L’indemnité d’occupation dans le cadre d’une indivision.

Par Pauline Darmigny, Avocat.

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Explorer : # indivision # indemnité d'occupation # jouissance privative # succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, plusieurs personnes se retrouvent copropriétaires d’un patrimoine qui appartenait au défunt.

Chacun des coindivisaires se retrouve ainsi, propriétaire d’une quote-part de droits indivis sur les biens qui appartenaient au défunt.

La loi prévoit qu’on peut toujours, à tout moment, sortir de l’indivision et que nul ne peut être contraint à y rester.

Mais, pendant le temps où va durer l’indivision, il a fallu que la loi organise les droits de chacun.

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La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres...

Tout en respectant les droits des autres indivisaires, chaque indivisaire peut user et jouir des biens qui se trouvent en indivision. Ainsi, les coindivisaires peuvent louer les biens immobiliers indivis, en percevoir les fruits (les loyers) et assurer en contrepartie les dépenses relatives à l’exploitation de ces biens, à savoir payer les travaux nécessaires par exemple.

La loi prévoit qu’en bonne intelligence, cette organisation peut se faire à l’amiable mais, à défaut d’accord entre les parties, l’exercice de ce droit sera organisé par le juge.

Étant donné que chaque indivisaire est propriétaire d’une quote-part de droits indivis sur les biens immobiliers présents dans le patrimoine du défunt, aucun des coindivisaires ne peut s’approprier, ni l’usage, ni la jouissance d’un bien indivis.

A ce titre, la loi prévoit que : « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (article 815-9 du Code civil).

On imagine le cas dans lequel, un des coindivisaires s’est approprié un bien immobilier composant la succession, et a décidé de l’occuper à lui tout seul.

Si ce copropriétaire indivis empêche les autres coindivisaires de pouvoir occuper le bien, en changeant par exemple les serrures, on dira que cet usage est privatif.

De même, le fait d’être seul indivisaire, détenteur des clés de l’immeuble indivis et d’empêcher ainsi les autres d’en détenir, suffit à considérer qu’il y a jouissance privative. C’est précisément ce qu’a reconnu la Cour de Cassation (Cass, civ 1ère, 30 juin 2004, n°02-20.085).

Imaginons une succession qui se retrouve copropriétaire d’un ensemble de biens immobiliers dont une maison de vacances en bord de mer.

Lorsque l’entente est au beau fixe entre les copropriétaires, ils peuvent ensemble organiser les conditions et les modalités dans lesquelles, chacun pourra profiter de cette maison en l’occupant et en fixant un calendrier.

Si l’un des copropriétaires s’approprie toute l’année, l’usage de ce bien indivis, en empêchant les autres coindivisaires d’en jouir, ce copropriétaire sera redevable d’une indemnité d’occupation au profit des autres membres de l’indivision.

Comment obtenir le versement de cette indemnité d’occupation par le copropriétaire qui use privativement du bien indivis ?

On parle d’indemnité d’occupation ou d’indemnité de jouissance privative.

Pour l’obtenir, il faudra d’une part rapporter la preuve de démarches amiables effectuées en vue de la cessation de l’occupation privative, telles que des courriers adressés au copropriétaire récalcitrant.

Enfin et en cas d’échec des tentatives amiables, il faudra délivrer par voie d’avocat, une assignation auprès du tribunal compétent qui est celui du lieu d’ouverture de la succession (à savoir, le dernier domicile du défunt) à l’encontre du copropriétaire en question.

Dans cette assignation, il sera question de solliciter du juge, la condamnation de ce copropriétaire au paiement de l’indemnité d’occupation.

Comme dans toute demande en justice, il conviendra de rapporter la preuve de cette occupation privative, pour justifier la demande de condamnation du copropriétaire indivis à une indemnité d’occupation.

La preuve est libre et peut alors être rapportée par tous moyens, comme par des attestations du voisinage confirmant l’occupation privative du bien, ou encore des échanges de courriels démontrant, sans équivoque, la volonté du copropriétaire de jouir privativement du bien.

Dans quel délai faut-il agir ?

En principe, le droit au versement de cette indemnité est dû, dès lors que l’occupation privative commence.

Mais la loi restreint l’action, en l’enfermant dans un délai de prescription de cinq ans, en application de l’article 815-10 du Code civil.

Ainsi, ce délai court à compter du moment où le copropriétaire qui réclame ce paiement, a eu connaissance de l’utilisation privative du bien par le copropriétaire indivis.

Cependant, si la connaissance de cette utilisation privative date depuis plus de cinq ans, il ne sera possible de réclamer le paiement que sur les cinq dernières années écoulées.

Par exemple, vous avez connaissance d’une occupation privative d’un bien immobilier indivis qui dure depuis 1996, mais vous n’avez décidé d’agir qu’aujourd’hui en 2019. Par conséquent, il ne sera possible de réclamer le paiement de cette indemnité, qu’en considération des cinq dernières années d’occupation privative du bien, soit de 2014 à aujourd’hui.

