Les conséquences de la propagation de la Covid-19 vont continuer à apparaître au fur et à mesure avec l’évolution de cette pandémie qui constitue une vraie transformation sur tous les secteurs suscitant la mise en place d’un ensemble des mesures de prévention pour restreindre le nombre des cas malgré les conséquences économiques néfastes qu’il risque d’engendrer.
Le gouvernement marocain, dès l’enregistrement des premiers cas, a mis en œuvre des mesures sanitaires pour faire face à cette pandémie. Toutefois, ces mesures risquent de peser non seulement sur l’économie nationale mais également sur les relations du Maroc avec le reste des pays du monde.
Depuis la déclaration d’état d’urgence sanitaire avec la promulgation du décret numéro 2-20-292 du 23 mars 2020 relatif à la déclaration d’état d’urgence sanitaire, on a constaté une baisse de l’activité économique avec la fermeture des entreprises, la restriction des activités d’autres et par conséquent la suspension ou encore la résiliation des contrats de travail, cela ne concerne pas seulement les entreprises mais également toutes les autres activités exemple : les théâtres, les cafés, les cinémas, les restaurants et tous les autres endroits de loisirs.
De cela, on déduit que la situation actuelle va sans doute impacter l’exécution des contrats et les engagements réciproques entre les cocontractants qui peuvent ne pas honorer leurs obligations pour des causes se rattachant aux conséquences de la Covid-19, certains contractants peuvent de mauvaise foi essayer de se soustraire de leurs engagements en évoquant la force majeure ou l’imprévision.
Comment peut-on donc admettre l’exécution du contrat dans les circonstances actuelles ? peut-on prévoir une révision des clauses du contrat de façon à garantir la continuité des relations mutuelles entre les parties ? peut-on soulever le cas de force majeure pour éviter les sanctions applicables au contractant défaillant ?
Pour répondre à ces questions, il s’avère opportun de soulever toutes les difficultés pouvant rencontrer les cocontractants lors d’exécution du contrat dans les circonstances actuelles affectant le bon déroulement de l’exécution.
I. L’impossibilité de l’exécution du contrat pour cause de force majeure :
Le Dahir des obligations et contrats prévoit qu’en cas d’inexécution d’un contrat ou retard dans l’exécution, la partie défaillante doit verser à son co-contractant des dommages-intérêts comme il est prévu dans l’article 263, ce dernier dispose que :
« Les dommages-intérêts sont dus, soit à raison d’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, et encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de la part du débiteur ».
Mais peut-on admettre que ces dommages-intérêts sont dus en cas d’avènement d’un cas de force majeure ?
A. La notion de force majeure :
Pour définir le cas de force majeure, on se réfère aux dispositions de l’article 269 du dahir des obligations et contrats qui dispose que :
« La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation.
N’est point considéré comme force majeure la cause qu’il était impossible d’éviter, si le débiteur ne justifie qu’il a déployé toute diligence pour s’en prémunir.
N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur ».
On déduit à travers l’article cité ci-dessus que la force majeure rend impossible l’exécution d’une prestation, elle désigne un événement à la fois imprévu, insurmontable et indépendant de la volonté d’une personne et par conséquent susceptible de dégager la responsabilité du débiteur tel qu’il résulte de l’article 269 du code des obligations et contrats qui dispose que :
« Il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts, lorsque le débiteur justifie que l’inexécution ou le retard proviennent d’une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure… »
Mais il convient de souligner que pour qualifier un événement de force majeure et pour dégager la responsabilité du débiteur, il faudra que l’événement survenu réponde à trois critères :
Il doit échapper au contrôle du débiteur ;
Qu’il ne soit pas prévu lors de la conclusion du contrat ;
Qui empêche le débiteur d’honorer ses obligations envers son cocontractant.
Toutefois, il faut mentionner que l’imprévisibilité s’apprécie au jour de la conclusion du contrat, donc chaque cas d’espèce est distinct de l’autre. Ainsi si un événement telle qu’une pandémie préexiste au moment de conclusion du contrat le caractère d’imprévisibilité n’est pas donc rempli et par conséquent le débiteur ne peut prévaloir du cas de force majeure pour ne pas honorer ses obligations ou le cas échéant verser des dommages-intérêts à l’autre partie contractante.
B. La propagation de Covid-19 et l’appréciation des critères de force majeure :
En effet, la Covid-19 et la crise qui a engendré peuvent créer d’énormes problèmes quant à l’exécution des engagements et des prestations, les contractants peuvent invoquer certaines dispositions afin de se soustraire de l’exécution du contrat en se prévalant du cas de force majeure.
Les parties peuvent invoquer le cas de Covid-19 pour aménager l’exécution des obligations ou carrément la cessation du contrat sans dommages-intérêts.
