Le Médiateur des entreprises, un service public pour travailler sur la confiance entre les acteurs économiques.

Le Médiateur des entreprises, un service public pour travailler sur la confiance entre les acteurs économiques.

Propos recueillis par Aude Dorange
pour le Journal du Management Juridique

3377 lectures 1re Parution: Modifié: 3.67  /5

Explorer : # médiation des entreprises # confiance économique # gestion des conflits

Le Médiateur des entreprises est une institution publique, placée auprès du ministre de l’Économie et dont le représentant est nommé par décret du Président de la République. À la disposition des chefs d’entreprises, il a vocation à répondre à leurs questions concernant le comportement à adopter avec les partenaires commerciaux ou à orienter leurs demandes vers les services compétents. Au-delà de cet accompagnement, il les aide à trouver des solutions aux différends rencontrés avec leurs partenaires, entreprise ou administration, notamment en proposant un service de médiation gratuit et confidentiel. Pierre Pelouzet, qui occupe ce poste depuis 2012 [1], nous livre un état des lieux et perspectives du mécanisme.

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La confiance entre les acteurs, vecteur de l’économie.

La médiation des entreprises a été créée en 2010, à la suite du constat de l’un des effets de la crise de 2008, à savoir un regain de tensions très fort entre les entreprises ou sur les marchés publics. Le Médiateur des entreprises a dès lors été institué pour travailler sur la confiance entre les acteurs économiques. En effet, « lorsque le niveau de confiance entre les acteurs économiques - que ce soit entre les entreprises ou entre entreprises et acteurs publics - est relativement bas, on est plutôt dans la défiance, le rapport de force, l’absence de dialogue, etc. Or, quand les acteurs ne se font pas confiance, ils se protègent et cela freine l’économie, que l’on ne développe alors pas comme on devrait ».

"Quand les acteurs ne se font pas confiance, ils se protègent et cela freine l’économie."

Un exemple faisant partie du cœur d’activité du Médiateur des entreprises permet de mesurer aisément ces enjeux : « quand on n’est pas sûr que son client va payer la facture, on fait son plan de trésorerie en étant prudent. Et comme on fait son plan de trésorerie en étant prudent, on investit moins d’argent, on n’embauche moins de gens, on achète moins de machines, parce que l’on n’est pas sûr d’avoir l’argent pour pouvoir les payer. Si le niveau de confiance, sur un tel "basique", est bas et que l’on n’est pas sûr d’avoir une solution de dialogue en cas de problème, l’économie est directement freinée ».

C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’outils ont été développés, le premier d’entre eux étant celui qui donne sa dénomination à la fonction, la médiation. Mais le Médiateur des entreprises met également à disposition des acteurs économiques d’autres outils, car son but n’est pas seulement d’intervenir comme « pompier pour éteindre le feu », mais aussi de faire évoluer positivement les rapports entre entreprises entre elles et/ou avec les acteurs publics.

Telle est par exemple la finalité de deux outils pilotés par le Médiateur des entreprises et le Conseil national des achats, que sont la Charte Relations fournisseurs responsables [2] et le Label Relations fournisseurs et achats responsables [3]. Ces outils, qui s’inscrivent dans le pilier économique de la RSE, attestent d’une démarche d’ouverture d’esprit ; ils sont à la disposition de tous, entrepreneurs, directions juridiques et juristes d’entreprises, dans la gestion des relations avec leur écosystème de fournisseurs notamment.

La médiation, un outil efficient pour recréer la confiance.

La médiation des entreprises s’est avérée être l’outil à la fois le plus simple et le plus efficace pour recréer un lien de confiance entre deux acteurs économiques qui n’arrivent plus à dialoguer, à se parler, à se comprendre, à trouver des solutions. Relativement confidentielle lors de sa création, avec une centaine de médiations dans l’année, les chiffres parlent aujourd’hui d’eux-mêmes quand il s’agit de mesurer la portée du dispositif.

Le recours à la médiation s’est amplifié dès les premiers moments de la crise liée à l’épidémie de Covid-19.

Multiplié par dix en dix ans, le recours à la médiation s’est amplifié dès les premiers moments de la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Avec 600 demandes par semaine, émanant à 98 % des TPE/PME, l’activité de la médiation a été multipliée par 10 au plus fort de la crise Entre le 16 mars et le 16 juin 2020, le Médiateur des entreprises a reçu plus de 5 000 sollicitations et demandes de médiations. Ces sollicitations ont émané en particulier des secteurs les plus touchés par la crise comme l’hôtellerie-restauration (15,5 %), le commerce (14,2 %), le BTP/matériaux de construction (9,4 %) ou encore les services aux particuliers (8,6 %) [4].

