Techniques et limites de la finance participative du contrat de la mourabaha aux yeux de la loi marocaine.

Par Mohammed Ait Mouhatta.

24402 lectures 1re Parution: Modifié: 1 commentaire 4.99  /5

Explorer : # finance participative # mourabaha # droit islamique # fiscalité

« Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts, que l’argent est la clefs de tous les grands ressorts, et que ce doux métal qui frappe tant de têtes, en amour, comme en guerre, avance les conquêtes. » Molière, l’école des femmes, acte I, scène 4.

-

L’article 58 de la loi 103-12 qualifie la mourabaha comme « tout contrat par lequel une banque participative vend à son client un bien meuble ou immeuble déterminé et propriété de cette banque à son coût d’acquisition augmenté d’une marge bénéficiaire, convenue d’avance ».
Le paiement par le client au titre de cette opération est effectué selon les modalités convenues entre les deux parties.
La circulaire du Wali de Bank Al-Maghrib n°1/W/17 du 27 janvier 2017 relative aux spécificités techniques des produits Ijara, Mourabaha,Moucharaka, Moudaraba, Salam, ainsi que les modalités de leur présentation à la clientèle, publiée au Bulletin officiel n°6548 du 2 mars 2017 après avoir été avalisée par le Conseil supérieur des Oulémas (CSO) définie la mourabaha comme étant tout contrat par lequel une banque vend à son client un bien meuble ou immeuble qui lui appartient à son coût d’acquisition (prix d’achat et frais d’acquisition), augmenté d’une marge bénéficiaire. Ces trois composantes (prix d’achat, coût d’acquisition et marge) ne peuvent faire l’objet d’aucune augmentation par la suite.

Ladite circulaire, qui est venue compléter la loi 103-12, introduit la « Mourabaha pour le donneur d’ordre d’achat », un contrat à travers lequel l’établissement peut acquérir un bien immeuble ou meuble à la demande du client en vue de le lui vendre dans le cadre d’un contrat Mourabaha. C’est ce type de montage qui est appelé à être utilisé par les banques notamment pour proposer des financements immobiliers ou automobiles aux particuliers. Il faut retenir que dans ce cas, le contrat de Mourabaha peut être précédé d’une promesse unilatérale d’achat faite par le client, ayant un caractère obligatoire pour lui, dès lors que la banque a la propriété du bien. La promesse fixe les caractéristiques du bien ainsi que les modalités et le délai de sa livraison au client.

L’établissement peut même demander le paiement d’un montant en numéraire appelé « hamish al jiddiya » en garantie de l’exécution de la promesse faite par le client. Ce montant ne peut dépasser un pourcentage du coût d’acquisition du bien. La banque garde ce dépôt de garantie dans un compte dédié et ne peut en disposer. Si elle ne livre pas le bien au client à l’échéance fixée et selon les modalités et les caractéristiques déterminées dans la promesse, l’engagement né de la promesse prend fin, et le client peut récupérer immédiatement son argent. Il peut également le récupérer immédiatement après la conclusion du contrat de Mourabaha ou si l’établissement renonce à le faire. En revanche, si le client n’honore pas sa promesse d’achat, l’établissement peut retrancher de hamish al jiddiya un montant qui ne doit pas dépasser le préjudice réel subi, causé par l’inexécution de la promesse, sans réclamer le paiement d’aucun montant additionnel.

La circulaire impose enfin un formalisme strict pour la « Mourabaha pour le donneur d’ordre d’achat ». La promesse unilatérale d’achat faite par le client, le contrat d’achat du bien par l’établissement et le contrat Mourabaha doivent donner lieu à trois actes distincts, et il est interdit que le contrat d’achat du bien par l’établissement soit conditionné par la conclusion du contrat de Mourabaha. Le nouveau cadre interdit la pratique consistant à fusionner tous les actes de l’opération qui avait cours dans la précédente génération de solutions islamiques (produits alternatifs) alors que cela viole les règles de la Charia.

