Le régime légal de la protection de la salariée enceinte.
Les dispositions du Code du travail.
Le droit français confère une protection particulière à la salariée enceinte (notamment via les articles L1225-4 et suivants du Code du travail), qui interdisent à l’employeur de prononcer un licenciement pour motif lié à la grossesse. Pendant le congé maternité, ainsi que pendant les dix semaines suivant son terme, la salariée bénéficie d’une protection accrue.
L’employeur ne peut rompre le contrat que s’il justifie d’une faute grave étrangère à l’état de grossesse ou d’une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif distinct de la maternité.
Les articles L1225-70 et L1225-71 du Code du travail prévoient que le non-respect de ces règles entraîne la nullité du licenciement. Dans ce cas, la salariée peut demander sa réintégration, assortie du paiement des salaires non perçus jusqu’à la reprise du travail ou le refus de réintégration.
Lorsqu’elle ne sollicite pas sa réintégration, elle a droit à une indemnité spécifique d’au moins six mois de salaire, s’ajoutant aux indemnités légales de rupture.
Évolutions législatives de 2017.
Avant 2017, l’ancien article L1225-71, al.2 du Code du travail prévoyait expressément le versement des salaires correspondant à la période de nullité, outre l’indemnité de six mois. À la suite d’une réécriture partielle du Code du travail, cette mention a disparu sous sa forme initiale, suscitant une controverse : certains y voyaient la volonté de restreindre la réparation pécuniaire au seul forfait de six mois.
Toutefois, le principe de réparation intégrale, soutenu par la jurisprudence antérieure, semblait demeurer, notamment au regard des exigences du droit européen, dont la directive n°92/85/CEE du 19 octobre 1992 et la directive n°2006/54/CE du 5 juillet 2006.
L’incidence de la jurisprudence antérieure à 2017.
Décisions de la Cour de cassation avant la réforme.
Plusieurs arrêts avaient établi qu’en cas de nullité du licenciement pour méconnaissance des règles protectrices liées à la grossesse, la salariée pouvait cumuler :
- L’indemnité légale d’au moins six mois de salaire pour l’illicéité de la rupture ;
- Les salaires dont elle aurait bénéficié durant la période de protection, indépendamment de sa décision de demander ou non la réintégration.
Citons notamment la décision de la Cour de cassation, chambre sociale du 12 mars 1991, n°88-40.806 et celle de la Cour de cassation, chambre sociale du 10 novembre 1993, n°89-42.302, qui confirment qu’il s’agit d’une mesure de réparation intégrale du préjudice. De plus, dans une décision du 17 février 2010, n°08-45.640, la Cour de cassation a reconnu l’impossibilité de déduire les revenus de remplacement (allocations chômage, etc.) sur les sommes dues au titre de la période de nullité.
Ambiguïtés de l’après 2017.
La suppression de la référence explicite au versement des salaires dans l’article révisé a pu laisser planer un doute. Certains employeurs soutenaient qu’à présent, seule l’indemnité plancher de six mois trouvait à s’appliquer, sans que la salariée puisse exiger le paiement des salaires pour la période de nullité.
D’autres juridictions du fond ont continué de consacrer le principe du cumul, justifiant leur position par l’exigence d’une réparation complète et par la logique discriminatoire qui entache tout licenciement prononcé en raison de la grossesse.
Le tournant de l’arrêt du 6 novembre 2024.
Les faits de l’affaire.
Dans l’arrêt (Cass. soc., 6 nov. 2024, n°23-14.706), une salariée contestait un licenciement pour faute grave prononcé alors que l’employeur avait connaissance de son état de grossesse. Les juges du fond avaient annulé la rupture, écartant la faute grave et considérant que le licenciement était lié à la grossesse.
Ils avaient alors accordé à la salariée l’indemnité légale de six mois et les salaires correspondant à la période courant jusqu’à la fin des dix semaines suivant son congé maternité. L’employeur estimait, en se fondant sur la nouvelle version du Code du travail, qu’un tel cumul n’était plus permis et forma un pourvoi devant la Cour de cassation.
La décision et son fondement.
La Cour de cassation a confirmé la position de la cour d’appel, jugeant que la salariée pouvait, même sans demander sa réintégration, percevoir la somme couvrant les salaires dont elle avait été privée, ainsi que l’indemnité de six mois.
Les hauts magistrats se sont appuyés sur le droit européen, rappelant que le licenciement pour grossesse constitue une discrimination directe fondée sur le sexe, prohibée par la directive n°92/85/CEE et interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Selon la CJUE, le principe d’égalité n’est pleinement rétabli qu’en cas de réintégration ou d’indemnisation financière adéquate, comprenant l’intégralité du salaire qui aurait été versé. La Cour de cassation y voit la justification d’une réparation intégrale.
L’éclairage du droit européen et ses implications.
Les principes posés par la CJUE.