Les courbes redescendent actuellement, en partie parce que beaucoup de situations ont été résolues, en partie aussi, malheureusement, en raison de la baisse d’activité, qui s’est accompagnée mécaniquement d’une diminution des conflits à traiter. Moins de matière pour l’instant donc, mais les équipes s’attendent à un regain très fort à partir de la rentrée, tout en croisant les doigts pour que le business reparte.

La médiation publique des entreprises, comment ça marche ?

Le Médiateur des entreprises est saisi, en très grande majorité par des petites et moyennes entreprises, sans exclure, bien sûr la possibilité d’être saisi par de grandes entreprises ou des administrations. Sur le fond, les demandes concernent des sujets variés : retards de paiement (50 % des saisines pendant la crise sanitaire), ruptures brutales de contrat (40 % des cas traités pendant la crise), difficultés d’exécution contractuelle, pénalités de retard, problèmes de propriété intellectuelle, baux commerciaux, etc. Avec la crise, une nouvelle catégorie de difficultés des entreprises est apparue, liée aux difficultés de paiement des loyers en raison de la perte d’activité brutale non anticipée (10 % des cas traités) [5].

"Venir chez nous n’est pas un signe que ça va mal. C’est au contraire un signe que l’on s’ouvre à l’idée que les problèmes peuvent se résoudre par le dialogue."

En somme, « tout ce qu’il est possible d’imaginer de conflictuel dans les relations clients-fournisseurs ou administration, a vocation à venir chez nous un jour ou l’autre ». Mais ceci n’est pas négatif : « venir chez nous n’est pas un signe que ça va mal. C’est au contraire un signe que l’on s’ouvre à l’idée que les problèmes peuvent se résoudre par le dialogue ». Rencontrer des difficultés est un phénomène assez normal, ne serait-ce que parce qu’un contrat ne peut pas tout couvrir, parce que des choses opérationnelles fonctionnent moins bien que prévu, etc. Ce qui est moins normal, en revanche, est de ne pas penser à la résoudre par le dialogue et c’est là où le Médiateur des entreprises peut intervenir.

L’un des avantages de la médiation publique se mesure particulièrement dans les cas très déséquilibrés : la pratique montre en effet qu’une TPE/PME ne va pas oser proposer à un grand groupe (client ou fournisseur) d’aller ensemble en médiation. Dès lors que c’est l’institution du Médiateur des entreprises qui va chercher le partenaire, le dialogue est rééquilibré et le poids institutionnel est de nature à rassurer la petite entreprise. Le second avantage du service public de médiation est sa gratuité, également importante pour les petites entreprises.

Plus concrètement, une fois que la saisine est effectuée, un médiateur est désigné sous une semaine. Il contacte d’abord l’entreprise à l’initiative et échange avec elle. Le tout, dans le respect de la plus grande confidentialité et du secret professionnel, c’est important de le souligner (y compris, d’ailleurs, si le processus venait à échouer). Une fois que tout est prêt, il prend attache avec l’autre partie, l’informe du processus de médiation qui a été amorcé et l’invite à se joindre aux échanges. Et normalement, tout ceci va assez vite. Dans les 3/4 des cas, une solution est trouvée par la voie amiable. Une fois que les parties sont "mises autour de la table" (ce qui est déjà un effort !), elles trouvent une solution en étant accompagnée par le médiateur qui, rappelons-le n’est ni un juge, ni un arbitre. Il n’est là ni pour donner un avis, ni pour trancher, mais pour recréer du lien entre les deux parties et les amener à coconstruire leur solution. Outre la rapidité du processus, c’est d’ailleurs pour ce qui fait le succès de cet outil qui répond bien aux problématiques économiques. C’est ensuite le savoir-faire du médiateur et la bonne volonté des parties qui permettent d’arriver à un accord satisfaisant et adéquat.

Service public de médiation des entreprises et structures privées de médiation.

Le Médiateur des entreprises est la seule structure publique sur le « marché de la médiation », avec 70 médiateurs, dont une trentaine en région, faisant partie des effectifs de l’Administration. Ils sont volontaires et formés pour être médiateurs, en sus de leurs fonctions habituelles. Viennent également au soutien des régions, les trente à quarante médiateurs situés à Paris, également bénévoles, retraités pour la plupart (anciens chefs d’entreprise, juges consulaires, etc.), qui ont « un beau vécu dans l’économie française ». L’institution a été créée parce que l’on s’est rendu compte que la médiation « ne prenait pas ». Et cela s’explique par plusieurs raisons : d’abord, parce que le mécanisme n’était pas connu. Les choses ont évolué ; les structures privées bénéficient, elles-aussi, de la communication faite en faveur de la médiation, et c’est tant mieux.Il existe bien sûr des structures privées de médiation, qui font « un boulot formidable aussi (...) et de très grande qualité ».
Le Médiateur des entreprises fonctionne d’ailleurs étroitement et échange beaucoup avec ces structures. « Et c’est très bien : le but n’est pas d’opposer le public et le privé, mais bien de développer la médiation et le dialogue ».