Si l’usage privatif a débuté en 2017, et que vous décidez d’agir aujourd’hui, vous êtes dans le délai de cinq ans, et vous pouvez solliciter le paiement d’une indemnité à compter du point de départ de l’occupation privative, c’est-à-dire de 2017 à aujourd’hui.

Comment calculer le montant de l’indemnité ?

C’est le juge qui fixe le montant de cette indemnité.

Le juge va, en considération de l’usage privatif du bien qui a été effectué, tenter de calculer à quelle privation de revenus l’indivision s’est exposée.

Le juge va donc raisonner comme si le bien avait pu être mis en location pendant toute cette période et va ainsi condamner le copropriétaire occupant, au montant du loyer qui aurait pu être perçu par l’indivision, si le bien avait été loué.

Si le juge fait droit à la demande et condamne le copropriétaire au paiement d’une indemnité d’occupation, cette indemnité qui est comparable à une forme de loyer, sera versée non pas au demandeur à la procédure, mais à l’indivision toute entière. Le bénéfice sera attribué à la masse, quitte à être partagé par la suite.

Maître Pauline DARMIGNY

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Discussions en cours :

  • par boijolie , Le 15 juin 2023 à 12:10

    Est-il possible de saisir le juges des référés dans le cadre d’une indivision entre ex-époux afin d’obtenir une demande d’indemnité d’occupation à titre provisionnelle ?

  • Bonjour,

    En période de divorce, j’ai la jouissance privative dans notre maison en indivision (mes droits sont 75%).
    Je paie les indemnités d’occupation.
    C’est mon logement principal.
    J’ai loué une chambre dans la maison à un étudient.

    Est-ce que ce loyer appartien à l’indivision ou seulement à moi, vue que je déjà indemnise mon co-indiviseur ?

    Merci

  • par Sismondi , Le 12 juin 2022 à 13:30

    Bonjour ,
    Que veut dire votre dernière phrase « le bénéfice sera attribué à la masse quitte à être partagé par la suite » ?
    Le paiement s’effectue à un tiers type notaire puis le tiers réparti ?
    Merci

  • Dernière réponse : 12 mars 2021 à 18:54
    par malbéqui danielle , Le 15 octobre 2020 à 12:28

    bonjour
    en indivision ,depuis 20ans ,...........
    - et en justice -actuellement 3ème avocats -, le premier avait déjà demandé un loyer d’occupation ,obtenu du juge ,en 2004 ,mais n’ayant jamais abouti ,....---aucune entente sur les évaluations totales des biens !
    ...dans ce cas, aujourdh’ui ,est-ce que mon avocat actuel peut demander une indemnitè depuis cette date ?!
    grand merci à vous .
    d .malbéqui

  • Question corollaire : Ces lois sont elles spécifiques, ou trouvent elles un parallele pour les indivisions de fait que peuvent constituer des sci familiales ? Exemple : A supposer que la sci ne prélève pas de loyer sur les logements privatifs de ses membres, mais que le gerant [détenteur des clés] veuille étende soudain son emprise privative sur des parties communes... Les autres associés pourront tenter après sommation etc, de révoquer le gerant, mais pourront ils faire valoir un loyer ?

    • par Jean-Bernard GENNARDI , Le 9 mars 2020 à 13:24

      Bonjour,
      J’expose le cas de notre famille et notre mésentente.
      Nous sommes trois enfants issus d’un couple et si maman est toujours en vie, papa est décédé en 2004. Nos parents ont acquis un hangar commercial monté en S.C.I. en date du 12 mai 1999. Au cours de l’année 2006 et jusqu’à ce jour, le 9 mars 2020, notre frère a décidé, sans nous informer, d’implanter le siège social de sa société et s’installer à l’adresse de ce hangar commercial et... qui plus est, sans s’acquitter du moindre loyer ou quelconque indemnité. A savoir que le loyer mensuel de ce hangar est évalué à 4 000 euros. Au cours d’une récente réunion de famille et en l’absence de maman souffrante, j’ai évoqué cette absence d’indemnité d’occupation. Mon frère m’a alors répondu : ’’ Maman fait ce qu’elle veut de son bien et de son argent de son vivant ’’. Je précise qu’une Assemblée Générale de la S.C.I. doit se tenir en les locaux d’un huissier et... en la présence de ce dernier le mardi 07 avril 2020. Il me serait agréable de savoir au cours de cette A.G. si ma soeur et moi pouvons prétendre à un éventuel dédommagement.
      J’ai hâte de lire votre réponse. Cordialement : J.B. GENNARDI

    • par Maître Pauline DARMIGNY , Le 9 mars 2020 à 15:21

      Bonjour Monsieur,

      Je vous remercie de votre message et vous invite à contacter directement mon cabinet, pour une consultation personnalisée et sur-mesure adaptée à votre situation.

      Cordialement.

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