La CJUE, dans plusieurs affaires dont CJUE, 11 nov. 2010, aff.232/09 et CJCE, 2 août 1993, aff.271/91, a défini l’exigence d’une réparation pécuniaire totale en cas de licenciement discriminatoire, en l’absence de réintégration dans l’entreprise.
L’objectif est de replacer la salariée dans la situation où elle se serait trouvée si aucune discrimination n’était intervenue. Par conséquent, la seule indemnité forfaitaire de six mois n’est pas jugée suffisante si elle ne couvre pas la totalité de la perte de revenus subie par la salariée pendant la période de nullité.
La portée pour le droit français.
En retenant cette analyse, la Cour de cassation rappelle que la législation nationale doit se conformer aux directives européennes en matière d’égalité entre hommes et femmes au travail. L’arrêt du 6 novembre 2024 clôt ainsi les débats sur la possibilité d’exclure les salaires de la période de nullité.
Le cumul demeure la règle, qu’il y ait ou non demande de réintégration. L’employeur voit alors sa responsabilité financière accrue en cas de rupture jugée illicite.
Conséquences pratiques pour l’employeur et la salariée.
Risque financier et prévention des contentieux.
Cette décision accentue la nécessité, pour l’employeur, de vérifier l’état de grossesse de la salariée avant tout licenciement, afin de s’assurer qu’aucun lien ne puisse être établi entre la rupture et la maternité.
En cas de non-respect des dispositions protectrices, le coût de la nullité peut s’avérer particulièrement élevé : indemnités de rupture, indemnité d’au moins six mois de salaire, et salaires afférents à la période allant de la date de licenciement à la fin des dix semaines suivant le congé maternité.
L’adoption d’une politique interne de prévention et de sensibilisation s’avère judicieuse pour éviter de telles situations.
Régime social et fiscal des sommes allouées.
Les salaires versés au titre de la période de nullité sont soumis à cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu, car ils compensent la rémunération que la salariée aurait normalement perçue. En revanche, l’indemnité de six mois revêt le caractère de dommages et intérêts, couvrant la réparation du préjudice moral et professionnel.
Ses modalités de soumission à cotisations et d’imposition peuvent varier selon l’analyse des organismes compétents, mais elle n’est en principe pas considérée comme un salaire.
Focus : exceptions légales et justification du licenciement.
La faute grave étrangère à la grossesse.
L’article L1225-4 du Code du travail énonce que la rupture reste possible en cas de faute grave, à condition que celle-ci ne soit aucunement liée à l’état de grossesse. La faute doit donc être avérée, immédiate et d’une telle gravité qu’elle rend impossible le maintien du contrat.
Les juridictions prud’homales analysent cette exception de manière restrictive, afin de ne pas favoriser l’instrumentalisation d’une rupture liée à la maternité.
L’impossibilité de maintenir le contrat pour motif étranger à la grossesse.
Le licenciement peut également intervenir si l’employeur prouve qu’il lui est objectivement impossible de maintenir la salariée dans ses effectifs pour une raison totalement extérieure à la grossesse.
Il peut s’agir d’une cessation d’activité, d’une liquidation judiciaire ou d’un motif économique grave et indépendant de la situation de l’intéressée. Dans ces hypothèses, la protection liée à la grossesse ne disparaît pas totalement, mais elle peut être écartée si la justification est suffisamment probante.
Perspectives et conclusion.
Vers une clarification législative ?
Bien que la réforme de 2017 ait pu introduire une certaine confusion, la position actuelle de la Cour de cassation, conforme aux directives européennes, met un terme au flottement jurisprudentiel. Pour dissiper tout doute, le législateur pourrait envisager de réintroduire, sous une forme explicite, l’obligation de verser les salaires afférents à la période de nullité en cas de licenciement d’une salariée enceinte.
Une telle clarification offrirait à la fois sécurité juridique pour l’employeur et garantie de respect des droits de la salariée.
Le licenciement d’une salariée enceinte demeure strictement encadré par le droit français et par les textes européens relatifs à la non-discrimination. La jurisprudence récente, illustrée par l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2024 (n°23-14.706), confirme que, même sans réintégration, la salariée peut exiger le versement des salaires correspondant à la période de nullité, en plus de l’indemnité forfaitaire d’au moins six mois.
Cette solution se justifie par la nécessité de réparer intégralement le préjudice consécutif à une discrimination fondée sur le sexe et de prévenir toute atteinte à la protection de la maternité.
En pratique, les employeurs doivent faire preuve d’une vigilance particulière lorsqu’ils envisagent un licenciement susceptible de concerner une salariée enceinte, et s’assurer qu’aucune confusion ne puisse être établie entre la rupture et l’état de grossesse.
Quant aux salariées victimes d’une telle discrimination, elles disposent désormais d’une base jurisprudentielle solide pour faire valoir leur droit à la réparation intégrale du préjudice subi.