I. Un phénomène urbain devenu national.
Ils sont partout, reconnaissables à leur gilet fluo, même s’ils n’ont ni badge ni uniforme réglementaire. Les "gardiens de voitures" autoproclamés ont peuplé depuis plusieurs années les rues du Maroc, réclamant une contrepartie financière immédiate au stationnement, parfois même avant que le moteur ne soit coupé. Que dit la loi marocaine à leur sujet ? Est-ce un métier encadré ? Et que penser de la pratique controversée du sabot sur les roues des véhicules stationnés ? Voici une analyse fondée sur les textes de loi, la jurisprudence et les prises de position récentes.
II. Les gardiens de voitures : entre vide juridique et pratiques abusives.
1. Que dit la loi ?
Le cadre juridique national, en l’occurrence la loi organique n°113-14 relative aux communes, ne reconnaît pas explicitement le métier de "gardien de voiture". Toutefois, l’article 83 de cette loi donne aux conseils communaux la compétence d’organiser les services de proximité, dont la gestion du stationnement sur la voie publique. C’est dans ce cadre que certaines communes ont délivré des autorisations à des individus pour assurer la surveillance de certaines zones de stationnement.
En pratique, ces autorisations sont rares, peu encadrées et sujettes à dérives. Le ministère de l’Intérieur a rappelé que l’exploitation du domaine public est soumise à autorisation communale, et qu’en l’absence de cadre réglementaire clair, les communes peuvent suspendre ces activités.
2. Casablanca en exemple : vers la fin des autorisations ?
En 2025, la mairie de Casablanca a franchi une étape symbolique en suspendant l’octroi et le renouvellement des autorisations pour les gardiens de voitures, avec pour objectif de restructurer le secteur et de préparer l’arrivée de systèmes modernes de gestion du stationnement (parcmètres, SDL, etc.). Depuis cette annonce, aucun gardien ne peut légalement exercer à Casablanca en dehors des zones concédées officiellement.
3. La question de la légitimité du paiement exigé.
Un "gardien sauvage" qui vous demande de l’argent sans avoir été mandaté par la commune agit en dehors de tout cadre juridique. Le Code pénal marocain permet d’encadrer ces pratiques via plusieurs articles :
- Article 538 : réprime l’extorsion de fonds ou de signatures sous la menace.
- Article 540 : réprime l’escroquerie, soit l’obtention de biens ou de fonds par usage de faux titres ou abus de confiance.
- Article 381 : réprime l’usurpation de fonctions ou de titres réservés par la loi.
Dans une affaire jugée en janvier 2025 à Fès, trois individus ont été condamnés à un an de prison ferme pour escroquerie, usurpation de fonction de gardien, et extorsion. Ils portaient de faux uniformes communaux et remettaient de faux tickets. Ces faits montrent clairement que l’exigence de paiement sans autorisation légale peut être qualifiée d’illégale et passible de poursuites.
III. La pose de sabots sur les véhicules : une pratique sans base légale.
1. Un vide juridique préoccupant.
Le Code de la route marocain ne prévoit pas la pose de sabots comme mode de sanction. Pourtant, plusieurs villes comme Rabat, Tanger ou Casablanca ont délégué à des sociétés privées (Rabat Parking, Somagec Parking...) la gestion du stationnement, lesquelles ont installé ces dispositifs pour forcer le paiement. Or, immobiliser un véhicule sans base légale constitue une atteinte à la liberté de circulation (protégée par la Constitution marocaine de 2011) et au droit de propriété.
2. Une jurisprudence constante : les sabots sont illégaux.
Les tribunaux administratifs ont tranché :
- Rabat, 2015 : la cour d’appel administrative a jugé que la pose de sabots par Rabat Parking est illégale car la coercition est un pouvoir de police administrative non délégable au privé.
- Tanger, 2019 : annulation par le tribunal administratif de la clause contractuelle autorisant Somagec à poser des sabots.
- Casablanca, 2018 : jugement isolé validant la pratique, mais contredit par la majorité des autres jugements.
En 2023, des citoyens de Rabat ont réintroduit une action contre la mairie pour dénoncer le "mépris des jugements antérieurs" suite au retour des sabots, estimant cette mesure anticonstitutionnelle.
3. Que faire si votre voiture est sabotée ?
- Faire un constat d’huissier pour prouver l’atteinte.
- Saisir le tribunal administratif pour demander l’annulation de la mesure et le remboursement des frais.
- Informer la préfecture ou le Wali si la commune ne respecte pas les jugements.
Certains citoyens ont retiré eux-mêmes les sabots, sans être poursuivis, les sociétés privées n’ayant pas osé déposer plainte.
Conclusion.
Au Maroc, le stationnement est un service public local qui doit être régi par la loi. En l’absence d’autorisation communale claire, les gardiens de voitures ne peuvent exiger aucun paiement. Quant aux sabots, leur pose est jugée illégale par la majorité des juridictions administratives, en l’absence de base légale dans le Code de la route ou les décrets d’application. Il est temps que les communes harmonisent leur réglementation et que les citoyens connaissent leurs droits pour éviter ces pratiques abusives.
Sources.
Sources juridiques :
Loi organique n°113-14 sur les communes, art. 83
Code pénal marocain : art. 381, 538, 540
Constitution marocaine (2011) : liberté de circulation, droit de propriété
Jugements des tribunaux administratifs de Rabat, Tanger, Casablanca (2015-2023)
Sources médias et références :
Hespress, Bladi.net, Le360, Le Matin
Rapports de la Cour des comptes
Communiqués du ministère de l’Intérieur, mairies de Casablanca, Rabat, Agadir.