle se déduisait des documents soumis à son étude, ce qui n’est pas plus amplement étudié dans cet article.
D’autre part, elle rappelle, qu’à jurisprudence constante, il appartient aux juges de déterminer, lorsque les stipulations des contrats sont ambiguës, quelle a été la commune intention des parties.
Dès lors, à son sens, il ne résultait pas spécifiquement de la clause litigieuse, un contrat conclu en « considération de la personne » du fournisseur. L’intuitue personae, locution latine permettant d’identifier les contrats conclus en considération de la personne, du type et/ou de la qualité des relations existants entre les cocontractants.
« 7. En second lieu, c’est par une interprétation souveraine de la commune intention des parties, exclusive de dénaturation, que la cour d’appel a retenu qu’il ne résultait pas de l’article 17 du contrat que celui-ci avait été conclu en considération de la personne de la Snc Wilan TP, entreprise de terrassement sans savoir-faire spécifique et dont le dirigeant se trouvait être le même que celui de la Sarl Wilan, de sorte que le contrat conclu avec la Snc Wilan TP avait été transféré à la Sarl Wilan par l’effet de la transmission universelle de son patrimoine à cette dernière, rendant son action recevable ».
La clause n’est pas suffisamment explicite sur le caractère intuitue personae du contrat, puisqu’il ne résultait pas qu’il avait été conclu en considération de la personne du fournisseur, lequel est une « entreprise de terrassement sans savoir-faire spécifique ».
De surcroit, les deux sociétés sont représentées par le même dirigeant.
Pour ces raisons, le contrat a été considéré par les juges du fond comme ayant été valablement transféré à l’associée unique.
L’action est jugée recevable.
La Haute Cour déboute donc la demanderesse au pourvoi, en considérant que les juges du fond avaient souverainement apprécié, comme il leur appartenait, la commune intention des parties.
Le Code Civil (Art 1188) prévoit en effet que les contrats s’interprètent d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant sur le sens littéral de ses termes. Les juges ont en effet l’obligation de rechercher cette commune intention [1].
Ainsi, le simple fait qu’un contrat commercial prévoit l’agrément du client en cas de transfert de contrat, ne suffit pas à en faire un contrat conclu intuitue personae, c’est-à-dire en considération de la personne du cocontractant, et donc exclure la transmission universelle du patrimoine de ce dernier à son associée unique.
Au cas d’espèce, l’engagement contractuel pris par le fournisseur aux prémices de cette relation commerciale est écarté en cas de transmission universelle de patrimoine au profit de son associé unique.