Un point sur le bouclier fiscal : sa réglementation, ses résultats, par Vincent Pilarczyk et Hubert Mroz, notaires stagiaires.

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Hubert MROZ (h.mroz chez notaires-roubaix.fr) et Vincent PILARCZYK (vincent.pilarczyk chez notaires.fr), Notaires stagiaires, sont membres de l’INES Nord Pas de Calais (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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Les questions fiscales sont toujours à manipuler avec d’infinies précautions dans la mesure où elles sont systématiquement teintées de considérations et d’arrière-pensées diverses et variées sur l’économie et -in fine - sur les règles de répartitions des richesses au sein de la population.

Dans le cadre de la modification progressive du paysage fiscal français, le bien nommé « bouclier fiscal » y occupe une place particulière et mérite que l’on revienne sur sa récente adoption, sa très rapide modification et les premiers résultats qui se dessinent.

Devant les différentes controverses suscitées par cette nouvelle institution fiscale, il nous est apparu important d’aborder un certain nombre de questions : les principes initiaux, les difficultés rencontrées, les évolutions et enfin, après 2 ans « d’utilisation » les conséquences et usages pratiques de ce dispositif.

C’est la loi de finances pour 2006 (loi n°2005-1719 du 30 décembre 2005), qui, en son article 74, a créé le bouclier fiscal.

A l’époque, le principe raisonne à travers les couloirs du Parlement, «  les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 60 % de ses revenus ».

Comme s’il fallait lui donner une valeur suprême - à l’instar de ce qui a été décidé par la Cour constitutionnelle allemande- le législateur français a intégré cette disposition de manière stratégique. C’est à ce jour l’objet de l’article 1er de notre code général des impôts.

Quel est le principe de fonctionnement du bouclier fiscal ? Depuis la loi TEPA du 21 août 2007, il consiste à considérer que les impôts directs d’un foyer fiscal dus au titre d’une année civile (1er janvier - 31 décembre) ne peuvent excéder la moitié des revenus perçus au cours de cette même année par ce foyer.

Il reste à déterminer quels sont les revenus à prendre en compte et quels sont les impôts touchés par cette limitation.

Quels sont les revenus à prendre en compte pour déterminer le seuil des 50% ? La liste de ces revenus est établie de manière précise et comprend notamment les revenus nets soumis à l’impôt sur le revenu, plus-values mobilières et immobilières, les revenus et produits soumis aux prélèvements forfaitaires libératoires. Le calcul du montant total de ces revenus nécessite un petit traitement et ne se limite pas au total "brut" des revenus perçus comme on pourrait l’espérer au premier abord.

Quels sont les impôts et prélèvements dont le total ne peut excéder 50% des revenus ? A nouveau la liste est assez précise et comprend l’impôt sur le revenu, l’impôt de plus-value, l’impôt de solidarité sur la fortune, les taxes foncières et taxes d’habitation liées à la résidence principale. Depuis la loi TEPA du 21 août 2007, cette liste comprend également les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, etc).

L’insertion des prélèvements sociaux dans cette liste constitue une avancée importante du régime du "bouclier fiscal". Il faut rappeler que ces prélèvements s’élèvent aujourd’hui à 11% des revenus assujettis, ce qui n’est pas négligeable, loin s’en faut. Une partie de ces prélèvements sociaux est déductible de l’impôt sur le revenu, mais la fraction irréductible de ces prélèvements, quelque soient les simulations, ne pourra être inférieure à 8,68 %.

Le montant des impositions à prendre en compte doit correspondre à des impôts payés en France et établis d’après des bases régulièrement déclarées.

Il serait en effet trop simple de se prévaloir du "bouclier fiscal" pour se prémunir d’un redressement d’impôt dont le montant pourrait excéder le fameux seuil de 50% des revenus. Cela revient à dire que l’administration fiscale exige que l’imposition soit établie d’après des bases et valeurs régulières, pour ensuite admettre l’exonération de tout ou partie de l’impôt au titre du bouclier fiscal.

Techniquement parlant, le "bouclier fiscal" s’analyse comme un « droit à restitution » car, en réalité, pour déterminer s’il peut être mis en œuvre, il faut analyser les revenus déclarés et les impôts payés au titre de l’année de rattachement des revenus.

L’ISF au cœur du dispositif - L’impôt sur le revenu étant proportionnel aux revenus, à un taux inférieur à 50%, on comprend vite que le "bouclier fiscal" a pour finalité de réduire les impôts assis sur la détention du patrimoine (ISF et taxes foncières)

En effet l’objectif principal est d’éviter que les contribuables ayant un patrimoine important (ou réputé comme tel du fait notamment de la hausse des prix de l’immobilier comme c’est le cas pour les "médiatiques contribuables de l’Ile de Ré") mais sans revenus correspondants ne soient contraints de se séparer de certains biens pour payer l’impôt. Cette situation est d’autant plus inique que ces biens ont la plupart du temps été acquis avec des revenus, reçus par suite de donations ou d’héritages ayant eux-mêmes subis l’impôt !

Il s’avère également vital pour les pouvoirs publics de stopper le flux des contribuables qui quittent le territoire en estimant être surtaxés. Le département du Nord est particulièrement touché par sa situation frontalière avec la Belgique et les exemples d’expatriation de grosses fortunes industrielles de la région sont nombreux.