En outre, la circulaire précise d’autres dispositions générales pour la Mourabaha classique et la « Mourabaha pour le donneur d’ordre d’achat », touchant notamment le remboursement anticipé et le défaut de paiement. Sur le premier volet, elle prévoit que le client peut, à son initiative, procéder à tout moment et sans indemnités, au remboursement anticipé de l’intégralité ou d’une partie du prix de vente restant dû. Dans ce cas, l’établissement peut renoncer à une partie de la marge bénéficiaire au profit du client, à condition que cela ne soit pas stipulé dans le contrat. Le contrat doit prévoir expressément que l’établissement n’est pas tenu de renoncer à une partie de la marge bénéficiaire en cas de remboursement anticipé.

S’agissant du défaut de paiement par le client, il faut surtout retenir que la réglementation permet que le contrat de Mourabaha soit assorti de garanties au profit de l’établissement comme l’hypothèque, le cautionnement ou autres sûretés. Mais avant de faire jouer la garantie, l’établissement peut exiger le paiement d’une partie ou de l’intégralité du prix restant dû après la mise en demeure du client, ou après l’expiration d’un délai fixé, ou immédiatement après le défaut de paiement. La banque peut également demander au client de s’engager à payer un montant convenu entre les parties, qui doit être versé à des œuvres caritatives, désignées par le wali de Bank Al Maghrib après avis du CSO, à condition que ce montant ne dépasse pas un pourcentage déterminé des échéances impayées dans les délais fixés dans le contrat.

L’originalité de la mourabaha réside dans la combinaison obligatoire du prix d’acquisition initiale et d’une marge bénifciaire.ces deux éléments intrinsèques à la mourabaha représentent «  le prix de revente qui peut être acquitté au comptant ou échelonné. Ces deux éléments (connaissance par l’acquéreur du prix d’acquisition initial, et intégration d’une marge bénéficiaires) permettent de la distinguer d’autres contrats de vente ». Cette opération est fondée sur le principe de la vente à tempérament, utilisé en finance islamique.

Pour rester dans la légalité islamique, les banques islamiques et les filiales islamiques des banques conventionnelles ont développé des mécanismes juridico-financiers pour contourner l’interdiction du prêt à intérêt (hiyal) et rémunérer l’apporteur de capitaux. Ces derniers se fondent sur des concepts nommés moudaraba, mousharaka, ijara et mourabaha.

Chapitre 1 : techniques de la finance participative du contrat de mourabaha

En finance participative on ne peut recourir au crédit classique assorti du paiement d’un intérêt : il utilise alors la technique du mourabaha ; qui est de fait, l’opération la plus fréquente. Elle est mise en place dans de nombreuses circonstances, comme, par exemple, le crédit d’équipement ; le crédit de compagne, le crédit à la consommation pour des particuliers…

Le mourabaha, est tout indiqué par les opérations commerciales simples, mais se trouve mal adapté à des financements complexes comme le financement des projets. Il est donc utilisé pour les besoins d’exploitation courante (stocks, matières premières, produits intermédiaire…) de court terme.

Par ailleurs, le fait que la banque acquière le bien pour le compte du client peut servir à ménager la confidentialité sur l’identité de celui-ci.
Le principe du mourabaha voit intervenir un vendeur et un acheteur : un client contacte un fournisseur et lui désigne le bien qu’il désire lui acheter, les informations pertinentes comme le coût du bien et la marge du vendeur étant alors fixées. Après accord, le bien et la propriété de celui-ci sont transférés à l’acheteur qui paie le prix convenu à l’échéance (ou aux échéances prévues).
Le plus souvent le mourabaha fait intervenir un tiers et peut prévoir la présence d’un agent.

Section 1 : principaux éléments juridiques

Il est d’abord évident que l’objet de l’achat doit être licite. Pour des biens matériels ; la distinction peut être aisée. Pour les biens immatériels, la question se pose sans réponse unanime : par exemple peut-on céder ses droits ?

Cela étant dit, l’opération comporte trois phases successives : la demande du client au banquier d’effectuer en achat ; l’achat du bien par le banquier auprès du vendeur, le rachat du bien au banquier par le client.
Juridiquement apparaissent trois conventions :
La promesse d’achat/vente entre la banque et son client ; qui concerne la phase 1, stipule, notamment, les caractéristiques du bien et les conditions matérielles de l’opération comme le prix, la date et l’endroit de livraison ainsi que diverses garanties. C’est là que l’on indiquera dans quelle mesure la commande du client est révocables et les conditions éventuelles d’indemnisation en cas de révocation.