Mais pour pouvoir se prévaloir de la force majeure, il convient de chercher l’existence des critères évoqués ci-dessus tous réunis et qui sont l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité, donc la seule existence de Covid-19 ne suffit pas à qualifier un cas de force majeure, il faut également chercher l’existence des critères mentionnés.
En effet, l’appréciation du cas de force majeure doit se faire à chaque cas d’espèce en se référant à la date de conclusion du contrat on ne peut donc l’appliquer à tous les cas, mais en prenant considération de plusieurs facteurs réunis. Suivant ce raisonnement, les entreprises ne peuvent prévaloir du cas de force majeure résultant de la propagation de Covid-19 pour ne pas assurer l’exécution de leurs engagements réciproques dans le cas où la pandémie préexiste avant la conclusion du contrat.
Mais la difficulté qui se pose à ce niveau c’est la date de départ de la pandémie est ce que depuis sa propagation en chine c’est-à dire depuis son apparition ou après sa propagation dans le pays lieu de conclusion du contrat ?
La qualification revient au pouvoir du juge qui doit apprécier chaque cas indépendamment de l’autre.
Pour surmonter ce problème, il convient de vérifier dans chaque contrat l’existence des clauses se rapportant à la force majeure et les conditions de mise en œuvre , les parties doivent insérer dans leur contrat une clause prévoyant le cas de force majeure et la qualification exacte de l’événement considéré comme un cas de force majeure. Autrement dit, les parties peuvent décider afin de mettre fin à tout conflit qui peut naître de la qualification d’un événement comme étant un cas de force majeure, de prévoir contractuellement que certains éventuels événements sont considérés comme force majeure. Et cela permet de mettre fin à toute appréciation du caractère imprévisible, insurmontable et extérieur.
II. L’imprévision et le cas de Covid-19 :
L’imprévision diffère du cas de force majeure dans le fait que cette dernière rend impossible l’exécution du contrat tandis que l’imprévision la rend excessivement onéreuse mais pas impossible. Ainsi, les parties peuvent décider de négocier ou de renégocier un contrat sous certaines conditions.
En d’autres termes, l’imprévision permet la révision du contrat à la différence de la force majeure où la révision ne peut avoir lieu et par conséquent le contrat devient inexécutable.
Mais la révision du contrat dépend de la présence de plusieurs critères quand va évoquer ci-dessous.
A. La révision du contrat pour cause de propagation de Covid-19 :
Tout d’abord, il convient de noter que le caractère d’imprévisibilité doit s’apprécier, comme on a évoqué en parlant du cas de force majeure, à la date de la conclusion du contrat. Ainsi, dans le cas de Covid-19, il est clair que les contrats conclus avant 2020 ont le caractère d’imprévision, l’ambiguïté persiste en ce qui concerne les contrats conclus au cours de 2020.
Ainsi, il convient de vérifier tout d’abord si des clauses d’imprévision sont insérées dans le contrat et qui permettent l’adaptation de ce dernier en cas de changement des circonstances imprévisibles pouvant affecter l’équilibre économique des prestations.
En cas d’absence de ces clauses d’imprévision, les parties peuvent d’un commun accord modifier les clauses du contrat de façon à ce qu’il soit adapté avec les circonstances survenues. Mais le problème se pose en cas du refus de l’une des parties de procéder à la révision du contrat.
En principe, les parties ne peuvent procéder à la révision du contrat, ils ne peuvent pas évoquer le caractère d’imprévision d’un événement pour modifier leur accord c’est ce qu’il résulte du principe de la force obligatoire du contrat, tel que prévu dans l’article 230 du code des obligations et contrats.
Toutefois, tout principe a des exceptions, ainsi, les exceptions relatives à l’impossibilité de révision d’un contrat conclu en respectant tous les règles de forme et de fond sont de l’ordre de deux :
La première exception tient son fondement de l’article 230 du code des obligations et contrat évoquant le principe du consensualisme, les parties peuvent d’un commun accord décider de réviser les clauses du contrat pour sauvegarder son équilibre et pour faire à toute imprévisibilité pouvant affecter l’exécution de ce dernier.
On déduit de cet article que le contrat constitue la loi des parties et possède la même force obligatoire qu’une loi, ces derniers ne peuvent modifier les clauses insérées dans un contrat qu’en cas d’un consentement mutuel entre eux ;
Les parties peuvent prévoir dans un contrat une clause de révision qui permet de fixer les conditions et les modalités en cas de révision du contrat. A cette clause on peut ajouter une autre se rattachant à la clause de mobilité, cette dernière permet l’adaptation automatique aux fluctuations économiques.
Il convient donc de noter qu’en l’absence des dispositions précises concernant la révision du contrat en cas d’avènement d’un événement se caractérisant par son imprévision, il revient au juge d’user de son pouvoir d’appréciation pour décider de la révision du contrat.
