L’obligation du taximètre et la régulation des applications de transport au Maroc.

Par Achraf Sym Tameloucht, Juriste.

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Explorer : # taximètre # sanctions

Au Maroc, le refus d’utilisation du compteur par les petits taxis reste une pratique fréquente, notamment envers les touristes, en dépit de son illégalité avérée. Cet article propose une analyse juridique complète des obligations légales des chauffeurs, des recours ouverts aux usagers et du vide réglementaire entourant les applications de transport comme inDrive. À l’heure où les autorités marocaines planchent sur une réforme du secteur, il est essentiel de faire le point sur les textes en vigueur, les jurisprudences récentes et les tensions croissantes entre taxis traditionnels et services numériques.

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Au Maroc, il arrive souvent que des chauffeurs de petits taxis refusent d’utiliser le compteur et imposent un prix fixe, surtout aux touristes. Dans le même temps, des applications comme inDrive ou Bolt permettent à des conducteurs de proposer des trajets sans passer par le système officiel des taxis. Beaucoup de passagers ne savent pas ce qui est autorisé, ni vers qui se tourner en cas d’abus.

Cet article propose une explication claire des règles en vigueur : quand et pourquoi le compteur est obligatoire, quelles sanctions sont prévues si un chauffeur ne le respecte pas, et ce que dit la loi à propos des applications de transport. Il s’appuie sur les textes juridiques marocains, des décisions locales, et des prises de position officielles pour aider chacun à mieux comprendre ses droits et ses obligations.

I. Les petits taxis sont-ils obligés d’utiliser le compteur au Maroc ?

Oui, et cela repose sur une base juridique claire. Depuis le Dahir du 12 novembre 1963, les petits taxis (2e catégorie) ont l’obligation de démarrer le compteur (taximètre) à chaque course. Ce texte fondateur encadre toujours la profession, même s’il est ancien. En complément, plusieurs arrêtés municipaux et circulaires ministérielles, comme celle du ministère de l’Intérieur en décembre 2024, rappellent l’obligation stricte d’utiliser le taximètre afin de garantir la transparence tarifaire.
La règle est simple : dès qu’un passager monte à bord, le chauffeur doit activer le compteur et appliquer le tarif réglementaire en vigueur dans sa ville. Cette règle s’applique aussi bien pour les citoyens marocains que pour les touristes.
Chaque ville fixe ses tarifs par arrêté local (prise en charge, prix au kilomètre, majoration de nuit, etc.). Par exemple, à Fès, l’arrêté du Wali n°25 du 5 juin 2023 impose une prise en charge à 1,50 DH, et 0,20 DH par kilomètre, avec un minimum de 6 DH. À Casablanca, le tarif de départ est de 2 DH, avec une majoration nocturne automatique de 50%.

II. Y a-t-il des exceptions à cette règle ?

Oui, mais elles varient selon les villes :

  • À Casablanca, les petits taxis n’ont pas le droit d’aller à l’aéroport Mohammed V, situé hors de la ville. Seuls les grands taxis assurent cette liaison, à tarif forfaitaire.
  • À Rabat, l’aéroport est également hors zone. Même principe : seuls les grands taxis peuvent s’y rendre.
  • À Marrakech, c’est différent. L’aéroport Menara est accessible aux petits taxis, mais depuis 2023, des forfaits fixes par zone ont été instaurés : 80 à 160 DH selon la distance et l’heure (décision provinciale d’avril 2023). Dans ce seul cas, le compteur n’est pas utilisé pour ces trajets.

Dans toutes les autres situations, l’usage du compteur reste obligatoire.

III. Quelles sont les sanctions si le chauffeur refuse d’utiliser le compteur ?

Un chauffeur qui impose un tarif fixe hors compteur commet une infraction. Il s’expose à :

  • Une suspension de son permis de confiance (jusqu’à 5 jours dès la première infraction),
  • Des amendes administratives locales (ex. : 200 DH),
  • En cas de récidive ou d’abus grave (arnaque avérée), des poursuites pénales sont possibles (ex. : un chauffeur à Marrakech condamné à 6 mois de prison ferme pour escroquerie envers un touriste).

Depuis fin 2024, le ministère de l’Intérieur a renforcé les contrôles : les taxis refusant le compteur risquent la mise en fourrière du véhicule pendant 15 jours.