Dès que son client a manifesté son souhait d’acheter le bien en question par son intermédiaire, la banque peut procéder à l’acquisition. Le contrat de vente qui se met en place au cours de la deuxième phase de l’opération est établi entre la la banque et le vendeur du bien, la vente devant être réalisée obligatoirement avant la mise en place de la troisième phase de l’opération. Le document précise si la banque confère à un tiers le droit de prendre livraison de la marchandise. Ces tiers peut d’ailleurs être le client donneur d’ordre mais un contrat séparé devra alors être rédigé afin d’éviter toute ambigüité avec le contrat principal du mourabaha. La banque est responsable se la conformité du bien acheté à la commande ainsi que son bon état : elle assume donc les risques de la chose au cours de la transaction.

Enfin, la partie du contrat proprement dit de mourabaha concernant la troisième phase stipule que celle-ci ne peut intervenir qu’après livraison de la marchandise. Les termes et conditions des phases précédantes y sont rappelés. C’est à cette étape que se fait le transfert de propriété du bien au profit du client. Les éventuelles garanties prises par le banquier doivent être mentionnées dans ce document.

Qu’en est-il, en effet, de la promesse d’achat de vente ?

La volatilité du marché du bien, à la hausse ou à la baisse, peut conduire l’une ou l’autre partie à ne pas tenir son engagement.
Même si dans le cas de mourabaha, il semble généralement que l’on considère la promesse comme devant être tenue ; il existe une panoplie de clauses et de méthodes permettant à la banque de diminuer le risque de contrepartie à l’égard de son client.
Ainsi la banque peut-elle demander au client de la représenter auprès du fournisseur et de régler celui-ci directement, à charge pour elle de le rembourser ensuite.

Il arrive que la banque ne souhaite pas effectuer elle-même les démarches, même si son client lui décrit le bien de la manière la plus précise, il est toujours possible qu’elle commette une erreur. Notamment en cas d’imprévu. Pour éviter ce désagrément, la banque peut désigner son client comme son agent. Si un tel contrat d’affaires s’instaure, la banque peut signer avec son client un accord général (master agreement mourabaha) encadrant leurs transactions unitaires.
Dans ce troisième cas de figure, la relation commence par un accord entre la banque et le client où la première promet de vendre au second qui, en regard, s’engage à acheter un bien identifié au prix et avec la marge convenue. La banque mandate ensuite le client comme son agent. Le client choisit le vendeur et le bien au nom de la banque, qu’il informe par écrit de tous les détails de la transaction à effectuer. Le vendeur livre le client de la banque sous le contrôle de celle-ci. La banque effectue ensuite le paiement au bénéfice du vendeur. Le contrat d’agent se termine avec la vente du bien par la banque aux pris convenu incluant la marge, lui transférant ainsi la propriété de la marchandise. En fin, le client paie le prix aux échéances prévues.
En remarque les différents rôles de la banque et de son client dans les trois formules du mourabaha. Le premier lien est une promesse d’achat du client. Il existe ensuite une convention d’achat /vente entre les deux. Il peut aussi y avoir un mandat d’agent. Enfin, lorsque le paiement est différé, ce qui est souvent le cas, l’un est créancier de l’autre.

D’une manière générale, la rémunération de la banque tient compte de plusieurs facteurs : une marge plus élevées sera prélevée si la rentabilité de la marchandise par client est importante ou encore s’il s’agit d’un bien importé à cause du risque supérieur ; la marge sera plus faible s’il s’agit de produits de première nécessité pour le consommateur

La revente de la marchandise à son client peut s’assortir d’un paiement différé par ce dernier : ce crédit n’est toutefois qu’un accessoire de l’opération principale qui est avant tout commercial. Pour autant, la banque peut appliquer les pénalités de retard, voire exiger un dédommagement, comptabilisés dans un compte spécifique, sans pouvoir augmenter la marge commerciale et sans se référer à un taux d’intérêt, elle peut aussi prendre possession du gage qu’elle aura eu la précaution de constituer sur le bien vendu.
Cependant, le rééchelonnement de la dette peut être gratuit, en vertu de l’intéressement des deux opérations à la bonne foi du projet, notamment en cas de difficulté particulière du client dans la revente di bien acquis.