En effet l’impossibilité d’exécuter un contrat s’impose à la partie défaillante ayant conclu un contrat avant la survenance de la pandémie de Covid-19 et se trouve incapable d’honorer son obligation après la propagation de la pandémie. Dans ces conditions, il serait injuste d’obliger le débiteur défaillant à exécuter son obligation et le refus de la révision du contrat qui peut être bénéfique pour l’autre partie qui tirera profit de la défaillance de son cocontractant et qui peut être de mauvaise foi ce qui constitue une violation des termes de l’article 231 du Dahir des obligations et contrats qui prévoit que tout engagement doit être exécuté de bonne foi.
Au Maroc, le dahir des obligations et contrats reste muet en ce qui concerne la révision du contrat, aucune disposition légale ne prévoit la révision du contrat en cas de survenance d’un événement se caractérisant par son aspect imprévisible.
D’où la nécessité de revoir cette situation afin de permettre la sauvegarde de l’équilibre contractuel.
A l’inverse, le code civil français prévoit dans son article 1195 ce qui suit :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepter d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Le droit français vise donc à créer un équilibre contractuel entre les parties pour garantir la protection du contractant le plus faible de la relation contractuelle tout en préservant le principe du consensualisme.
En revenant à l’état actuel de Covid-19, il faudra déterminer l’état de la crise sanitaire au moment de la conclusion du contrat et apprécier le caractère d’imprévisibilité.
Ainsi, il est sans doute reconnu que les contrats conclus avant la date du 31 décembre 2019 sont revêtus du caractère d’imprévisibilité, mais la difficulté qui se pose concernent les contrats conclus après cette date, peut-on évoquer le caractère d’imprévision susceptible de bénéficier de la révision du contrat ?
B. La charge de preuve :
En l’absence d’aménagement contractuel ou d’un accord mutuel entre les parties pour la révision du contrat, le cocontractant qui veut bénéficier de la révision du contrat pour imprévision doit justifier et prouver que l’exécution du contrat est devenue très onéreuse et presque impossible de sa part.
Le débiteur ne pourra pas bénéficier de cette révision dans le cas où il ne démontre pas que l’exécution est excessivement onéreuse. Ainsi, une simple augmentation ou diminution de valeur de sa contrepartie n’est pas une cause valable.
Il convient également de vérifier l’existence du lien de causalité entre la pandémie et ses conséquences ainsi que les difficultés excessives que le cocontractant défaillant a rencontré dans l’exécution de son obligation contractuelle.
Ainsi les conséquences de l’imprévision se posent sur le cocontractant défaillant qui se trouve contraint à exécuter son obligation en présence d’une circonstance imprévisible ce qui rend cette exécution difficile et onéreuse.
Ainsi et pour garantir la protection des parties contre tous abus dans le cas où le contrat n’est pas clair et précis, le juge a le pouvoir d’appréciation afin d’interpréter le contrat tel que prévu dans l’article 462 du Dahir des obligations et contrats qui dispose que :
« Il y a lieu à interprétation :
1. Lorsque les termes employés ne sont pas conciliables avec le but évident qu’on a eu en vue en rédigeant l’acte ;
2. Lorsque les termes employés ne sont pas clairs par eux-mêmes, ou expriment incomplètement la volonté de leur auteur ;
3. Lorsque l’incertitude résulte du rapprochement des différents clauses de l’acte, qui fait naître des doutes sur la portée de ces clauses.
Lorsqu’il y a lieu à interprétation, on doit rechercher quelle a été la volonté des parties, sans s’arrêter au sens littéral des termes ou à la construction des phrases ».
On conclut à travers l’article cité ci-dessus que le juge peut user de son pouvoir d’interprétation pour décider les termes d’exécution du contrat ce qui assure la protection des parties et l’institution d’un équilibre de leurs engagements réciproques.
Conclusion :
Il est sans doute que la Covid-19 va engendrer une polémique quant à l’exécution du contrat, et l’appréciation de l’existence de la force majeure et de l’imprévision qui restent difficiles à identifier surtout lorsque les contractants l’évoquent de mauvaise foi pour se rétracter de leurs engagements, ce qui nécessite une analyse approfondie de chaque cas pour restaurer l’équilibre de la relation contractuelle d’un contrat conclu par la volonté réciproque des parties.
Discussion en cours :
Mes remerciements Chère Consœur pour cette analyse juridique approfondie du sujet ! Votre article est très intéressant et apporte de réels éclaircissements à la problématique de l’application de la force majeure et de l’imprévisibilité de la pandémie aux obligations contractuelles, tenant compte de la bonne ou mauvaise foi des cocontractants. Reste plus qu’à attendre l’apport de la jurisprudence à ce sujet.