Le nouveau bail dérogatoire de la loi Pinel.

Par Johanna Azincourt, Avocate.

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Explorer : # bail dérogatoire # loi pinel # baux commerciaux # durée du bail

La loi Pinel 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, a modifié, pour certaines dispositions, de façon importante le régime des baux commerciaux et notamment le régime du bail dérogatoire.

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La loi précitée du 18 juin 2014 dite « loi Pinel » a été publiée au JO le 19 juin, et est ainsi entrée en vigueur le 20 juin 2014.

Elle a été complétée par le décret d’application n° 2014-1317 du 03 novembre 2014, relatif au bail commercial.

I- Rappels généraux sur les apports de la loi Pinel

A- La loi Pinel et son décret d’application ont donc apporté des modifications au statut des baux commerciaux, pour certaines mineures, pour d’autres majeures.

C’est notamment le cas des dispositions portant :

• sur les références des indices applicables (ILAT ou ILC) pour le calcul des loyers plafonnés ;
• sur la mise en place d’un système de « plafonnement du déplafonnement » relatif aux augmentations de loyer ;
• sur la durée du bail avec l’interdiction faite au preneur de renoncer à la faculté de résiliation triennale ;
• sur les nouvelles obligations du bailleur et sur la répartition des charges entre bailleur et preneur.

Il est prévu par le décret d’application une application de ces nouvelles dispositions à compter de son entrée en vigueur, sauf pour trois exceptions, pour lesquelles l’entrée en vigueur a été reportée au 1er septembre 2014, à savoir les dispositions relatives :

 au « plafonnement du déplafonnent »,
 à la suppression de la référence à l’ICC (au profit de l’ILAT et de l’ILC),
 aux baux dérogatoires.

Pour précision, ces trois exceptions concernent l’ensemble des baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, étant précisé que pour apprécier la notion de bail « conclu », il convient de faire référence à la date de signature du bail, indépendamment de la date d’effet de celui-ci.

Une autre exception est prévue s’agissant de la date d’application de l’article L.145-40-2 du Code de commerce portant sur la question de la répartition et de l’imputabilité des charges entre le bailleur et le preneur, puisque pour ces dispositions la mise en œuvre est reportée à la date d’application du décret soit au 5 novembre 2014.

Dernière précision, l’obligation de procéder à l’établissement d’un état des lieux de sortie s’applique à tous les baux en cours dès lors qu’existe un état des lieux d’entrée établi au moment de la prise de possession.

B- Une des particularités de cette nouvelle loi et de son décret d’application porte ainsi sur la durée des baux commerciaux.

S’agissant des baux dits « classiques », il est conservé un bail « 3 / 6 / 9 », mais avec désormais une impossibilité et interdiction de déroger à ces durées par un engagement ferme du preneur de rester dans les lieux au minimum 6 ans, et ainsi de renoncer à son droit à résiliation triennale, comme cela était jusqu’alors possible et validé par les juridictions.

Ainsi, à l’exception :

 des baux d’une période supérieure à 9 ans,
 des baux de locaux à usage exclusif de bureaux,
 des baux d’entrepôts ou de locaux de stockage situés sur la région d’Ile-de-France.
 des baux de locaux monovalents,

pour lesquels une durée d’engagement ferme, et donc une renonciation à la révision triennale, est possible, aucune dérogation n’est donc permise.

Ainsi, désormais, la signature d’un bail « classique », hors ces quatre exceptions, ne peut imposer au preneur une durée ferme d’engagement supérieure à trois (3) ans.

Parallèlement à cette nouvelle disposition portant sur la durée des baux commerciaux, et cette impossibilité pour le preneur de renoncer à son droit à résiliation triennale, hormis les exceptions précitées, le législateur a entendu modifier les dispositions relatives au bail dérogatoire.

II- Précisions sur le bail dérogatoire

Le bail dérogatoire est régi par les dispositions de l’article L.145-5 du Code de commerce.

A- Le nouveau régime applicable au bail dérogatoire porte donc essentiellement sur la durée de ce bail.

Il est désormais prévu une durée de trois (3) ans au lieu de deux (2) ans.

Par conséquent, le bail dérogatoire offre maintenant la possibilité au bailleur et au preneur de régulariser un bail d’une durée « déterminée » de trois (3) ans, correspondant en réalité à la première période triennale d’un bail de droit commun « 3 / 6 / 9 », mais avec la garantie, tant pour le bailleur qui ne souhaite pas s’engager et donner à bail ses locaux pour une période minimale de 9 années, tant pour le preneur qui n’entend pas rester dans les lieux pour une période supérieure à 3 ans, de conclure un bail dérogatoire de cette durée maximale de trente six (36) mois.