Il est très important, sur le plan juridique, de prendre toutes les précautions permettant d’éviter que le système soit atteint par le riba ou le gharar.

Section 2 : Précautions juridiques

Économiquement, le mourabaha ressemble à intérêt et c’est ainsi que, dans certains banques, il est traité dans les dispositifs informatiques comptables. Pour éviter que cette assimilation soit faite juridiquement un certain nombre de précautions doivent être prise.
Tout d’abord, le bien doit exister physiquement dans les mains du vendeur au moment de la vente. La banque, ensuite, doit détenir juridiquement le bien avant de le céder à son client au cas où la banque ne détiendrait pas matériellement le bien, lui faudrait en revanche, en assurer le contrôle et en assurer les droits, les engagements et les risques attachés à ce contrôle , comme le risque de destruction.
La possession des documents adéquats démontrant la propriété de la banque peut être admise en remplacement de la détention physique du bien.
Le risque supporté par la banque, même si c’est pour une durée courte et transitoire, légitime son profit et écarte la requalification en riba.

Par ailleurs, la différence de prix entre le comptant et le terme ne provient pas seulement du laps de temps qui s’écoule entre les échéances mais du fait que le vendeur peut fixer son prix de vente librement. Pour autant, on a remarqué que le profit était souvent déterminé en fonction du taux rapprochant ainsi,au mois en apparence, le mourabaha d’un prêt à intérêt. Il se trouve, en effet, que les profits des produits conventionnels et ceux des produits islamiques s’alignent les uns sur les autres dans un marché global- toute fois, le taux pour le mourabaha ne peut être fixe, en aucun cas variable car le prix doit être fixé dès l’origine du contrat. Quant aux écarts de date dans le paiement de la dette, en avance comme en retard, ils ne peuvent donner lieu à modification du prix du bien, le banquier pouvant, à sa seule discrétion, néanmoins ne pas être contractuel.

En second lieu, l’exigence de la spécification, au moment de la conclusion du contrat, du prix du bien et des conditions exactes du paiement, permet d’éviter la requalification du contrat en gharar et d’éloigner les causes de conflit entre les parties.

Enfin, le traitement des problèmes de délais et de défaut de paiement peut être envisagé de différentes façons :
- exiger du client défaillant qu’il verse une certaine somme à une œuvre charitable. La banque perçoit la somme en question et l’utilise au nom du client dans but caritatif. Cette technique vise à éviter que le mauvais payeur tire profit de sa défaillance mais ne constitue pas une compensation pour la banque.
- il est possible de demander au client de verser une compensation basée sur le taux de profit que réalise la banque sur ses comptes d’investissements. Toutes fois, si la banque ne réalise pas le projet pendant la période de défaut, elle ne peut prétendre à aucune compensation. Par ailleurs, cette solution consistant à compenser la perte du banquier ne fait pas partie de la philosophie di droit islamique ;
Une clause de déchéance du terme peut être insérée dans le contrat mais cela peut causer des difficultés à l’emprunteur et compromettre encore plus la créance de la banque ;
- une solution classique est constituée par une prise de garantie sous forme d’hypothèque ou de gage sur un bien du client, également par l’obtention d’une caution d’un tiers. Des règles juridiques particulières s’attachent à ces garanties. Il est aussi possible à la banque de se faire donner une lettre de change.
- une autre solution est encore de restructurer la dette en modifiant son calendrier. Il est va de soi que, conformément au droit islamique, le rééchelonnement n’entraine pas de facturation au client ;
- Enfin, on observe dans certain cas une clause permettant au créancier de placer le débiteur défaillant sur une liste de mauvais payeurs, accessible à l’ensemble des banques. Ce système existe en France avec l’enregistrement dans un fichier géré par la banque de France.
Selon la charia, toutefois, si cette liste est licite, le créancier ne doit procéder à la déclaration du débiteur défaillant qu’après s’être assuré que le défaut de paiement était volontaire, faute de quoi il doit consentir à ce dernier des délais de paiement conformément aux principes islamiques

Cette technique de financement a certes connu un grand succès mais certaines critiques lui ont été adressées. D’abord, d’un point de vue financier, la banque prend de gros risques car l’achat des marchandises par le donneur d’ordre n’est pas une obligation légale. Le client risque de ne pas accepter la marchandise et la banque devra alors assurer elle-même son écoulement. De plus, elle devra gérer le risque de retard de paiement ou le non paiement par le client. Les pénalités de retard instaurées ressemblent étrangement à des intérêts moratoires, pourtant interdits par la Charia.
De façon plus générale, l’on reproche, à raison, à ce type de contrat de contourner hypocritement l’interdiction du riba en instaurant une marge bénéficiaire qui s’y apparente étrangement.