Ces dernières années, les gouvernements successifs ont pris conscience que le « manque à gagner » résultant du départ d’un contribuable est fatalement supérieur à celui qui peut exister quand le contribuable reste en France en optimisant sa fiscalité, puisque l’expatrié ne verse dans ce cas plus aucun impôt à la collectivité et l’emploi du "patrimoine expatrié" ne profite plus à la croissance de la richesse nationale.

L’impôt de solidarité sur la fortune s’est, au fil du temps et du fait de législations adoptées « par strates », complexifié à tel point qu’il est, à ce jour, affecté de la règle dite du « double plafonnement » qui résume bien son manque de lisibilité :
- l’ISF ne peut, à lui seul, excéder 85 % des revenus du contribuable,
- Et si celui-ci excède 85 % il ne pourra qu’être réduit de moitié (sans être inférieur à 11.530 euros par an).

La technique avait initialement été créée par un décret du 14 juillet 1989 et a subit cinq modifications depuis…

Elle revient à afficher un plafonnement de l’impôt en en nuançant tellement les effets que ce dernier se révèle complètement illusoire.

Elle ne permet pas aux contribuables cités ci-dessus de maintenir leur situation économique et patrimoniale.

Le mécanisme du bouclier fiscal vient alors se superposer à cette règle ! C’est-à-dire que le bouclier fiscal jouera et s’ajoutera si le mécanisme du « double plafonnement » conduit à ce que le contribuable soit toujours en position d’être taxé à plus de 50% de ces revenus !

On pourra donc désormais grâce à lui reprendre une phrase bien connue, «  on travaille dans ce cas - au moins la moitié de l’année - pour soi-même ».

Par ailleurs, la problématique des impositions assises sur le patrimoine (ISF, taxes foncières) ne touche pas que les « grosses fortunes » de notre pays mais aussi les salariés ou entrepreneurs qui ont réussi à développer par le travail ou reçu par voie successorale un patrimoine personnel (qui se limite même parfois à la résidence principale, comme c’est la cas pour le très médiatique exemple des familles ancestrales de l’Ile de Ré) mais qui n’ont pas toujours un revenu suffisant pour faire face au coût de la vie et à l’ensemble de la fiscalité.

Quels résultats après 2 ans d’application ?

L’administration s’est engagée - par communiqué - à ne pas exercer de contrôle systématique des dossiers qui lui sont présentés.

La crainte du contrôle notamment, aurait eu pour conséquence de freiner l’application du dispositif qui, en 2006 devait déjà se traduire selon les estimations par le versement de plus de 250 millions d’Euros au profit de 12.000 à 15 000 contribuables et en 2007 à 401 millions d’Euros au profit de plus de 93.000 bénéficiaires estimés

Les services fiscaux n’ont reçu que 20.177 demandes de remboursement de restitution au cours de l’année dernière, dont 20% de demandes infondées

Un dispositif de relance des bénéficiaires potentiels avait alors été mis en place par le ministère pour informer ces derniers qu’ils avaient jusqu’au 31 décembre pour se manifester.

Il a permis « d’enregistrer au cours des deux derniers mois de l’année 2007 six fois plus de demandes qu’au cours des dix mois précédents », a indiqué Eric Woerth, ministre du Budget. Cela a sans doute surtout tenu à l’abaissement du seuil de 60% à 50% par la loi TEPA et à la très large médiatisation du dispositif.

«  Plus de la moitié des demandes déposées en 2007 concerne des remboursements inférieurs à 800 euros » selon la ministère qui indique dans un communiqué qu’un bon nombre de ces demandes de faibles montants proviennent de titulaires de minima sociaux redevables d’une taxe foncière au titre de leur habitation principale. Cela confirmerait bien que le bouclier ne profite pas qu’aux hauts patrimoines comme il l’est souvent affirmé.

EN CONCLUSION, espérons que le bouclier fiscal désormais adopté et intégré par les contribuables et leurs conseils - mais toujours introduit par ces derniers dans le cadre d’une demande dite de « réclamation contentieuse » - pourra permettre de faire admettre l’impôt comme plus juste et éviter l’expatriation des patrimoines importants.

On notera tout de même que d’année en année, la législation fiscale évolue et intègre de nouveaux impératifs, comme la protection de l’économie nationale et le développement des PME. Rappelons notamment que sur la délicate question de l’ISF, dans le cadre du développement et de la transmission d’entreprises, des mesures de faveur significatives ont été adoptées comme par exemple :
- le développement de l’exonération d’ISF pour les biens professionnels,
- l’instauration des "Pactes Dutreil" et des engagements de conservation de parts et d’actions de société faisant naître un abattement,
- les réductions d’ISF et exonération en cas de souscription au capital d’une PME.

CE QU’IL FAUT RETENIR :

- Le bouclier fiscal permet, par foyer fiscal, de limiter à 50% la fraction des revenus nets affectée au paiement de différents impôts
- Le mécanisme a notamment pour objectif d’éviter, après la vente du patrimoine professionnel, le départ à l’étranger des contribuables
- Le Ministère de l’Economie et des Finances estime pour l’année 2007 à 93.000 le nombre de contribuables pouvant bénéficier d’une restitution d’impôt au titre du bouclier fiscal.

Article paru dans LA GAZETTE DU NORD PAS DE CALAIS (www.gazettenpdc.fr) le 28 février 2008.

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