Le Médiateur des entreprises est la seule structure publique sur le « marché de la médiation ».

Visiblement, de plus en plus de chefs d’entreprise ont recours à la médiation, qu’elle soit publique ou privée, et cela ne peut que continuer à croître. L’institution a sa propre manière de fonctionner et on peut constater des variantes dans la médiation elle-même et des pratiques parfois très différentes. « Mais nous ’avons pas, à ce stade, vocation à éditer des recommandations générales. (...) Nous ne nous sentons pas porteur d’une espèce de connaissance absolue ».

La place des avocats dans le processus de médiation des entreprises.

Les avocats ne peuvent pas saisir directement le Médiateur des entreprises au nom de leurs clients. Mais ce dernier est saisi sur leurs conseils. Il existe aujourd’hui un mouvement de plus en plus fort de la part des avocats, qui ont intégré la médiation dans la palette des outils à leur disposition pour accompagner leurs clients.

L’état d’esprit qui présidait il y a dix ans - lié aux craintes d’une concurrence synonyme de perte potentielle de chiffre d’affaires pour les avocats – a énormément évolué : les avocats se sont formés à la médiation ; ils se sont formés à l’accompagnement à la médiation, ce qui est probablement l’aspect de la fonction de conseil qui a la plus forte propension à se développer. Les avocats ont un rôle à jouer en amont du processus, pour expliquer au client ce qu’est la médiation et les aider à la préparer. Ils ont également un rôle un peu particulier à jouer pendant la médiation : sans intervenir en lieu et place de leurs clients, les avocats peuvent faire des apartés avec eux, pour préserver leurs intérêts, clarifier des incompréhensions ou réorienter éventuellement les échanges. Ils sont enfin un rôle tout aussi important à la fin de la médiation, lorsque le médiateur rédige le protocole.

Il existe des freins à la médiation. Les premiers sont d’ordre psychologique, ne serait-ce que pour venir en médiation. Il n’y a pas forcément une bonne compréhension du mécanisme, qui est considéré, souvent à tort, comme n’étant pas adapté à la situation. Une croyance assez répandue est aussi celle qu’entrer en médiation implique de se placer en position de faiblesse. On entend également parfois « j’ai raison, donc je n’ai pas besoin d’aller en médiation ». « Or l’un n’exclut pas l’autre et un compromis qui permet de ressortir par le haut et de continuer à travailler avec son client ou son fournisseur a beaucoup plus de valeur qu’une victoire obtenue après plusieurs années de contentieux. Et c’est ici que le rôle des avocats est particulièrement important ».

Interview publié initialement dans le numéro 77 du Journal du Management Juridique.

La Rédac’ prolonge l’info pour vous...

Pierre Pelouzet, médiateur national des entreprises et Nicolas Mohr, directeur général du Médiateur des entreprises, ont présenté, le 2 février 2020, le bilan d’activité du Médiateur des entreprises.
Bilan d’activité 2020, soutien aux secteurs fortement impactés par la crise, engagement pour une économie plus responsable, les infos ici.

Propos recueillis par Aude Dorange
pour le Journal du Management Juridique

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Notes de l'article:

[1Précédemment Médiateur national des relations inter-entreprises, depuis le 22 novembre 2012, Pierre Pelouzet a été nommé Médiateur des entreprises par un décret du 14 janvier 2016. Il est également Vice-Président et Trésorier de l’association Pacte PME et Président de l’Observatoire des Achats Responsables.

[2La Charte et ses conditions de signature sont accessibles sur le site du ministère de l’Économie.

[3Toutes les informations sur le label sont accessibles sur le site du ministère de l’Économie.

[4Communiqué de presse du 1er juillet 2020, à retrouver à l’adresse suivante.

[5Avec l’appui des équipes du Médiateur des entreprises, la Mission de médiation entre bailleurs et locataires commerçants (confiée à Jeanne-Marie Prost) a d’ailleurs défini une Charte de bonnes pratiques encadrant les reports et annulations de loyers pour la période de confinement et la période de reprise jusqu’au 30 septembre 2020 (https://www.eco-nomie.gouv.fr/media...)

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