IV. Que faire si un chauffeur refuse le compteur ?

Un citoyen ou touriste peut :

  • Déposer une plainte à la Wilaya (souvent via une commission dédiée),
  • Aller au poste de police pour signaler l’infraction (surtout en cas d’arnaque),
  • Relever le numéro du taxi et signaler via des canaux officiels (e-mails, numéros de réclamation),
  • Dans les zones touristiques, faire appel à la police touristique présente sur place.

Certaines villes (comme Casablanca ou Rabat) disposent de bureaux ou plateformes de gestion des plaintes taxi, accessibles même aux étrangers.

V. Et les plateformes comme InDrive, Toogo, Bolt, Careem ?

A. Sont-elles légales ?

Non, sauf exception.

  • InDrive : activité illégale, car les chauffeurs ne sont pas des taxis agréés. Elle n’est ni autorisée ni enregistrée auprès du ministère du Transport ou des collectivités territoriales.
  • Careem (racheté par Uber) et Uber ont quitté le Maroc faute de cadre légal.
  • Bolt est également non autorisée.
  • Heetch, devenue Toogo, opère dans la légalité car elle travaille exclusivement avec des taxis agréés. C’est donc une application de mise en relation, pas une plateforme de VTC au sens classique.

B. Que risquent les chauffeurs qui utilisent ces applications ?

Les non-taxis (particuliers) risquent :

  • Saisie du véhicule (fourrière),
  • Amende (jusqu’à 5 000 DH),
  • Suspension ou retrait du permis de conduire,
  • Poursuites pénales en cas d’accident ou de récidive.

Les taxis agréés qui utilisent une appli non reconnue (comme inDrive) peuvent perdre leur agrément ou subir une suspension administrative.

C. Et les conflits avec les taxis classiques ?

Les tensions sont vives.
Depuis 2015, les taxis ont :

  • Organisé des grèves,
  • Pris part à des manifestations violentes,
  • Traqué les VTC dans la rue (comme à Casablanca avec les "Aigles de Casa"),
  • Obtenu des arrestations de chauffeurs inDrive, parfois même de touristes utilisant ces applis.

Des cas extrêmes ont été jugés :

  • À Rabat, en décembre 2024, cinq chauffeurs de taxi ont été placés en détention provisoire après une course-poursuite avec un véhicule suspecté d’être un VTC. Les autorités les soupçonnent d’avoir mis en danger la vie du conducteur et des passants. L’enquête judiciaire est toujours en cours.
  • Des affaires de faux VTC ont également été démantelées (usurpation, extorsion, vols).

VI. Quelle est la position officielle des autorités ?

Le ministère de l’Intérieur reste ferme : les applications non encadrées sont illégales. Des circulaires (dont celle de 2022 et celle de 2024) ont ordonné aux walis de réprimer le "transport clandestin".

Le ministère du Transport travaille depuis 2023 sur un nouveau cadre juridique pour réguler les VTC, mais rien n’a été voté à ce jour.

Les collectivités locales appliquent les instructions de l’État, en multipliant les contrôles routiers et en coordonnant avec les syndicats de taxis.
Les syndicats de taxis, quant à eux, demandent la digitalisation du secteur avec une application publique unique, mais refusent toute concurrence hors agrément.

Conclusion : En l’état actuel du droit marocain (avril 2025).

  • Tout petit taxi doit utiliser un taximètre sans exception en ville (sauf forfaits aéroport comme à Marrakech),
  • À l’exception de Toogo, qui collabore exclusivement avec des taxis agréés, les applications comme inDrive, Bolt ou Careem opèrent à ce jour en dehors de tout cadre juridique reconnu au Maroc.
  • Le client peut se défendre via des recours légaux bien définis,
  • Le gouvernement prépare une réforme, mais tant qu’elle n’est pas adoptée, la législation actuelle demeure applicable.

Le respect du cadre légal est indispensable pour garantir un service de transport urbain sûr, fiable, et équitable — en particulier à l’approche d’événements internationaux majeurs comme la CAN 2025 ou la Coupe du Monde 2030.

Références :

  • Dahir n°1-63-260 (1963) ; Loi 52-05 (Code de la route) ;
  • Circulaires du ministère de l’Intérieur (2022 et 2024) ;
  • Arrêtés des walis (Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech) ;
  • Jurisprudence récente (tribunal de Marrakech 2023, Rabat 2025) ;
  • Communiqués officiels.

Achraf Sym Tameloucht, Juriste
Rédacteur juridique spécialisé en contrats
Paris

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