Malgré le travail fourni par le législateur avec les instances de conformité, plus particulièrement le COS, pour harmoniser le contrat mourabaha avec le contrat traditionnel, la mourabaha reste ambigu dans le partage du risque et du bénéfice entre la banque et le client et se confronte à des difficultés concernant l’imposition fiscaux et le droit de timbrage et d’enregistrement.

Chapitre 2 : Contraintes du contrat de mourbaha

Le législateur Marocain essayé par la loi 103- 12 et la Circulaire du Wali de Bank Al-Maghrib n°1/W/17 de concilier la charia et la loi moderne par des produits comme le contrat de mourabaha pour autant ledit contrat rencontre des difficultés de la marge de bénéfice et des frottements fiscaux.

Section 1 : Risque et marge bénéficiaire

La mourabaha demeure parmi les produits islamiques les plus largement utilisés. Toutefois, de nombreux économistes contestent ce mode de financement et assimilent la marge bénéficiaire qui découle de la revente a du riba (intérêt). Ce point est renforcé par le fait qu’une banque islamique semble ne supporter aucun risque dans une opération de mourabaha dans la mesure où c’est le client qui demande à la banque d’acquérir un bien pour qu’il puisse l’acheter ensuite. Ainsi, le client signe une promesse d’achat avant même que la banque ait acheté ledit bien objet de leur futur contrat. Cependant, le risque est bel et bien présent dans ce contrat : Le fait que le client signe une promesse d’achat, ne garantit pas la revente pour la banque islamique. De même, le contrat de vente entre la banque islamique et le fournisseur et celui signé entre la même banque et le client ne sont pas simultanés. De ce fait, il s’écoule un temps pendant lequel la banque est propriétaire dudit bien et donc supporte tous les risques liés à sa propriété. Il est possible, par exemple, que le bien acheté par la banque islamique se détériore avant la signature du second contrat de vente. Dans ce cas, le client est libéré de son engagement qui découle de la promesse d’achat compte tenu de l’absence de l’objet de sa promesse d’achat. D’un autre coté, si le client venait à décéder avant la signature du second contrat de vente et bien la banque serait contrainte de chercher un nouvel acquéreur. En effet, une promesse d’achat ne suffit pas à elle seule à transférer les engagements du client sur ses ayants droits. Là encore, la banque islamique devra chercher un nouvel acquéreur. De plus, le fait de mentionner dans le premier contrat entre la banque islamique et le fournisseur, la personne émettrice de l’ordre d’achat (l’acheteur final) comme son agent recevant la marchandise achetée par elle ne suffit pas à faire disparaître le risque qu’elle supporte. Dans ce dernier cas il n’y a pas transfert de propriété tant que le second contrat ne sera pas signé. Et le second contrat ne peut être signé que si la banque est devenue propriétaire du bien qu’elle compte par la suite vendre au client. En outre, un client qui serait placé par décision judiciaire sous tutelle avant d’avoir signé le second contrat de vente, ne sera plus engagé par sa promesse d’achat. Là encore, la banque islamique devra se débrouiller pour trouver un nouvel acquéreur. En définitive, le risque est toujours présent dans le contrat de mourabaha ce qui est une preuve de sa licéité au plan de la charia.

Malgré que la technique de mourabaha soit la plus répondue, elle rencontre de nombreuses critiques :
- Les promesses d’achat et de vente seraient illicites dans la mesure où elles imposent des obligations incontrôlables puisque l’acheteur promet d’acheter un bien qu’il n’a pas encore vu et que le vendeur promet de vendre un bien qu’il ne possède pas encore ;
- Si le prix différé est plus élevé que le prix au comptant, cela reviendrait à la rémunération d’un prêt, pratique entaché de ribat ;
- En pratique, des pénalités sont facturées en cas de retard de paiement alors que le débiteur devrait en être exonéré ;
- En définitive, le mourabaha serait un contournement de la charia car il s’agit d’un crédit déguisé : montant et échéance sont fixés à l’avance et la marge est certaine au défaut de paiement près.