Ce nouveau bail dérogatoire, dont la durée est identique à la première période triennale d’un bail classique, apporte donc des avantages et de la souplesse.

Néanmoins, il convient de rappeler qu’il est expressément prévu l’interdiction de recourir à une succession de baux dérogatoires.

Par conséquent, un même local ne pourra faire l’objet d’un bail dérogatoire pour le même fonds de commerce pour une période supérieure à trente six (36) mois.

En revanche, il peut être conclu, pour le même fonds et dans les mêmes murs, différents baux dérogatoires, dès lors que la période maximale n’excède pas 36 mois.

B- S’agissant du terme et des conséquences de la fin de ce bail dérogatoire, il est également apporté des nouveautés et précisions par la loi Pinel et le décret d’application du 3 novembre 2014.

Ainsi, nouveauté par rapport au régime antérieur, le bail dérogatoire qui ne peut excéder 36 mois laisse la possibilité aux parties de disposer d’un (1) mois supplémentaire, à l’expiration de cette période de 36 mois, pour prendre position sur la volonté soit de mettre définitivement fin à la relation contractuelle, soit de transformer le bail dérogatoire en un bail de droit commun, soumis au statut des baux commerciaux.

Par conséquent, les parties peuvent, au-delà du délai de 36 mois, rester dans les lieux un mois supplémentaire, sans que, et à la différence du régime antérieur, le bail dérogatoire se transforme de façon automatique en bail classique.

En revanche, à l’expiration de ce délai d’un (1) mois, qui portera donc en pratique la possibilité de rester dans les lieux trente sept (37) mois, l’absence de manifestation de volonté de l’une ou l’autre des parties de mettre un terme au bail dérogatoire entrainera - ipso facto l’application d’un bail classique, avec toutes les conséquences qui en découleront tant pour le bailleur que pour le preneur.

Les textes ne sont pas explicites sur la notion de « prise de position  » par les parties néanmoins, au regard de la position adoptée jusqu’à présent par les juridictions s’agissant du bail dérogatoire antérieur, il peut être affirmé qu’une clause de résiliation de plein droit prévue au bail dérogatoire sera insuffisante et qu’il sera exigé la preuve d’une manifestation expresse de volonté, telle par exemple l’envoi d’une lettre recommandée ou un acte d’Huissier de Justice, imposant à l’une ou l’autre des parties co-contractantes de se positionner et de se manifester.

L’intérêt d’un tel acte exprès de volonté est d’éviter qu’au terme du délai d’un mois courant à l’expiration du délai de 36 mois, soit au terme d’un délai de 37 mois d’occupation des locaux, le bail ne soit transformé en bail de droit commun soumis au statut des baux commerciaux dans l’hypothèse où le preneur serait resté dans les lieux et qu’il n’aurait pas été mis en demeure de façon expresse et incontestable d’avoir à quitter les lieux.

C- Pour rappel, comme indiqué plus avant, ces dispositions, s’agissant des baux dérogatoires, ont vocation à s’appliquer à tous les baux régularisés ou renouvelés depuis le 1er septembre 2014.

Ce nouveau régime laisse donc beaucoup plus de souplesse et de liberté aux parties pour déroger au régime strict du bail classique relevant du statut des baux commerciaux, lequel devient plus contraignant quant à la durée ferme du bail et aux obligations nouvelles mises à la charge du bailleur.

Il conviendra en revanche de l’utiliser en ayant conscience de ses limites, notamment en termes de renouvellement ou de reconduction des relations contractuelles.

Johanna AZINCOURT
Avocat au Barreau de RENNES
SELARL OLIVE - AZINCOURT - LE GUEN
http://www.olive-azincourt.com

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  • j’ai loué un local commercial en bail précaire le 1er fevrier 2015, le locataire ne paie plus son loyer depuis le 1er mars. J’ai fait intervenir un huissier avec commandement de payer. Depuis le locataire a versé 1/5 du loyer.
    Il est noté sur le bail "chaque partie pourra y mettre fin à tout moment, moyennant un préavis de 3 moi notifié par lettre recommandée ou acte extrajudiciaire, et ce, sans que le congé ait besoin d’etre motivé".... Puis je dès maintenant envoyé un préavis pour reprendre mon local.
    Merci d’avance.

    • par perrin , Le 10 avril 2016 à 12:00

      Je n arrive pas à régler mon loyer a temps et pas suffisamment de clientèle. Puis je mettre fin à mon bail avant non paiement de mes loyers ?

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