Local commercial : de l’absolue nécessité d’appréhender la notion de « Bail précaire ».

Par Quentin Maghia, Docteur en droit.

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Explorer : # bail précaire # baux commerciaux # loi pinel

En ce début d’année 2020, nous n’insisterons jamais assez sur un fléau qui touche bon nombre de rédacteurs de baux portant sur des locaux commerciaux, qu’ils soient d’ailleurs professionnels ou non-professionnels (Notion de Rédacteur professionnel, qui pourrait d’ailleurs faire, à elle seule, l’objet d’un article tant les dispositions issues de la réforme du droit des obligations, en matière de déséquilibre du bail notamment, impacteront sensiblement le devenir ou la remise en question du bail en cours d’exécution…} : la confusion faite encore aujourd’hui entre les deux qualifications de « bail de courte durée » et de « bail précaire ».
Deux arrêts de Cour de cassation récents à titre d’illustration : Cass. 3e civ. 14 novembre 2019 n° 18-21.297 F-D ; Cass. 3e civ. 12 décembre 2019, n° 18-23.784 FS-P+B+I

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Cass. 3e civ. 14 novembre 2019 n° 18-21.297 F-D :

« (…) Attendu que la société DDA fait grief à l’arrêt de dire qu’elle ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux et de rejeter sa demande ;
Mais attendu qu’ayant relevé que, depuis l’origine des relations contractuelles, le sort de l’immeuble, dont la destruction avait été évoquée plusieurs fois, était lié à la réalisation par la commune d’un projet de réhabilitation du centre-ville et que les lieux loués n’étaient pas destinés à rester pérennes, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties et permettant de retenir la qualification de convention d’occupation précaire, a exactement déduit, de ces seuls motifs, que le statut des baux commerciaux n’était pas applicable
 ».

Cass. 3e civ. 12 décembre 2019, n° 18-23.784 FS-P+B+I :

« (…) Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté, d’une part, que le projet de cession portait sur le fonds de commerce de la locataire ou son droit au bail, ce qui excluait l’existence d’une cause objective de précarité de l’occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l’exécution d’un bail commercial et justifiant le recours à une convention d’occupation précaire et, d’autre part, qu’au-delà du terme prévu à la convention qui dérogeait aux dispositions statutaires, la locataire était restée dans les lieux sans que le bailleur n’eût manifesté son opposition, ce dont il résultait qu’il s’était opéré un nouveau bail, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ».

La notion de bail précaire n’est pourtant pas inintelligible. Le législateur a même fait l’effort, en 2014, de faire évoluer les dispositions du code de commerce, suite à la loi Pinel, en y intégrant à cette occasion toutes les solutions issues de la jurisprudence constante : le bail précaire doit être entendu comme celui étant contracté dans «  des circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties  » (C. com., art. L. 145-5-1).

Quelles sont ces circonstances ? Et surtout, « suis-je dans une de ces circonstances, pour pouvoir intituler mon bail, bail précaire ? ». Puisque c’est la question que doit systématiquement se poser le rédacteur au moment d’envisager la possibilité d’encadrer la relation contractuelle du preneur et du bailleur par un bail dit « précaire ».

La Cour de cassation, en l’espace d’un mois, donne de bons enseignements pratiques dans ces deux arrêts de troisième chambre civile.

Elle qualifie le bail de « bail dérogatoire » dans le premier des deux arrêt (2) et rejette cette qualification dans le second (1). Deux solutions différentes ? Absolument pas. La solution est la même, ce sont bien les situations qui diffèrent. Les deux arrêts ont, en effet, pour élément commun ces fameuses circonstances «  indépendantes de la seule volonté des parties ».

1- Dès lors, un projet de cession portant sur le fonds de commerce du locataire exclue l’existence d’une cause objective de précarité de l’occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l’exécution d’un bail commercial et justifiant le recours à une convention d’occupation précaire : Cass. 3e civ. 12 décembre 2019, n° 18-23.784 FS-P+B+I.
Relevons toutefois que la solution n’est pas si évidente et que la cour d’appel s’y est en l’espèce trompée, considérant que la cession du fonds était un événement « incertain et extérieur à la volonté des parties puisqu’impliquant l’intervention d’un tiers se portant acquéreur du fonds et qui en constituait le terme dans la limite maximale fixée et le motif légitime de précarité ».
Le raisonnement, bien qu’en vérité non dénué de tout sens, est bien sûr rejeté par la Cour de cassation. Il ne s’agit pas de considérer que l’achat du fonds par un tiers est incertain, mais bien de considérer que le vendeur (en l’espèce le locataire) est celui qui décide de la vente du fonds. La vente bien qu’incertaine n’est pas indépendante de la volonté des parties.
Cette décision n’est pas sans importance puisqu’en définitive le locataire est considéré avoir loué les locaux selon un bail de courte durée (ou bail dérogatoire) et non pas en vertu d’un bail précaire. Nous rappelons que la durée du bail dérogatoire ne peut dépasser la durée maximale de trois ans (depuis la loi Pinel de 2014).
Le locataire étant ici resté dans les lieux à l’issue de ces trois ans, à défaut de congé ou quelconque action du bailleur, les dispositions légales et règlementaires s’appliquent : le bail dérogatoire devient automatiquement bail commercial !
Les parties se trouvent donc liées, a minima, pour une durée totale initiale de neuf ans !
Illustration d’une autre règle essentielle : ne jamais laisser l’insécurité juridique s’installer, spécialement dans cette période de fin de relation contractuelle.

2- En revanche, la possible destruction d’un l’immeuble loué liée à la réalisation par la commune d’un projet de réhabilitation du centre-ville rend toute location pérenne impossible puisque caractérisant l’existence de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties : Cass. 3e civ. 14-11-2019 n° 18-21.297 F-D.

Retenir la qualification de convention d’occupation précaire (bail précaire) était donc parfaitement logique et justifié. C’est en tout cas, dans cet arrêt, la décision de la Cour de cassation au détriment du locataire pensant jouir, après vingt années de location, d’un bail commercial.

Rien de révolutionnaire, certes, mais l’arrêt a le mérite de mettre en lumière l’un des aspects essentiels du bail précaire, voire de donner une définition de la précarité, à savoir la fragilité de l’occupation.

Rappelons, également, que la situation pouvait très bien durer dix, vingt, trente ans, …, cela n’eut rien changé à la solution : les parties savaient qu’un élément indépendant de leur volonté (imprévisible dans la temporalité) mettrait fin à leur relation contractuelle.

Dans cette espèce, le bailleur avait mis fin à la location et sollicité la résiliation du contrat liant celui-ci au preneur, suite à la réalisation de travaux de réaménagement du bâtiment résultants du permis de construire accordé par la Commune.

Là aussi, la décision n’est pas sans conséquence : le locataire, se pensant en droit de rester dans lesdits locaux en revendiquant le statut des baux commerciaux, perd tout droit au bénéfice d’une quelconque indemnité d’éviction.

Le bailleur lui proposait, à juste raison, de conclure un nouveau bail, commercial cette fois-ci (toute précarité s’étant envolée), chose qu’il avait refusée. Cela eut été pourtant le seul moyen pour lui de continuer l’exploitation de son activité dans ces locaux.

Gageons, pour finir, que les rédacteurs de baux cesseront en 2020 d’appeler « bail précaire » un « bail dérogatoire », pratique étant devenue si commune. Nous en appelons de nos (meilleurs) vœux…

Quentin MAGHIA
Avocat
http://maghia-avocat.fr/

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