Néanmoins, ce processus ressemble tant à celui de l’intérêt qu’on estime qu’il ne s’agit que d’un arrangement cosmétique à l’intérêt. Ici, une banque conventionnelle aurait simplement proposé un intérêt à 5 %, ce qui revient exactement au même pour l’emprunteur (mais pas pour la banque car une banque conventionnelle n’a pas besoin de posséder tout le capital qu’elle prête).

La pratique de la mourabaha a été très controversée dans les premières années de la finance islamique pour ces raisons. Ce qui rend convenable ce système aux yeux de l’Islam est la prise en charge des risques par la banque lors de l’acquisition de l’objet. Le risque (de perte, de casse etc.) est partagé entre le prêteur et l’emprunteur à différents moments. Le problème est bien sûr quand ce « temps » de partage des risques est très faible pour le prêteur. De nos jours, la mourabaha consiste en un temps de détention de l’ordre de quelques minutes par la banque du bien. Dans ce cas, le partage des risques est quasi inexistant et le mécanisme se rapproche considérablement de celui de l’intérêt.

A ces critiques s’ajoutent les dissensions sur la pratique du double mourabaha qui est une opération largement pratiquée par les banques islamiques, au moins d’après ce que l’on en voit en Occident. Elle fait l’objet d’une controverse doctrinale. On peut la résumer de la manière ci-dessous :
Sur proposition d’un client, une banque achète une marchandise pour la revendre à ce client moyennant un paiement comptant du prix (premier mourabaha). Le client cède alors immédiatement ladite marchandise à la même banque mais le paiement se fera à une échéance ultérieur et le prix de la marchandise sera plus élevé (second mourabaha). De cette manière, économiquement parlant, le client perçoit à terme un montant plus élevé que celui qu’il a versé au comptant en échange d’une immobilisation de ses fonds pendant une certaine période.
Certains voient dans cette double opération de vente au comptant puis à crédit un placement à terme rémunéré par un intérêt.

Une conférence tenue à Dubai en 1979 a mis à jour des divergences sur le sujet et notamment les arguments des contempteurs de cette technique qui excipent de l’avis des fondateurs des écoles malikites et chaféite. Toutefois, la majorité des juristes semblent accepter cette opération.
En effet, en principe, lorsqu’il propose à la banque d’acheter la marchandise, le client ne s’engage pas à la racheter ensuite : l’opération peut ainsi s’analyser en la succession de deux promesses d’achat générant donc une part de risque de contrepartie.

L’opération comporte en effet deux risques :
L’un est lié à l’achat de marchandise avec les aléas de ce type de transaction (retards, détérioration, qualité inappropriée ….) le client peut faire défaut.
Au surplus, la banque apporte un service particulier au client quand elle choisit le vendeur : celle –ci peut préférer traiter avec une banque plutôt qu’avec une entreprise qu’il ne connait pas nécessairement, et de ce fait, il ne peut consentir à la banque un prix plus bas dont bénéficie le client.
L’opération enregistre donc les deux éléments caractérisés de la finance islamique : la prise de risque et le travail effectué.
Plus généralement, même si l’ensemble du contrat est rédigé de manière correcte, et demeure des difficultés d’interprétation dues au flou qui entoure un certain nombre de notions.
Les réponses peuvent bien entendu, différer selon les spécialistes et notamment selon les écoles traditionnelles de pensée.
C’est ainsi que, en 1930, un savant religieux syrien, du nom de Marouf-al-Doualibi, recommanda de limiter l’interdiction de l’intérêt aux prêts à la consommation, les prêts à l’investissement assortis d’un intérêt étant alors toléré.
En 1989, le Mufti de la République d’Égypte déclara, dans une fatwa, que l’intérêt gagné sur certains bons émis par le gouvernement égyptien était licite : Il s’agissait d’un partage des profits avec l’État.
Il n’a pas été non plus reproché à des musulmans d’avoir prêté à intérêt à des non-musulmans, pratique en vigueur en Europe lorsque les juifs prêtaient aux chrétiens, pour que l’intérêt perçu soit versé à des œuvres charitables.
On a pu aussi autoriser les entreprises à souscrire des emprunts portant intérêt auprès de banques conventionnelles à condition qu’elles ne représentent qu’une part faible de l’actif de l’entreprise.

En plus du problème de partage de risque entre la banque et le client, le fisc connait des frottements que les autorités compétentes doivent en trouver des solutions.

Section 2 : Les frottements fiscaux

Si on prend le cas des contrats Mourabaha, qui constituent, au Maroc − toute proportion gardée − la catégorie de produits islamiques prédominante, on remarque qu’au départ, en 2007, ils ont été assujettis à une double taxation au titre des droits d’enregistrement : à l’acquisition du bien par la banque et à l’occasion du transfert de sa propriété au client. Bien évidemment la banque répercute le paiement de la taxe qu’elle paye dans la marge qu’elle facture au client.
Il y a eu aussi un deuxième biais fiscal concernant, cette fois-ci, l’imposition à la TVA des remboursements de crédits Mourabaha. En effet, les traites islamiques ont été imposées au taux commun des 20% alors que, sur les services bancaires conventionnels, le taux est de 10%.
Plus aberrant encore, le taux de 20% s’appliquait aussi bien sur le remboursement du capital que sur la marge alors que dans les prêts conventionnels, seuls les intérêts sont assujettis à la TVA.

Ces deux biais découlent de l’assimilation des produits islamiques par l’administration fiscale à des transactions commerciales et non bancaires. Et, ils ne sont pas les seules conséquences puisque, en outre, le client n’a pas la possibilité, en matière d’impôt sur le revenu, de déduire la marge de son assiette imposable à l’instar des crédits conventionnels.

Récapitulons : Le client marocain désireux de contracter un crédit « conforme à ses convictions » doit :
- Payer le double des droits d’enregistrement ;
- Être taxé au double de la TVA ;
- S’acquitter de ce double de la TVA et sur le capital et sur la marge ;
- Et, enfin, accepter la non déduction de la marge de l’impôt sur le revenu.

Résultat final : Peu, très peu d’engouement, on s’en doute, de la part des clients.
Il faut dire, cependant, que l’administration fiscale a fait en sorte de rectifier le tir. D’abord, l’anomalie des droits d’enregistrement qui, depuis la LF 2009, ne sont payés qu’une seule fois. Ensuite, celle concernant la TVA avec la réduction, depuis la LF 2010, du taux d’imposition de 20% à 10% mais aussi et surtout l’application de ce taux à la marge, uniquement. La LF 2010 a également instauré la déductibilité de la marge payée par le client de son impôt sur le revenu, en alignant la limite de la déductibilité de la marge sur celle appliquée dans le cadre des crédits bancaires, à savoir 10% du revenu global imposable.
Pour leur part, les banques n’ont pas été oubliées dans le dispositif de neutralisation fiscale.

En effet, le fisc leur a permis, à partir de 2010, la possibilité d’étaler l’imposition de leur marge bénéficiaire sur toute la durée du crédit. « Dans l’ancien régime, elles étaient contraintes de payer intégralement l’impôt au début du contrat, avant même de percevoir le bénéfice sur lequel il est prélevé. »

En revanche, subsiste un problème, et non des moindres, non encore résolu pour les banques en matière de fiscalité des produits alternatifs. Il s’agit du problème du crédit de TVA. En fait, quand la banque achète un bien qu’elle revendra à son client dans le cadre d’un contrat de Mourabaha, elle l’achète au taux de TVA de 20% (opération commerciale) et quand elle le revend à son client, elle le lui revend au taux de TVA de 10% (opération bancaire). Et, ce différentiel constituera, pour elle, un crédit d’impôt qu’elle réclamera au fisc. Sauf que, comme on a l’habitude de le dire, l’État est un mauvais payeur, on imagine donc bien les difficultés pour les banques.

Mohammed Ait Mouhatta.
Chercheur en Droit public et sciences politiques, Laboratoire EPGOT , FSJES Mohammedia, Maroc

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

118 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27843 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs